Bataille de Poitiers (732)
Bataille de Poitiers, tableau de Charles de Steuben (1837).
Date | 732 ou 733 |
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Lieu | Entre Poitiers et Tours |
Issue | Victoire franque et aquitaine décisive |
Royaumes francs Duchés d'Aquitaine et de Vasconie[1] | Califat omeyyade |
Charles Martel Eudes | Abd al-Rahmân † |
15 000 - 20 000[2] | 20 000 - 25 000[3] |
1 000 [4],[5] | 12 000 [4] |
Campagnes omeyyades en Europe de l'Ouest
Batailles
Guadalete · Toulouse · Covadonga · Bordeaux · Poitiers · Avignon · Narbonne · Berre
Coordonnées | 47° 23′ 37″ N 0° 41′ 21″ E / 47.39361111, 0.6891666747° 23′ 37″ Nord 0° 41′ 21″ Est / 47.39361111, 0.68916667 |
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La bataille de Poitiers, ou dans des sources arabes « bataille du Pavé des Martyrs », est une victoire remportée en 732 ou 733 par une armée de chevaliers des Royaumes francs et des duchés d'Aquitaine et de Vasconie, conduits par Charles Martel, alors maire du palais, et Eudes, duc d'Aquitaine et de Vasconie, à des combattants sarrasins conduits par l'émir de Cordoue Abd el Rahman qui est tué lors du combat.
Les détails de la bataille, notamment sa localisation et sa date exacte, ainsi que le nombre de combattants, ne peuvent être déterminés avec précision.
Certains auteurs, qui situent la rencontre plus près de Tours que de Poitiers, la désignent comme la Bataille de Tours[6].
Cette victoire a un retentissement immédiat des deux côtés, les chroniqueurs du IXe siècle, puis les auteurs de chansons de geste, donnent au roi Charles le surnom de Martel (le battant), tandis que Bède le Vénérable verra dans cette occasion pour Charles de s'imposer face à la dynastie mérovingienne, une châtiment de Dieu. Pour des auteurs, cette bataille aurait servi de symbole pour la lutte de l'Europe chrétienne face aux musulmans, à l'Est contre l'Empire ottoman, en Espagne avec la Reconquista, en Méditerranée contre les Barbaresques. Les historiens contemporains sont divisés quant à l'importance réelle de la bataille de Poitiers dans l'arrêt des incursions arabe, mais ils s'accordent pour dire qu'elle a été décisive dans l'établissement de la dynastie carolingienne.
Historiographie
Du côté des auteurs latins des VIIIe et IXe siècles, les sources contemporaines de l'événement existent, elles témoignent que dès le VIIIe siècle la bataille est considérée comme importante[7]. On peut citer Bède le Vénérable en 735, les Annales de Metz (XIe) ainsi que la Chronique de Moissac (XIVe) qui mentionnent l'événement en des termes brefs et similaires, rappelant que « Charles combattit les Sarrasins un samedi du mois d'octobre ». Le seul récit détaillé se lit dans les chroniques mozarabes, au milieu du VIIIe siècle, dans lequel l’auteur, anonyme chrétien de Cordoue, raconte la bataille et donne pour cause de la défaite omeyyade des dissensions internes. Le récit de la bataille de Poitiers se situe entre celui de la bataille de Toulouse (721) et celui de la bataille de la Berre (737)[8].
Quelques chroniques arabes mentionnent l’événement, la principale étant celle de ʿAbd Al-Ḥakam (861). Les batailles de Toulouse, de Poitiers et de la Berre apparaissent comme des défaites chez les chroniqueurs d'Al-ʾAndalus. Les allusions arabes à la bataille de Poitiers sont très sèches et précisent simplement que ʿAbd Ar-Raḥmān et ses compagnons « ont connu le martyre ».
Contexte
Conquêtes omeyyades précédentes
Au début du VIIIe siècle, le califat omeyyade, grâce à une armée composée majoritairement de Berbères islamisés[9], conquiert la péninsule Ibérique puis la Septimanie, partie du Royaume wisigoth qui avait échappé aux conquêtes des fils de Clovis Ier, y compris Narbonne.
Les gouverneurs à la tête de la Septimanie lancent alors des expéditions ponctuelles (ġazawāt) en Aquitaine pour s'emparer de butin. Eudes, duc d'Aquitaine et de Vasconie, se retrouve en première ligne. En 721, il parvient à arrêter les musulmans à Toulouse, allié pour la première fois aux Francs[10]. Quelques années plus tard, il s'allie au gouverneur omeyyade Munuza, subordonné du gouverneur d'Al-ʾAndalus Ambiza. Munuza tente de se constituer une principauté indépendante en Cerdagne[11]. Nommé en 730, le nouveau gouverneur d'Al-ʾAndalus, ʿAbd Ar-Raḥmān ibn ʿAbd Allāh Al-Ġāfiqiyy, dirige alors une expédition punitive contre Munuza, qui est battu et tué.
Situation des Francs
Au nord de la Loire, le maire du palais Charles Martel bat Rainfroi, allié d'Eudes, et rassemble sous son autorité le Royaume franc, qui devient la principale puissance chrétienne d'Europe de l'Ouest. Il lance également une expédition pour soumettre l’Aquitaine l’année précédant la bataille de Poitiers : Eudes se retrouve pris entre deux feux.
Campagne précédant la bataille
Environ une décennie après la défaite des Omeyyades à Toulouse en 721, ʿAbd Ar-Raḥmān lance une nouvelle expédition au-delà des Pyrénées, principalement constituée de Berbères et de contingents recrutés dans la péninsule Ibérique[12]. Parmi les participants à l'expédition omeyyade, les chroniques mozarabes font la distinction entre « Sarrasins », Arabes venus d’Arabie et de Syrie notamment, plus anciennement islamisés, et « Maures », Berbères venus d'Afrique du Nord (antique Maurétanie). Le nombre élevé de Berbères parmi les conquérants musulmans explique que ces derniers soient aussi globalement désignés sous le terme de Maures. L'incursion de ʿAbd Ar-Raḥmān n'a pas pour but principal la conquête mais le pillage[13]. Les Omeyyades envahissent l’Aquitaine, razzient le pays et prennent les faubourgs de la ville de Bordeaux. Eudes réunit une armée pour les contrer, mais il est battu entre la Garonne et la Dordogne et prend la fuite. Il appelle alors les Francs à l'aide, ce à quoi Charles Martel ne répond qu'après qu'Eudes lui promet de se soumettre à l'autorité franque.
ʿAbd Ar-Raḥmān continue son avancée, marche sur Poitiers, pille et peut-être incendie l’église Saint-Hilaire le Grand[14],[15]. Attiré par les richesses de l'abbaye de Saint Martin[16] il se dirige ensuite vers Tours et se fixe probablement comme unique objectif la mise à sac du sanctuaire national des Francs, la riche basilique Saint-Martin de Tours[13],[17]. Cependant, Charles Martel, répondant à l'appel d'Eudes, marche aussi vers cette ville après avoir réuni une armée constituée principalement de fantassins francs. Pour les historiens chrétiens, c’est pour défendre le sanctuaire de Tours que Charles Martel entre en guerre ; c’est pourquoi, à partir du XVIe siècle, cette bataille est aussi appelée bataille de Tours[18]. Il décide d'attendre que les Omeyyades soient lourdement chargés de butin pour les attaquer. En fait, Charles Martel est très intéressé par le contrôle du riche sud-ouest et de la vallée de la Loire. Il est déjà venu l'année précédente en 731 et ravi de revenir avec une armée importante[16].
Bataille
Lieu
Selon quelques auteurs contemporains, la bataille de Poitiers ne s'est pas déroulée à Poitiers, mais à mi-chemin entre Poitiers et Tours, elle devrait de ce fait s'appeler la bataille de Tours[19],[20],[21].
Les sources concordent pour placer la rencontre sur le territoire de l’antique civitas des Pictons dont le chef lieu est Poitiers, donc dans le nord du Poitou.
L'appellation arabe de la bataille, d’après une source du XIe siècle معركة بلاط الشهداء (maʿrakat Balāṭ aš-šuhadāʾ), « bataille du Pavé des Martyrs »[22] ,[23] traduite au XIXe siècle par Pavé ou Chaussée des martyrs. Elle permet alors de préciser la localisation et de la situer sur l’ancienne voie romaine entre Poitiers et Tours, et donc sur la rive droite du Clain[24].
Des historiens s'accordent pour ne pas la situer à proximité immédiate de Poitiers, car la forêt de Moulière aurait gêné les cavaliers omeyyades[25]. Certains historiens placent l’emplacement de la bataille à proximité du hameau de Moussais (renommé Moussais-la-Bataille), sur l'actuelle commune de Vouneuil-sur-Vienne, entre Châtellerault et Poitiers. D’autres historiens préfèrent placer la bataille à Cenon-sur-Vienne, située au confluent de la Vienne et du Clain, d'autres entre Poitiers et Tours, à Preuilly-sur-Claise où des tombes mérovingiennes avaient été retrouvées au pied de l'ancienne abbatiale. D'autres encore, comme André-Roger Voisin, préfèrent la situer près de Ballan-Miré, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Tours, sur le lieu-dit des landes de Charlemagne en raison des armes qui y avaient été retrouvées. L'historienne Françoise Micheau précise que la traduction de balat serait plutôt "palais" ou "édifice somptueux"[23] pouvant alors placer la bataille près de la riche abbaye de Saint-Martin de Tours[23].
Pas moins de trente-huit sites revendiquent être le lieu exact de la bataille[26].
Dates
Si les nombreux détails donnés par les chroniqueurs permettent d'avancer certaines précisions sur la datation de l'affrontement, celle-ci reste débattue, les propositions oscillant entre 732 et 733, généralement située au mois d'octobre de ces deux années[27].
Selon les chroniqueurs européens, l'affrontement a lieu un samedi du mois d’octobre. Selon les chroniqueurs arabes, il a lieu le premier samedi du mois de ramadan 114 de l’Hégire, soit après le 23 octobre 732. Le premier samedi est le 25, ce qui place alors la bataille au 25 octobre 732[28],[29]. Les historiens préférant placer la bataille de Poitiers l’année suivant celle de Bordeaux estiment que l’étendue du territoire à conquérir depuis les Pyrénées est trop vaste ; cependant, actuellement, on considère qu’il s’agit d’expéditions de razzia, et couvrir la distance entre les Pyrénées et la Vienne en moins de quatre mois semble raisonnable[30].
Léon Levillain et Charles Samaran datent eux la bataille du 11 octobre 732[31]. Ivan Gobry affirme pour sa part que la bataille a lieu le 17 octobre 733. Selon lui, seule la Chronique de Moissac, rédigée un siècle après l’événement, donne 732. Le continuateur de Frédégaire, contemporain de la bataille, et le chroniqueur castillan Rodrigo Jiménez de Rada, archevêque de Tolède du XIIIe siècle, avancent également la date de 733. Cette date est confirmée par les auteurs arabes de l'époque qui fixent l'événement à l'année 115 de l’Hégire[32]. L'abbé Joseph-Épiphane Darras (1825-1878) rapporte qu'il est écrit dans un manuscrit des Annales de Hildesheim que la bataille a lieu un samedi, donnant pour quantième un jour d'octobre dont la première lettre est effacée, mais dont la suite est VII[33]. Il se trouve qu'aucun samedi d'octobre de l'année 732 n'est le 17 ou le 27, mais le 17 octobre 733 est bien un samedi[34].
Au début du XXIe siècle, si l'historien Peter Brown situe la bataille en 733[35], pour des médiévistes comme Paul Fourcare[36] ou Carole Hillenbrand[37] la question reste ouverte et les deux années sont envisageables.
Déroulement
Pendant une semaine, des escarmouches ont lieu, aux confins du Poitou et de la Touraine[38]. Après ces escarmouches, l’affrontement décisif a lieu, sur deux jours. Abd el Rahman lance sa cavalerie sur les Francs. Ceux-ci, formés en palissade « comme un mur immobile, l'épée au poing et tel un rempart de glace », les lances pointées en avant des boucliers, attendent le choc[39]. Il semble que l'image ait quelque chose de juste dans la mesure où c'est bien la solidité des lignes franques qui impressionna les troupes arabo-berbères. La mêlée s'engage et les Francs parviennent à faire refluer leurs opposants. Mais ceux-ci n'ont pas l'occasion d'attaquer une seconde fois car de leur côté les Vascons, commandés par Eudes, prennent l'ennemi à revers et se jettent sur le camp musulman. Croyant leur butin et leurs familles[40] menacés, les combattants maures regagnent leur campement. Ils subissent de lourdes pertes et Abd el Rahman est tué. Les survivants, obligés de regagner le sud des Pyrénées furent attaqués par les Vascons au passage des cols[10].
Le lendemain, au point du jour, Charles donne l'ordre d'attaquer, mais le camp est vide, les musulmans ont fui dans la nuit[38]. Selon une légende locale à la région du Haut Quercy, Abd el Rahman n'aurait pas été tué à la bataille de Poitiers mais aurait simplement reflué vers ses bases arrières de Narbonne. Poursuivi par les troupes franques de Charles Martel, il aurait été tué et son armée exterminée lors d'une bataille livrée à Loupchat au pied de la falaise du Sangou, dans le Lot, en 733. L'Hôtel de ville de la commune de Martel aurait été construit, selon aussi une légende locale, sur le lieu même de la bataille[41]. Charles fut alors acclamé sous le nom de Martel : « marteau des infidèles »[34].
Explications de la défaite arabe
Selon l'historien André Clot[42], un des facteurs de la défaite réside dans l'éloignement des musulmans de leurs bases. Autre facteur : l'armée musulmane était composée en majorité de Berbères d'Afrique du Nord venus avec leur famille ce qui gênait les manœuvres de l'armée et retardait ses mouvements, les hommes protégeant leurs femmes et leurs enfants. Enfin, toujours selon André Clot, le duc d'Aquitaine aurait attaqué lors du combat final le camp où étaient rassemblées les familles, entraînant la débandade des musulmans.
Une hypothèse[43] a été quelque temps que l'étrier utilisé par la cavalerie franque lui a permis d'asséner des coups si puissants (« martels ») que l'envahisseur, n'en étant pas équipé, ne pouvait y résister[44]. Cependant, il est généralement admis que l'immense majorité de l'armée franque était composée de fantassins et que c'est leur discipline et la supériorité de leur armure qui ont fait la différence[44].
Conséquences
Cette défaite marque le terme de l’expansion musulmane médiévale en Occident et favorise les ambitions de Charles désormais surnommé Martel. En répondant à l’appel à l’aide du duc Eudes d'Aquitaine, il a profité de l’avancée des troupes musulmanes pour intervenir dans une région qui refusait de se soumettre à son autorité. Fort de sa victoire, Charles s’empare de Bordeaux et met un pied en Aquitaine, sans la soumettre immédiatement : à la mort d’Eudes, ce sont ses fils qui lui succèdent. Son appui reste cependant indispensable à la lutte contre les Sarrasins : il intervient dans la vallée du Rhône et en Provence les années suivantes, où il soumet le patrice Mauronte (737), allié des Sarrasins. Au sud de Narbonne, il bat à nouveau ceux-ci sur les bords de la Berre, en 737[45]. Ainsi, la victoire de Poitiers entraîne non pas le départ définitif des musulmans (échec du siège de Narbonne, la ville restera dirigée par un gouverneur omeyyade jusqu’en 759), mais l’intervention systématique des Francs, seuls capables de s’opposer à eux. Michel Rouche considère en définitive Eudes d'Aquitaine comme le véritable vaincu de Poitiers. Le prestige apporté par cette victoire aux Pépinides a pu justifier, quelques années plus tard, l’éviction politique des Mérovingiens[45].
Selon l'historien allemand Karl Ferdinand Werner, la Provence a été bouleversée par les exactions de Charles Martel. Karl Werner envisage que le surnom « Martel-Marteau » puisse venir de la brutalité impitoyable de la répression de Charles, qui agit comme un marteau qui écrase tout, plutôt que de sa technique de combat contre les musulmans[46].
À la suite de la bataille, les troupes musulmanes ne sont pas chassées de Gaule : allié aux Lombards, Charles Martel doit encore faire campagne contre elles en Provence et Septimanie entre 737 et 739[47] mais, il ne parvient pas à reprendre Narbonne, définitivement conquise en 759 par son fils Pépin le Bref. Si l’expansion musulmane est stoppée, notamment dans le sud-ouest, les raids musulmans se poursuivent sur plusieurs décennies. Charlemagne bat vers 800, à la bataille du bois des Héros (en Saintonge), une troupe musulmane qui razziait le pays. Des forteresses provençales servent de base à des incursions dans le pays jusqu’à la fin du Xe siècle (voir bataille de Tourtour).
Importance de la victoire
Le débat historique sur l’importance réelle[48] de la bataille est apparue à la fin du XIXe siècle, au moment où elle connaissait une grande popularité. Les historiens qui tendent à augmenter son importance ont mis en avant une série d’arguments.
Imaginaire d'une bataille
Le consensus historique concernant l'affrontement dénommé « Bataille de Poitiers » n'est pas aisé à atteindre dès que l'on élargit le débat à l'ensemble du pourtour méditerranéen[49].
Peu de sources par rapport aux batailles antiques ou à celle du Haut Moyen-Âge (les croisades) sont disponibles sur le sujet. En France, la « Bataille de Poitiers » possède, au même titre que la « Bataille de Roncevaux », une part mythique. Pour l'historien belge Henri Pirenne, l'affrontement se résume à une contre-razzia : « on n'évita probablement rien de plus qu'un pillage en règle[50] ».
Les auteurs arabes faisant allusion à cet épisode sont peu nombreux. L'historien égyptien Ibn 'Abd al-Hakam rapporte (en 861) que l'émir Abd al-Rahmân mena une expédition en l'année 115 de l'hégire (de février 733 à février 734) contre le pays des Francs au cours de laquelle il périt avec tous les siens. Les plus anciennes chroniques andalouses mentionnant cette expédition la situent en un lieu nommé Balât al-shuhadâ (« l'allée des martyrs ») et en l'an 114 de l'hégire (mars 732 à février 733). Les historiens postérieurs tels Ibn al-Athîr (XIIIe siècle) ou Ibn Idhari (XIVe siècle), reprennent ces mêmes informations.
Les sources latines du VIIIe et IXe siècles sont plus nombreuses mais restent imprécises. La plupart des chroniques signalent l'événement en 732 en des termes brefs et similaires rappelant juste que « Charles combattit les Sarrasins un samedi du mois d'octobre ». Les Annales de Lorsch placent la rencontre quelques années plus tôt, en 726. Si certaines[Lesquelles ?] sources carolingiennes accusent le duc Eudes d'Aquitaine de s'être allié avec « la perfide nation des Sarrasins », d'autres historiens signalent de sources méridionales comme la Chronique de Moissac une présentation contraire.
Le seul récit détaillé[réf. nécessaire] se lit dans la Chronique mozarabe, long poème en prose rimée dans lequel l'auteur, chrétien vivant au milieu du VIIIe siècle à Tolède ou Cordoue selon les sources, voit dans cette victoire des Francs l'espoir d'une possible résistance des chrétiens face à l'invasion par l'islam.
L'arrêt d'une invasion ?
Selon Françoise Micheau, spécialiste de l'histoire du Proche-Orient arabe, il faut se rappeler que l'expédition d’Abd el Rahman avait pour but essentiel le butin, non la conquête. « Il s'agissait pour les Arabes de Cordoue d'une expédition (en arabe ghazwa) visant à piller les richesses de la Gaule, mais non d'une « invasion » »[51].
L'historien Jean Deviosse et Élisabeth Carpentier, professeur honoraire d’histoire du Moyen Âge à l’Université de Poitiers, nuancent cet argument : les razzias représentaient aussi un moyen de connaître le terrain, et plusieurs années de razzias réussies aboutissaient après quelque temps à une conquête définitive[52],[53] : ce fut le cas de la conquête espagnole (711-720), mais aussi de la Perse auparavant. En 721, lors du siège de Toulouse, les envahisseurs sont toutefois équipés de catapultes, signe qu'ils entendent conquérir la ville[54].
Deviosse fait remarquer aussi l'organisation tactique de l'expédition de 732. Il s’agit d’une opération combinée entre marine et cavalerie arabes. Une flotte débarque une armée arabe en Camargue, qui remonte la vallée du Rhône jusqu’à Sens, assiégée et conquise[55], pendant que d’un autre côté, Abd el Rahman passe les Pyrénées du côté le plus éloigné. Il compte ainsi obliger ses adversaires à se diviser et parcourir de longues distances pour l’arrêter. Abd el Rahman demande également à ses hommes d’abandonner une partie du butin pour être plus efficaces lors de la bataille (demande rejetée par les troupes). Il a surtout accepté la bataille, qu'il aurait pu refuser s’il ne venait que pour le butin, déjà considérable.
Une victoire parmi d'autres
Les chroniques arabes espagnoles mentionnent deux autres défaites des musulmans en Gaule :
- en 721, le gouverneur arabe al-Samh meurt sous les murs de Toulouse face à Eudes, prince d'Aquitaine,
- en 737, les Francs écrasent une armée arabe venue secourir Narbonne assiégée.
En fait, la bataille de Poitiers semble s'inscrire dans un contexte général d'essoufflement de la conquête arabe, après un siècle de victoires. En effet, si les Arabes parviennent à conquérir les grandes îles de Méditerranée occidentale en 720-724, ils échouent dans leur troisième siège de Constantinople en 718. L'échec de la prise de Constantinople préserve l'existence de l'Empire byzantin, qui agit comme rempart contre l'expansion musulmane en Europe jusqu'au XVe siècle, quand l'Empire ottoman finit par prendre Constantinople. Le succès dans la défense de Constantinople a été associé par de nombreux chroniqueurs à celui de la bataille de Poitiers. L'historien Paul K. Davis écrit qu'« en repoussant l'invasion musulmane, l'Europe reste aux mains des chrétiens et plus aucune menace musulmane sérieuse n'intervient jusqu'au XVe siècle. Cette victoire [de Constantinople] coïncide avec la victoire franque à Poitiers, limitant l'expansion occidentale de l'islam au sud de la Méditerranée »[56].
La taille même de l’Empire pose des difficultés pour le gouverner : des révoltes kharidjistes éclatent en Mésopotamie et en Syrie (724-743), qui provoquent l’abandon de Damas par le calife pour Resafa, ou encore en 740 pour le Maroc. Les Omeyyades sont renversés en 750 par les Abbassides. Cordoue devient le centre d'un émirat autonome dont le pouvoir se limite à la péninsule ibérique. « Ces crises du milieu du VIIIe siècle scellent la fin des conquêtes arabes en Gaule, comme dans l'Empire byzantin et en Asie centrale »[57].
Deviosse réplique toutefois que la victoire a dû être importante pour deux raisons :
- la victoire est telle que les envahisseurs abandonnent leur butin ;
- aucune autre expédition musulmane d’envergure n’a pu atteindre le cœur de la Gaule par la suite.
Enfin, et peut-être surtout, pour Élisabeth Carpentier, la victoire est importante pour les Francs du Nord de la Gaule. Vue d’Occident, la progression de la conquête musulmane paraissait inexorable ; or le premier combat des Francs contre les Arabes est une victoire (Eudes commande les Aquitains), suivie d’autres victoires, et empêche toute nouvelle attaque par la suite. Cette victoire n'est donc pas le mythe qu’on en a fait, et si Charles Martel ne sauve pas « la France » — qui n’existe pas encore — il change le destin de la Gaule, et donc prépare la France qui lui succède. Cette bataille n’est pas un mythe, mais un symbole historique[58].
Le symbole historique
La bataille a tout de suite un retentissement très important grâce notamment aux récits des trouvères et troubadours[59]. Elle justifie l’élimination des Mérovingiens et légitime donc la famille de Charles Martel, les Carolingiens. Bède le Vénérable, moine d'Angleterre, la mentionne comme un châtiment de Dieu[60], ce qui est un autre aspect de son aura : pour l’Église cette guerre est légitime, c’est aussi une guerre pour la défense de la chrétienté, et elle éclipse la bataille de Toulouse, qui à l’époque avait eu un écho important, affaiblie par la défaite d’Eudes devant Bordeaux en 732 et son ambiguïté (allié aux musulmans)[61]. De l’autre côté, la bataille revêt également une grande importance : l’Anonyme de Cordoue (un chrétien sujet des Ommeyades), qui écrit vers 750, la présente ainsi comme un affrontement entre Nord et Sud, entre Orient et Occident. Pourtant, au lendemain d'une bataille indécise Charles Martel apprit que l'ennemi s'était retiré au cours de la nuit sans que l'on sache pourquoi. Aussi, l'Église fut loin d'avoir considéré le vainqueur de Poitiers comme le sauveur du christianisme puisqu'elle l'inculpa de sacrilège pour s'être approprié des terres appartenant à l'Église et aux monastères. Mais le mythe d'un Charles Martel sauveur ne pouvait être arrêté.
Si la bataille reste célèbre tout au long du Moyen Âge, elle n’acquiert cependant pas immédiatement le statut de symbole. L’Espagne musulmane n’est pas une menace pour les Francs des IXe et XIe siècles. De plus, la figure de Charles Martel s’efface derrière celle de Charlemagne, qui a lui-même combattu les Maures. Enfin, l’Église, principale productrice de livres, ne cherche pas à mettre en avant un bâtard qui a mis la main sur de nombreux biens d’Église[62].
Selon Nas E. Boutammina, Charles Martel et Poitiers connaissent un regain de popularité avec les croisades, les thèmes de la défense de la chrétienté, de la défense de la foi, de victoire sur l’infidèle ayant alors plus d'échos[59]. La victoire de Charles Martel à Poitiers sera rappelée et mythifiés par les chroniqueurs du XIVe siècle après la défaite de Jean II à la bataille de Poitiers en 1356[59], et au XVIe siècle, au moment où l’Empire ottoman menace l’Empire de Charles Quint[63]. On peut aussi évoquer l’épée de Charles Martel, miraculeusement retrouvée par Jeanne d’Arc à Sainte-Catherine-de-Fierbois.
Voltaire, qui moque les exagérations autour du récit de la bataille, conclut dans son Essai sur les mœurs : « Sans Charles Martel (...), la France était une province mahométane » mais pour le regretter au regard, selon lui, des siècles d'obscurantisme chrétien[64].
Au XIXe siècle, le patriotisme français voit dans la bataille de Poitiers un événement fondateur de la nation, et les anticléricaux préfèrent Charles Martel à Clovis, davantage associé à l’Église. La conquête des colonies en terres musulmanes popularise également la victoire contre des musulmans. À la fin du XIXe siècle, la bataille de Poitiers est également célébrée comme la capacité de la France à bouter du pays tout envahisseur hors de ses frontières, à l'heure où l'occupation de l'Alsace-Lorraine suscitait une vive rancœur, l'ennemi n'était plus arabe mais allemand. Outre-Rhin et en Angleterre, à l’heure des théories raciales, cette victoire d’Européens sur des Africains est aussi revendiquée par les Anglais et les Allemands, ces derniers rappelant que les Francs étaient un peuple germanique[65]. À partir de ce siècle, l'année 732 est présentée comme moment de la construction nationale et l'école de la IIIe République exalte l'épisode tout en évacuant l'aspect chrétien et européen des discours antérieurs.
Au XXe siècle, des points de vue opposés se font jour[réf. nécessaire]. Dans un roman d'Anatole France, auteur anti-clérical, Monsieur Dubois, un personnage qui aime à scandaliser [66], dit à Madame Nozière que « le jour le plus funeste de l'histoire » est « le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie franque » [67]. Mais rien dans le texte ne laisse penser que cela soit la position d'Anatole France. En 1942, Adolf Hitler déclare : « Si à Poitiers Charles Martel avait été battu, le monde aurait changé de face. Puisque le monde était déjà condamné à l'influence judaïque, il aurait mieux valu que l'islam triomphe. Cette religion récompense l'héroïsme, promet au guerrier les joies du septième ciel… Animé d'un esprit semblable, les Germains auraient conquis le monde. Ils en ont été empêchés par le christianisme. »[68] Hitler considérait les musulmans comme des alliés dans sa lutte contre le judaïsme mondial.
L’image de l’arrêt d’une invasion à Poitiers reste populaire en France : pendant la Seconde Guerre mondiale, les résistants créent la brigade Charles Martel en Indre et Indre-et-Loire (brigade devenue ensuite la 25e DI des FFI). Durant la guerre d’Algérie, les commandos de l’Organisation armée secrète (OAS) prirent également le nom de Charles Martel. De nos jours, l’importance de ce symbole reste fort, car la confrontation entre l’Occident et l’islam perdure[69] (voir par exemple le titre de l’affiche « Martel 732, Le Pen 2002 » choisi par le Front national lors de l'élection présidentielle française de 2002[70]).
L’importance de la bataille est, encore de nos jours, telle dans l’imaginaire des peuples européens et arabes, qu’un essayiste va jusqu’à nier son existence[71], attribuant son invention à des chroniqueurs français de la fin du Moyen Âge voulant masquer la défaite de Nouaillé (1356). Le recul des Sarrasins est cependant réel.
Selon les historiens médiévistes, Françoise Micheau et Philippe Sénac : « Bien des voix se sont élevées pour tenter de ramener la bataille à sa juste place. En vain, car, érigé en symbole, l'événement est passé à la postérité et avec lui son héros Charles Martel. Il appartient à ce fonds idéologique commun qui fonde la nation française, la civilisation chrétienne, l'identité européenne sur la mise en scène du choc des civilisations et l'exclusion de l'Autre. »[72]. L'historienne Suzanne Citron souligne le rôle de la bataille dans l'« inconscient des pulsions racistes anti-arabes et dans l'illusion d'une supériorité de la civilisation catholique et blanche. »[73].
Dans la culture populaire
Le rappeur Salif fait référence à cette bataille dans une de ses chansons. Le groupe Zebda évoque également cet épisode de manière ironique dans le titre "France 2" (Album Le bruit et l'odeur, 1995) : " Mais qui dit Français, dit pas qu'à Poitiers on ait tout paumé". Le rappeur Tunisiano du groupe Sniper fait aussi référence à cette bataille dans le titre Paname All Star (album Gravé dans la Roche, 2003) dans : « Aujourd'hui les bicots (Arabes) ont dépassé Poitiers ».
Le tableau Bataille de Poitiers (1837), peint par Charles de Steuben, a été utilisé comme pochette de l'album Charles Martel par le groupe de rock anticommuniste Brutal Combat, qui a aussi composé un morceau nommé Charles Martel.
Le mouvement politique Génération identitaire occupa également symboliquement la mosquée de Poitiers en cours de construction, en octobre 2012[74].
Notes et références
- ↑ Jean de Jaurgain, La Vasconie : étude historique et critique sur les origines du royaume de Navarre, du duché de Gascogne, des comtés de Comminges, d'Aragon, de Foix, de Bigorre, d'Alava & de Biscaye, de la vicomté de Béarn et des grands fiefs du duché de Gascogne, t. 1, PyréMonde (Ed.Régionalismes), , 447 p. (ISBN 2846181446 et 9782846181846, OCLC 492934726, lire en ligne), p. 81
- ↑ Estimations de Terry L. Gore dans Neglected Heroes: Leadership and War in the Early Medieval Period. D'autres estimations plus élevées existent, allant de 20 000 à 25 000 hommes.
- ↑ Même source. D'autres estimations avancent 50 000 ou 80 000 hommes.
- 1 2 Hanson, 2001, p. 141
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- ↑ Françoise Micheau et Philippe Sénac, La bataille de Poitiers, de la réalité au mythe, p. 15 dans Histoire de l'Islam et des musulmans en France, Albin Michel, 2006
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- Jean Deviosse, Charles Martel, Tallandier, (réimpr. 2006) (ISBN 978-2-84734-270-3)
- Jean Henri Roy et Jean Deviosse, La bataille de Poitiers : octobre 733, Gallimard, (ISBN 9782070218974)
Voir aussi
Articles connexes
- Charles Martel
- Histoire d'al-Andalus
- Siège de Constantinople (717-718)
Liens externes
- (fr) Charles Martel arrête une razzia arabe
- (fr) La bataille de Poitiers selon l’Anonyme de Cordoue
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