Tempêtes de fin décembre 1999 en Europe
Les tempêtes de fin décembre 1999 en Europe sont deux dépressions intenses des latitudes moyennes à développement rapide, nommées respectivement Lothar et Martin, qui ont traversé la France les 26, 27 et 28 décembre 1999. Ces deux cyclones extratropicaux de type bombe extrêmement puissants ont également affecté une bonne partie de l'Europe, causant des dommages majeurs par le vent[1]. Les deux systèmes ont fait 140 morts et occasionné 19,2 milliards de dollars (2006) de dommages matériels[2].
Confusion de termes
Bien que les médias aient fait mention d'ouragans, ces tempêtes n'en avaient pas la structure. En effet, aucun cyclone tropical ne peut se développer sur des eaux de moins de 26 °C. Ainsi, le dernier ouragan de la saison 1999 a eu lieu en novembre dans les Antilles comme mentionné dans le rapport du National Hurricane Center, centre météorologique régional spécialisé chargé par l’Organisation météorologique mondiale de la surveillance des cyclones tropicaux sur l'Atlantique Nord[3] : cette mention se référait seulement à la force des vents selon l'échelle de Beaufort.
Situation météorologique
En décembre 1999, l'Europe a été frappée par trois dépressions intenses. Le 3 décembre, la tempête Anatol a dévasté le Danemark et le nord de l'Allemagne. À la fin de ce mois, deux autres tempêtes se sont suivies à moins deux jours d'intervalle et sont souvent connues collectivement comme la tempête du siècle en Europe. La première, Lothar, est une dépression compacte qui est passée rapidement en ne changeant pas le flux zonal de la circulation atmosphérique ce qui a permis à la suivante, Martin de la suivre de près. Cette dernière tempête étant de large diamètre, elle était associé avec une modification de la circulation qui a empêché d'autres dépressions de suivre[4]. Ces tempêtes ont deux points en communs[4] :
- une longue zone barocline entre l'Amérique du Nord et l'Europe servant d’autoroute pour leur trajectoire ;
- l'existence d'une masse d'air très chaud (forte température potentielle équivalente) au sud de la zone barocline permettant un fort contraste de température et servant de moteur à la cyclogénèse.
Tempête Lothar
Lothar est le nom donné à la tempête qui a dévasté, dans la journée du , les forêts de France, de Suisse, d’Allemagne et du Danemark, causant des dommages sans précédent avec des vents en montagne jusqu'à 259 km/h[5]. C’est une dépression qui s’est formée au large de Terre-Neuve avant de traverser l’Atlantique en moins de 24 heures. Situation exceptionnelle pour l'Europe, le creusement de cette bombe s'est accentué sur terre pour atteindre 960 hPa (960 mb) en raison probablement d'une interaction forte avec les courants jets d'altitude qui étaient proches de 400 km/h à 9 000 m d'altitude[6].
La dépression a touché le Finistère à environ 2 h et Strasbourg à 11 h, elle s'est donc déplacée à environ 100 km/h[7]. Une étude ultérieure faite par le service météorologique autrichien (ZAMG) a identifié un creux secondaire de cyclogénèse qui a donné des vents de plus de 90 km/h derrière Lothar, passant sur la Belgique et le sud-ouest de l'Allemagne[8].
Les vents les plus violents ont ravagé une bande d'environ 150 kilomètres de large le long d'une courbe partant de la pointe de la Bretagne puis passant sur la Normandie, l'Île-de-France, la Champagne-Ardenne, la Lorraine et l'Alsace. Elle a poursuivi sa route vers l'Allemagne et le nord-est, y causant le même genre de dommages aux infrastructures et aux forêts comme la Forêt-Noire.
Tempête Martin
Cette seconde dépression, se déplaçant aussi à une vitesse proche de 100 km/h et très profonde (jusqu'à 965 hPa à 16 h en Bretagne), s'est développée au large de la Bretagne le 27 décembre 1999 pour atteindre la côte de cette région vers 16 h. Par la suite, elle s'est dirigée vers Nantes (19 h), Dijon (1 h le 28 décembre) et enfin l'Alsace (4 h)[7]. Les régions de toute la côte Atlantique ont été très touchées par le vent, en particulier les départements de la Charente-Maritime et de la Charente, qui ont été les départements les plus durement touchés (198 km/h sur l'Île d'Oléron)[7]. Le vent continuait à souffler en Corse le mardi 28 au matin. La tempête a également affecté l'Espagne, la Côte d'Azur (rafales mesurées non officiellement de 160 km/h à Cannes[9]) et le nord de l'Italie.
Au nord de la dépression, une injection d'air froid a donné, dès l’après-midi du 27, des chutes de neige tenant au sol sur le nord de la Bretagne et la Normandie[7]. Durant la nuit, la neige a atteint le Nord-Est de la France jusque sur le Genevois, laissant même des flocons sur le sud de la région parisienne[7]. Pendant ce temps, le long de sa trajectoire, des quantités importantes de pluie ont causé des inondations. Dans certains endroits des Alpes, la neige a duré deux jours et environ deux mètres de neige sont tombés.
Rafales mesurées
Date | Localité | Vitesse | Date | Localité | Vitesse |
---|---|---|---|---|---|
26 décembre | Orly | 173 km/h | 27-28 décembre | Île d'Oléron | 198 km/h |
Saint-Brieuc | 173 km/h | Royan | 194 km/h | ||
Paris (parc Montsouris) | 169 km/h | Cap Ferret | 173 km/h | ||
Alençon | 166 km/h | Biscarosse | 166 km/h | ||
Colmar | 165 km/h | Millau | 166 km/h | ||
Île de Groix | 162 km/h | Île d'Yeu | 162 km/h | ||
Cap de la Hague | 162 km/h | Pointe du Raz | 162 km/h | ||
Dinard | 158 km/h | Clermont-Ferrand | 159 km/h | ||
Saint-Dizier | 158 km/h | La Rochelle | 158 km/h | ||
Metz | 155 km/h | Bastia | 155 km/h | ||
Caen | 151 km/h | Cognac | 151 km/h | ||
Reims | 151 km/h | Limoges | 148 km/h | ||
Orléans | 151 km/h | Bordeaux | 144 km/h | ||
Troyes | 148 km/h | Bergerac | 140 km/h | ||
Ploumanach | 148 km/h | Carcassonne | 140 km/h | ||
Nancy | 144 km/h | Perpignan | 140 km/h | ||
Chartres | 144 km/h | Pau | 140 km/h | ||
Strasbourg | 144 km/h | Toulouse | 137 km/h | ||
Rouen | 140 km/h | Aurillac | 137 km/h | ||
Évreux | 140 km/h | Tarbes | 137 km/h | ||
Rennes | 126 km/h | Saint-Girons | 137 km/h | ||
Nantes | 126 km/h | Dax | 133 km/h | ||
Dijon | 126 km/h | Mâcon | 126 km/h | ||
Pays | Localité | Vitesse |
---|---|---|
Suisse[12] | La Chaux-de-Fonds | 134,6 km/h |
Chasseral | 177,5 km/h | |
La Dôle | 201,2 km/h | |
Genève | 103,7 km/h | |
Col du Grand-Saint-Bernard | 178,6 km/h | |
Évolène | 124,6 km/h | |
Lucerne | 141,5 km/h | |
Zurich | 157,8 km/h | |
Schaffhouse | 162 km/h | |
Hörnli | 208,1 km/h | |
Säntis | 229,7 km/h | |
Allemagne[13] | Weinbiet | 184 km/h |
Stuttgart | 144 km/h | |
Karlsruhe | 151 km/h | |
Grosser Arber | 162 km/h |
Observations non homologuées | |||
---|---|---|---|
Date | Endroit | Vitesse | Commentaire |
26 décembre | Paris (Tour Eiffel) selon France3[6] | 216 km/h | Anémomètre bloqué à son maximum, vitesse du vent probablement plus élevée, mais non représentative de celle du vent de surface |
Aiguille des Grands Montets[14] (Chamonix-Argentière, 3 295 m) | 320 km/h | Vitesse mesurée au sommet d'une montagne, non représentative de celle du vent de surface |
Prévision
Après les problèmes de la Tempête de 1987, les services météorologiques européens ont beaucoup amélioré leurs modèles de prévision numérique du temps et Météo-France a prévu ces deux événements[1] :
- Les météorologues de Météo-France utilisant les modèles ainsi que les variations de températures et de pression exceptionnelles ont pu envoyer une alerte météorologique avec 24 heures de préavis dans le cas de Lothar. Les vents prévus étaient de 150 km/h en rafales sur les côtes et jusqu'à 80 km/h en moyenne dans les terres avec des rafales à 120/130 km/h.
- En faisant le suivi des événements, ils ont émis des avertissements pour la seconde tempête dès le matin du 27 décembre. Ils ont mentionné des pointes de vents jusqu'à 150 km/h sur les côtes et les reliefs, 130 km/h dans les terres. Un bulletin d'alerte a également été diffusé pour des chutes de neige en Bretagne par exemple.
Durant ces deux systèmes, les prévisionnistes de Météo-France à tous niveaux ont travaillé en contact étroit avec les services de la sécurité civile. Les rafales ont certainement dépassé les prévisions mais les populations étaient prévenues d'un événement important. Par contre, les services de météorologie allemands ont été critiqués pour ne pas avoir émis des avertissements pour Lothar.
MétéoSuisse a eu beaucoup de difficulté avec ce système. Ses modèles de prévision numérique du temps ont indiqué initialement de faibles dépressions venant de l'Atlantique. Ce n'est que le 26 décembre au matin que les alertes ont été émises suite à un rajustement de ces derniers. Plusieurs responsables locaux de services d'urgence n'ont pas pris conscience de l'importance des tempêtes et pris les mesures nécessaires, en partie à cause du fait que c'était durant les vacances de Noël[15]
Deutscher Wetterdienst (le service allemand) a été critiqué pour ne pas avoir émis une alerte pour Lothar. Une analyse post-mortem mentionne qu'il y a eu un problème informatique dans son système de communication.
Dégâts
Selon les assureurs (euros de 2006) et les autorités des différents pays[2],[16],[17] :
- 140 morts dont :
- 110 avec Lothar et 30 avec Martin
- 2 morts en Suisse lorsqu'une cabine téléphérique est tombée à cause d’un arbre renversé par le vent lors de Lothar.
- Le chablis a totalisé près de 140 millions de mètres cubes de bois abattus en France[18]. Des régions côtières comme l'île d'Oléron ont été particulièrement dévastées[19].
- 13 millions de mètres cubes de bois abattus en Suisse[20].
- Plus de 200 pylônes électriques haute tension renversés en France privant de courant plus de trois millions de foyers durant plusieurs jours.
- Pertes économiques de 19,2 milliards $US (de 2006) :
- 12,8 milliards pour Lothar
- 6,4 milliards pour Martin
- Seulement 14,2 milliards ont été compensés par les assureurs.
Conséquences
Le service Météo France a mis en place un système de cartes de vigilance sur son site internet et à la télévision durant l'année 2002 pour appeler à la vigilance dans les départements concernés. Ce concept a été repris par de nombreux services météorologiques nationaux en Europe depuis ce temps.
Électricité Réseau Distribution France (ERDF) a mis sur pied une force d'intervention d'urgence électricité (FIRE) forte d'environ 2500 personnes qui bénéficie de moyens logistiques lourds (groupes électrogènes, moyens héliportés).
Début 2007, bien qu'il reste quelques endroits non traités, la plupart des zones d'arbres abattus ont été nettoyées.
Notes et références
- 1 2 (fr)(en) « Les tempêtes Lothar et Martin », Risk management Solutions (RMS) (consulté le 30 août 2009)[PDF]
- 1 2 (en) Yörn Tatge, « Looking Back, Looking Forward: Anatol, Lothar and Martin Ten Years Later » (consulté le 19 avril 2015)
- ↑ (en)Miles B. Laurence, Lixion A. Avila, Jack L. Beven, James L. Franklin, John L. Guiney et Richard J. Pasch (National Hurricane Center), « Atlantic Hurricane Season of 1999 », Monthly Weather Review, American Meteorological Society, vol. 129, no 12, , p. 3057-3084 (DOI <3057:AHSO>2.0.CO;2 10.1175/1520-0493(2001)129<3057:AHSO>2.0.CO;2, lire en ligne)[PDF]
- 1 2 (en) U. Ulbrich, A. H. Fink, M. Klawa et J.G. Pinto, « Three extreme storms over Europe in December 1999 », Weather, Université de Cologne, (lire en ligne)
- ↑ (de) « Rapports sur Lothar », service météorologique allemand (consulté le 1er mai 2009)[PDF]
- 1 2 (fr) « Les tempêtes des 26 et 27 décembre 1999: L'Ouragan Lothar (sic) », France 3, (consulté le 26 juillet 2007)
- 1 2 3 4 5 « Une situation météorologique exceptionnelle », Tempêtes de décembre 1999, Météo-France (consulté le 2 décembre 2014)
- ↑ (en) « Storm Catastrophe 25 - 28 December 1999 - Lothar and Lothar Successor », sur ZAMG (consulté le 2 décembre 2014)
- ↑ Nice-Matin et (fr) « Record de vent du 28/12/99 », Infoclimat (consulté le 11 mars 2010)
- ↑ (fr) « Aspect climatologique », Tempêtes de décembre 1999, Météo-France (consulté le 1er mai 2009)
- ↑ (fr) Direction de la Climatologie, Statistiques climatiques de la France 1971-2000, Météo-France (ISBN 978-2-11-098718-1)
- ↑ « Cartes des vents lors de la tempête Lothar », Institut suisse de météorologie (ISM) (consulté le 7 mai 2007)
- ↑ (de) « Rapports sur Lothar », Service météorologique allemand (consulté le 1er mai 2009)[PDF]
- ↑ (fr) Christophe Richert, « 26 décembre 1999 : la tempête du siècle », France Info, (consulté le 10 juin 2008)
- ↑ (en) M. Brüdl et C. Rickli, « The storm Lothar 1999 in Switzerland – an incident analysis. », Forest Snow and Landscape Research, vol. 77, , p. 207–216 (lire en ligne)
- ↑ (en) 9 milliards d'euros aux assureurs par Swiss RE
- ↑ (en) The European Storm Lothar and Martin, Decembre 26 - 28 1999, AbsConsulting, (lire en ligne [PDF])
- ↑ Michel Denis, « Expertise collective suite aux dégâts en forêt lors des tempêtes de décembre 1999 », Cemagref, (consulté le 29 décembre 2006)
- ↑ Philippe Lafon, « L’ouragan du siècle dans l’[[Île d'Oléron]] » (consulté le 31 mai 2014)
- ↑ Michel Spicher, « L'ouragan Lothar, un cataclysme dans le monde forestier », Site officiel du Canton de Fribourg (Suisse), (consulté le 29 décembre 2006)
Voir aussi
Bibliographie
- Michel Desbois, Gérard Pouradier, La France blessée : autopsie d'une catastrophe climatique, Ramsay, 2000
- François Dedieu, Une catastrophe ordinaire. La tempête du 27 décembre 1999, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 2013
Article connexe
- Météorologie européenne
Liens externes
- « Boucle des images satellitaires des tempêtes » (consulté le 31 mai 2014)
- (en) ZAMG, KNMI, FMI, DHMZ et EUMETSAT, « Étude des images satellitaires des tempêtes du 26 et 28 décembre 1999 » (consulté le 31 mai 2014)
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