Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Ordre de Saint-Jean de Jérusalem | |
Type | Ordre hospitalier et militaire |
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Création | 1080 |
Reconnaissance canonique | 1113 Bulle pontificale |
Fondateur(s) | Fra' Gérard |
Spiritualité | Règle de saint Augustin et saint Benoît |
Liste des ordres religieux | |
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L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, généralement connu, dès le XIIe siècle, sous le nom de Ordo Hospitalis Sancti Johannis Hierosolymitani, est un ordre religieux catholique hospitalier et militaire qui a existé de l'époque des Croisades jusqu'au début du XIXe siècle.
Son origine remonterait à la fin du XIe siècle dans l'établissement des marchands amalfitains à Jérusalem et la création d'hôpitaux, d'abord à Jérusalem, puis en Terre sainte, d'où leur nom d'Hospitaliers. À la suite de donations, ils vont posséder des établissements, prieurés et commanderies dans toute l'Europe catholique. À l'instar des Templiers, il assume rapidement une fonction militaire pour défendre les pèlerins qu'il accueille sur les chemins de Jérusalem, puis pour combattre les Sarrasins aux côtés des Francs de Terre sainte.
Après l'expulsion des Croisés de Terre sainte (1291), l'Ordre s'installe à Chypre avant de conquérir l'île de Rhodes (1310) et de devenir une puissance maritime pour continuer à être le rempart de la chrétienté contre les Sarrasins. À la suite de la disparition de l'ordre du Temple (1314), les Hospitaliers reçoivent les biens des Templiers, ce qui fait d'eux l'ordre le plus puissant de la chrétienté.
Expulsé de Rhodes (1523) par la conquête turque, l'Ordre s'installe à Malte (1530), dont il est considéré comme le souverain, par décision de Charles Quint. Avec sa flotte maritime de guerre, l'Ordre se transforme en une puissance politique qui prend de plus en plus d'importance en Méditerranée centrale jusqu'à la bataille de Lépante (1571) et jusqu'aux premiers traités des royaumes d'Europe avec les Ottomans. Après quoi il se consacre surtout à des opérations de guerre de course et transforme Malte en magasins d'échanges du commerce méditerranéen avec une quarantaine reconnue dans tous les ports de Méditerranée.
En 1798, Bonaparte expulse le grand-maître et les chevaliers de l'archipel maltais au nom de la République française. L'Ordre qui s'était placé sous la protection de Paul Ier de Russie, une majorité de chevaliers s'exilent à Saint-Pétersbourg et élisent le tzar comme grand maître en 1798.
Mais avec l'abdication du grand-maître Ferdinand de Hompesch en 1799 et la mort de Paul Ier en 1801, s'ouvre pour l'Ordre une période noire qui ira jusqu'à son éclatement en ordres concurrents. En plus des ordres historiques issus de la scission protestante comme le très vénérable ordre de Saint-Jean, son principal successeur catholique est l'ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, fondé officiellement en 1961.
Historiographie
À la différence des Bénédictins ou des Ordres mendiants, les ordres militaires ne se sont intéressés qu'assez tard à leur histoire. À l'origine les textes historiques se limitent à l'obituaire (nécrologie), qui incorpore progressivement à partir du XIVe siècle des détails sur la vie des membres de l'Ordre, mais aussi des développements légendaires. Il a été un temps où les Hospitaliers faisaient remonter leurs origines aux bibliques Maccabées[1]. Il ne faut pas oublier Guillaume de Tyr et ses continuateurs dont les textes publiés au milieu du XVIe siècle sont traduits en italien en 1562. En relatant les croisades, ils peignent aussi une histoire des Hospitaliers[2].
Les premiers textes à caractère historique émanant des Hospitaliers sont l’œuvre de Guillaume de Saint-Estène, commandeur de Chypre. Il est le premier à faire une recension des textes législatifs de l'Ordre[3] et vers 1303, il entreprend une compilation qui regroupe la règle et les statuts de l'Ordre, une chronologie des grands maîtres, un recueil des décisions disciplinaires, les Miracula et une étude critique sur les origines de l'Hôpital, l'Exordium Hospitalis[4].
Confronté à des critiques extérieures, ou plus simplement pour valoriser leurs actions et encourager les donations, l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem va susciter des annales. Au milieu du XVe siècle, Melchiore Bandini, chancelier de l'Hôpital, est l'auteur d'un ouvrage perdu depuis, mais dont, au XVIe siècle, Giacomo Bosio (1544-1617) a encore la mémoire[5].
La Descriptio obsidionis Rhodie urbis de Guillaume Caoursin, est un texte au service de la propagande de l'ordre ; il connaît un grand succès et les éditions et traductions se multiplient entre 1480 et 1483[6].
Un document intéressant pour l'histoire des ordres militaires est un texte écrit vers la fin du XVe par un frère de l'ordre Teutonique, la Chronik der vier Orden von Jerusalem. Cette chronique met en lumière, dans sa première partie, l'origine hiérosolomytaine des ordres militaires ainsi que des chanoines du Saint-Sépulcre. Si l'origine des Teutoniques et des Chanoines est quelque peu anticipée, celle des Templiers et des Hospitaliers est relativement bien cernée[7].
Heindrich Pantaleon (1522-1627) publie, à Bâle en 1581, une première histoire basée sur les archives de l'ordre : Militaris ordinis Johannitorum, Rhodiorum aut Melitensium equitum rerum memorabilium [...] pro republica christiana [...] gestarum ad praesentem usque 1581 annum. Mais l’œuvre majeure de cette période est l’Istoria della sacra Religione et illustrissima militia de San Giovanni Gerosolimitano que Bosio publie en trois volumes à Rome entre 1594 et 1602. L’Istoria de Bosio est traduite en français et complétée par un frère de l'Ordre, Anne de Nabérat, publiée en 1629 à la demande du grand maître Alof de Wignacourt. Bosio et Nabérat font un récit narratif et clairement réclamé comme hagiographique. Malgré cela ce texte est d'une grande valeur historique, Bosio s'appuie sur des sources incontestables[2].
En 1726 parait l’œuvre de l'abbé de Vertot. Il a, précédemment à l'écriture, fait la recension de toutes les sources alors disponibles. S'il doit à Giacomo Bosio, il utilise les sources regroupées par François Pithou (1544-1624), par Jacques Bongars, Jacques de Vitry, Marin Sanudo, mais aussi Guillaume de Tyr, Heindrich Pantaleon, Bosio et son continuateur Bartolomeo dal Pozzo[2].
Avec Joseph Delaville Le Roulx l'histoire des Hospitaliers se veut plus scientifique. Il fait un énorme travail de documentation : il publie en quatre volumes entre 1894 et 1906 près de 5 000 documents ayant trait aux deux premiers siècles de l'histoire de l'Ordre, Cartulaire général de l'ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem (1100-1310). Ses deux volumes Les Hospitaliers en Terre sainte et à Chypre, publié en 1904, et Les Hospitaliers à Rhodes jusqu'à la mort de Philibert de Naillac, publié en 1913, se présentent comme un travail érudit et de qualité[8].
Le XXe siècle voit l'explosion d'une histoire parcellaire faites de monographies très spécialisées et/ou circonscrites localement ou temporellement. Il faut attendre le travail de synthèse de Jonathan Riley-Smith avec The Knights of St John in Jérusalem and Cyprius (1150-1310) publié en 1967 pour voir apparaître un nouveau travail historique sur les Hospitaliers : Riley-Smith avec Hospitalers, The History of the Order of St John en 1999 ou Helen Nicholson avec The Knights Hospitaller en 2001. En dépit des sources existantes à Malte, sources souvent inédites, reste quand même des lacunes pour la période rhodienne, malgré les nombreux articles définitifs d'Anthony Lutrell regroupés en cinq volumes The Hospitallers in Cyprius, Rhodes, Greece and the West, 1291-1440 (1978), Latin Greece, the Hospitallers and the Crusades, 1291-1440 (1982), The Hopitallers of Rhodes and their Mediterranean World (1992), The Hospitaller State on Rhodes and in Western Provinces (1999) et Studies on the Hospitallers after 1306. Rhodes and the West (2007)[9].
Au XXIe siècle s'ouvre avec le travail de Judith Bronstein The Hospitalers and the Holy Land. Financing the Latin East, 1187-1274 (2005) un champs d'études encore largement ignoré : les aspects économiques de l'Ordre qui « pratiquait la banque » et qui devait financer leurs activités sur « le front » par leurs ressources financières et leurs activités terriennes « à l'arrière » pour reprendre les expressions d'Alain Demurger[10]. Il est aussi possible de citer sur ce sujet l'étude d'Alain Blondy Parfum de Cour, gourmandise de rois. Le commerce des oranges entre Malte et la France au XVIIIe siècle (2003). D'autres champs d'études sont aussi récemment abordés comme ceux de l'activité religieuse ou politique de l'Ordre ou de l'activité sociale de ses frères avec le recueil d'articles de Victor Mallia-Milanes dans Hospitaller Malta, 1530-1798 (1993) ou Carmen Depasquale La vie intellectuelle et culturelles des chevaliers français à Malte au XVIIe siècle ou encore Alain Blondi L'Ordre de Malte au XVIIIe siècle, Des dernières splendeurs à la ruine (2002).
Appellations de l'Ordre et nom de ses membres
S'il est une chose difficile à déterminer c'est le nom de cet Ordre. Comme le signale Alain Demurger dans l'avant propos de son livre sur les Hospitaliers : « On trouve souvent utilisée, dans les titres des ouvrages [et pas seulement dans les ouvrages anciens] consacrés à l'histoire de l'ordre de l’Hôpital, l'expression de « Chevaliers hospitaliers », de « chevaliers de l'Hôpital » ou de « Chevaliers de Saint-Jean » [...]. Cette expression n'est pas conforme à la réalité et à l'histoire des premiers siècles de l'Ordre[11]. » Si l'expression de chevalier est apparue dès l'origine dans le nom de l'ordre du Temple, ce n'est pas le cas pour l'ordre de l'Hôpital ; ses membres étaient et seront toujours des « Frères » éventuellement des « Frères chevaliers ». L'ordre de l'Hôpital était avant tout un ordre hospitalier, le premier et le dernier ordre hospitalier. Son couvent s'appelait la « sainte maison de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem » et la titulature du supérieur de l'ordre : l'« Humble maître de la sainte maison de l'Hôpital de Jérusalem et gardien des pauvres du Christ »[11].
Dans les sources primaires, à Malte où se trouve la partie des archives la plus importante, mais aussi partout ailleurs où l'Ordre avait des intérêts, dans tous les textes de l'Ordre, émis, reçus ou envoyés, et qui nous sont parvenus, les appellations de l'Ordre ne sont pas fixées : La Religion[12], L'Hôpital[13], Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem[14], ordre de l'Hôpital[11], ordre des Hospitaliers, ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem, ordre des chevaliers hospitaliers, ordres des chevaliers de Rhodes, ordre des chevaliers de Malte, ordre de Saint-Jean, ordre de Saint-Jean de Jérusalem[12] etc. Et cela dans toutes les langues pratiquées par l'Ordre, en latin ou en langues vulgaires comme le français, l'italien, l'espagnol, l'allemand, l'anglais etc.
Toutes ces appellations étaient aux yeux de leurs auteurs suffisantes dès qu'il ne pouvait pas y avoir confusion avec d'autres ordres. S'il est des textes qui doivent recevoir une attention particulière, ce sont les Règle de l'Ordre, statuts, usances et esgards car ces documents ont la volonté de produire un effet normatifs, Mais là encore c'est la diversité qui règne. Ayant perdu Jérusalem, et s'installant là où ils voulaient ou là où ils pouvaient, l'Ordre ne changera pas de nom, il sera toujours « de Jérusalem[15] ».
Les sources secondaires suivent la même diversité d'expressions, ce n'est que ces dernières années, avec la renaissances des études historiques sur les ordres hospitaliers et/ou militaires que l'on voit se détacher un consensus entre les auteurs. Il semble que la synthèse de Jurgen Sarnowsky de 2009 prévaut avec deux expressions : « ordre de l’Hôpital » et « ordre de Saint-Jean de Jérusalem »[16],[n 1]. « L'Hopital » a aussi ses représentants[17]. Une expression ancienne survit dans un secteur de l'activité de l'Ordre, la marine, où l'expression « La Religion »[n 2] est courante[18].
Pour les noms des membres de l'Ordre cela paraît plus consensuel avec l'expression « Hospitaliers »[19] qui a tendance à prendre la place de « Frère » ou « Frère hospitalier »[20] ou de sa version ancienne « Fra' ». Pour les chevaliers, les expressions de « chevaliers de l'Hôpital » ou « chevaliers hospitaliers »[21], avec ses variantes « chevaliers de Rhodes » et « chevaliers de Malte », existent, même si Demurger les conteste[20].
Histoire de l'Ordre
En Terre sainte
Avant les Croisades
Au XIe siècle, Jérusalem se trouve sous la domination musulmane des Fatimides du Caire, mais les chrétiens peuvent y venir en pèlerinage et des établissements chrétiens y sont présents.
L’origine de l'ordre est le monastère bénédictin de Sainte-Marie-Latine, fondé à Jérusalem au milieu du XIe siècle par des marchands amalfitains, auquel s'ajoute un peu plus tard le monastère féminin de Sainte-Marie-Madeleine ; chacun d'eux est pourvu d'un hospice, dont le rôle est d’accueillir et de soigner les chrétiens accomplissant un pèlerinage en Terre sainte. L'administration des deux hospices est aux mains d'un convers, Frère Gérard[22]
Dans les années 1070, celui-ci peut-être pour prendre des distances avec les Amalfitains, décide de créer un troisième hospice, dédié dans un premier temps à saint Jean l'Aumônier.
En 1078, la ville est prise par les Turcs Seldjoukides qui ont en général une attitude très hostile aux chrétiens (ils sont du reste la cause de la Première Croisade) ; l'hospice de frère Gérard réussit cependant à passer cette période qui prend fin avec la prise de Jérusalem par les Croisés en 1099.
La fondation (1113)
À la suite de la première croisade en 1099, la Terre Sainte passe sous domination chrétienne, Jérusalem devenant le centre du royaume de Jérusalem, le principal des États latins d'Orient.
Gérard demande que son hospice soit reconnu comme autonome par rapport aux couvents bénédictins. Le pape Pascal II promulgue une bulle en ce sens le 15 février 1113[23] en faisant de cet hôpital, l'« Hôpital », une institution, une sorte de congrégation[24], sous la tutelle et protection exclusive du pape.
L'hospice est désormais dédié à Jean le Baptiste[25]
Gérard est reconnu comme chef de cette congrégation et le pape précise dès le départ qu'à la mort de ce dernier, les membres de l'Ordre choisiront eux-mêmes son successeur[26].
La structuration de l'ordre (XIIe siècle)
En 1123, Raymond du Puy, qui succéde à un ou deux frères intérimaires qui ont dirigé l'Ordre après le décès de frère Gérard, dote les Hospitaliers d'une règle reposant sur celles de saint Augustin et de saint Benoît. Cette règle organise l'Ordre en trois fonctions, les frères clercs, les frères laïcs et les frères convers qui tous doivent les soins aux malades.
« C'est la convergence entre la mise en place des premières structures administratives régionales et l'élaboration de la règle par le maître Raymond du Puy et son approbation par le pape Eugène III au milieu du XIIe siècle qui permettent de dire que, alors et alors seulement, l'Hôpital est devenu un ordre[24] »
Le 21 octobre 1154, une catégorie de frères prêtres ou chapelains est établie, accordé par le pape Anastase IV[27] ; le personnel soignant, médecins et chirurgiens, est officialisé dans les statuts de Roger des Moulins du 14 mars 1182[28] ainsi que les frères d'armes, qui apparaissent pour la première fois dans un texte. Selon Alain Demurger, « c'est à cette date donc que l'Ordre est devenu, en droit, un ordre religieux-militaire[29]. »
Sous Alfonso de Portugal en 1205, ils sont répartis en frères prêtres ou chapelains, frères chevaliers et frères servants (« servants d’armes et servants de services ou d’office »[30]). Cette organisation en trois classes restera celle des Hospitaliers[31]. Alain Demurger estime cependant qu'il existait une catégorisation plus fonctionnelle que sociale : « frères d’armes, frères d’office, frères prêtres »[30], mais en fait c'était la même chose sous des noms différents ; les frères d'armes étaient les chevaliers, les frères d'office étaient les frères servants, et les frères prêtres étaient les prêtres ou chapelains.
Le rôle des Hospitaliers en Terre Sainte
Comme les Templiers, les Hospitaliers jouent un rôle de premier plan sur l'échiquier politique du royaume de Jérusalem. En 1136, ils reçoivent de Foulques Ier, roi de Jérusalem, la garde de la forteresse de Bethgibelin ; en 1142/1144 celle du Krak des Chevaliers. Leur structure militaire et leurs places fortes font de l'Ordre une puissance armée de plus en plus importante, qui n'hésite pas le cas échéant à s'immiscer dans la conduite du royaume de Jérusalem[32].
De Jérusalem à Saint-Jean d'Acre et Chypre (1187-1291)
L'Ordre suit les vicissitudes des États latins d'Orient en Terre sainte et leur recul progressif vers la côte.
En 1187, Saladin prend définitivement Jérusalem et les Hospitaliers s'installent à Saint-Jean-d'Acre. Un siècle plus tard, le 28 mai 1291, les croisés perdent Acre à l'issue d'une bataille durant laquelle le grand maître de l'ordre, Jean de Villiers, est grièvement blessé. Les Templiers et les Hospitaliers, avec les dernières forces latines, sont obligés de quitter la Terre sainte.
Les Hospitaliers s'installent alors à Chypre[33].
À Chypre et à Rhodes
Chypre : la réorganisation de l'ordre
L'Ordre se replie à Chypre dont le roi, Henri II de Lusignan, aussi roi de Jérusalem en titre voit d'un mauvais œil une organisation aussi puissante s'installer dans son royaume[réf. nécessaire].
En 1301, le grand maître dote l'ordre d'une structure élaborée pour ses possessions en Occident. Les Hospitaliers sont répartis en fonction de leur origine en huit groupes appelés « langues » : Provence, d'Auvergne, de France, d'Aragon, de Castille, d'Italie, d'Angleterre, d'Allemagne[34]. Chaque langue élit à sa tête un bailli conventuel, appelé « pilier ».
En 1306, le pape Clément V autorise les Hospitaliers à armer des navires. Les Hospitaliers développent la grande flotte qui fait leur réputation et qui, associée à leur organisation, exemplaire pour l'époque, leur permet de tirer un grand profit de leurs possessions en Occident, cela les autorisant à entretenir l'espoir d'une reconquête de la Terre sainte[33].
Rhodes : souveraineté et richesse
À partir de 1307, l’Ordre, dont la rivalité avec le roi de Chypre ne cesse de croître, se lance dans la conquête de l’île de Rhodes, alors sous souveraineté byzantine[35]).
Rhodes est conquise en 1310 et devient le nouveau siège de l'Ordre. En 1311, ils renouent avec leurs origines en créant le premier hôpital de l'île de Rhodes[36].
Le 2 mai 1312, la bulle pontificale ad providam transfère les biens des Templiers aux Hospitaliers, à l'exception de leurs possessions d'Espagne et du Portugal, où deux ordres naissent des cendres de l’ordre du Temple, l’ordre de Montesa et l’ordre du Christ).
Par ailleurs, L’ordre des Hospitaliers transforme son action militaire en guerre de course, alors peu différente de la piraterie. Signe d'un enrichissement des Hospitaliers en même temps que d'une conquête de souveraineté, l'Ordre se met à battre monnaie à l'effigie de ses grands maîtres[37].
Les menaces musulmanes
Mais, au cours du XIVe siècle, pendant que les Hospitaliers exercent un contrôle maritime sur la mer Égée, la dynastie ottomane conquiert peu à peu les territoires riverains. En 1396, une croisade soutenue par l'Ordre essuie un échec sanglant à Nicopolis. Après cet échec, tout espoir de reconquête des lieux saints est définitivement perdu.
En 1440 et en 1444, l'île de Rhodes est assiégée par le sultan d'Égypte, mais ces deux attaques sont repoussées[36]. En 1453, le sultan ottoman Mehmed II s'empare de Constantinople ; le grand-maître Jean de Lastic se prépare à un nouveau siège, mais il n'a lieu que beaucoup plus tard, en 1480[38] ; le grand-maître Pierre d'Aubusson repousse les assauts des troupes du pacha Misach, ancien prince byzantin converti à l'Islam, grâce à des secours en provenance de France, conduits par le propre frère du grand maître, Antoine d'Aubusson.
La chute de Rhodes (1523)
Le siège décisif a lieu en 1522[39]. Le sultan Soliman le Magnifique assiège pendant cinq mois la ville de Rhodes avec 200 000 hommes et ne parvient à la prendre qu'à la suite de la trahison du grand chancelier d'Amaral. Impressionné par la résistance héroïque du grand maître Philippe de Villiers de L'Isle-Adam, il accorde libre passage aux chevaliers rescapés. Emportant dans trente navires leur trésor, leurs archives et leurs reliques, dont la précieuse icône de la Vierge de Philerme, les chevaliers quittent définitivement la Méditerranée orientale le 1er janvier 1523[36].
À Malte
Les Hospitaliers entament, en 1523, une errance de sept années qui les conduit d'abord à Civitavecchia, en Italie. En 1528, le pape Clément VII, ancien Hospitalier, les héberge à Viterbe ; mais, finalement, ils partent pour Nice peu de temps après[40].
L'empereur Charles Quint, comprenant l'utilité que peut avoir un ordre militaire en Méditerranée face aux avancées ottomanes (Alger est conquis par le célèbre Barberousse en 1529), confie à l'Ordre l'archipel de Malte, dépendance du royaume de Sicile, par un acte du 24 mars 1530, faisant du grand maître de l'Ordre le prince de Malte. Ainsi les Espagnols leur cède la forteresse de Tripoli (qui sera prise par les Ottomans en 1551).
L'Ordre se transforme alors en une puissance souveraine qui prend de plus en plus d'importance en Méditerranée centrale.
Le général Bonaparte débarque à Malte au nom de la République française et s'empare de l'île. Il expulsera le grand maître et les chevaliers de l'île de Malte . À la suite de cette expulsion, l'Ordre se place sous la protection de Paul Ier de Russie.
En Russie
Contexte historique
L'éclatement de l'Ordre
À la mort de Paul Ier, s'ensuit une période noire pour l'Ordre jusqu'à son éclatement.
C'est l'ordre souverain de Malte qui prend en 1961 la suite de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem[n 3]. L'ordre souverain de Malte ne reconnait comme issus de l'ancien Ordre que quatre ordres « non catholiques »[41].
L'ordre des chevaliers hospitaliers réclame, lui aussi, une filiation légitime avec l'Ordre en Russie. Il a été créé en 1963 par Pierre II, ex-roi de Yougoslavie en exil. Comme l'Union Mondiale des Prieurés Autonomes Unis qui a vu le jour en 1908 aux États-Unis qui a fait valoir en justice une descendance remontant aux Ardennes-Lorraine, comme fondateur du Royaume de Jérusalem, et protecteur et grand maître, "ius sanguinis, maiestatis et honorum", des prieurés et des commanderies de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
Organisation de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
La règle de l'Ordre
Ce serait vers 1130 que Raymond du Puy rédige et applique une première règle modelée sur celle de saint Augustin. La règle de saint Augustin est certainement la règle la plus communautaire, elle insiste plus sur le partage que le détachement, plus sur la communion que la chasteté et plus sur l'harmonie que l'obéissance. Composée en latin, elle comporte dix-neuf chapitres[42] :
- Comment les frères doivent faire leur profession
- Les droits auxquels les frères peuvent prétendre
- Du comportement des frères, du service des églises, de la réception des malades
- Comment les frères doivent se comporter à l'extérieur
- Qui doit collecter les aumônes et comment
- De la recette provenant d'aumônes et des labours des maisons
- Quels sont les frères qui peuvent aller prêcher et de quelle manière
- Des draps et de la nourriture des frères
- Des frères qui commettent le péché de fornication
- des frères qui se battent avec d'autres frères et leur portent des coups
- Du silence des frères
- Des frères qui se conduisent mal
- Des frères trouvés en possession de biens propres
- Des offices que l'on doit célébrer pour les frères défunts
- Comment les statuts, dont il est question ci-dessus, doivent être rigoureusement observés
- Comment les seigneurs malades doivent être accueillis et servis
- De quelle manière les frères peuvent corriger d'autres frères
- Comment un frère doit accuser un autre frère
- Les frères doivent porter sur leur poitrine le signe de la croix
Cette règle établit clairement trois choses, c'est bien une règle monastique, elle parle par deux fois de l'accueil des malades et elle fixe le signe distinctif des croisés, le signe de la croix sur la poitrine, pour les frères hospitaliers ; la chasuble sera noire et la croix sera blanche.
La date exacte de l'approbation de la règle par le pape Eugène III n'est pas connue avec exactitude mais les historiens la fixent avant 1159. Il est maintenant possible de parler de la confraternité de l’Hôpital[43] : "C'est la convergence entre la mise en place des premières structures administratives régionales et l'élaboration de la règle par le maître Raymond du Puy et son approbation par le pape Eugène III au milieu du XIIe siècle qui permettent de dire que, alors et alors seulement, l'Hôpital est devenu un ordre."[44]. Un nouvel ordre est né, l'ordre Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem.
Organisation hiérarchique
Raymond du Puy, le supérieur de l'Ordre, organise l'Ordre en trois classes[45] plus fonctionnelle que sociale à la différence des Templiers :
- ceux qui par naissance avaient tenu ou étaient destinés à tenir les armes : frères d'armes (chevaliers et sergents) ;
- les prêtres et les chapelains destinés à assurer l'aumônerie : frères prêtre ou chapelain;
- enfin, les autres frères servants destinés à assurer le service : frères d'offices.
Les Grands maîtres de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Depuis le Frère Gérard (dit par erreur de traduction Gérard Tenque), le fondateur de l'Ordre[46], l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem a à sa tête un supérieur nommé à vie. C'est en 1267, sous la magistrature de Hugues de Revel, que le titre de grand maître est accordé au supérieur de l'Ordre par un bref du pape Clément IV[47]
Organisation administrative
Organisation territoriale
L'organisation territoriale de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem va se construire au fil du temps, souvent en conséquence d'importants évènements historiques, en cinq niveaux territoriaux :
- premier niveau : le territoire sur lequel les Hospitaliers possèdent ou détiennent la souveraineté - Rhodes ou Malte - sous la responsabilité du grand-maître ;
- deuxième niveau : les langues sous la responsabilité d'un bailli appelé aussi pilier ;
- troisième niveau : les grands prieurés sous la responsabilité d'un prieur ou grand prieur ;
- quatrième niveau : les commanderies sous la responsabilité d'un commandeurs ;
- cinquième niveau : les maisons périphériques (fermes, granges, moulins, vignes, etc.) qui relèvent d'une commanderie.
Après la perte de la Terre sainte et l'installation des Hospitaliers sur l'île de Chypre, le nouveau grand maître Guillaume de Villaret (1300–1305) crée sept zones territoriales pour regrouper les commanderies. Ces sept territoires sont alors calqués sur l'organisation en « langues » créées par décret capitulaire en 1301. Cette division administrative et organisationnelle de l'Ordre est confirmée par le grand maître Hélion de Villeneuve (1325-1345) lors du chapitre de Montpellier de 1327. Ces entités territoriales correspondaient plus ou moins à des zones linguistiques homogènes, les Espagnols et les Portugais se retrouvent au sein de la langue d'Aragon, les Polonais et les Slaves dépendent de la langue d'Allemagne sans pour autant parler la langue allemande[48].
Avec la disparition de l'ordre du Temple en 1312 et la dévolution de leurs biens aux Hospitaliers, il devient nécessaire de généraliser une autre entité territoriale, les prieurés. Les langues territorialement étendues ou disposant d'un nombre important de commanderies pour être correctement gérées, sont divisées en prieurés. En juillet 1317, le grand maître Foulques de Villaret étant contesté, c'est le pape Jean XXII qui décide le démembrement de la langue de France, devenue trop importante, en trois prieurés en créant, en plus du grand prieuré de France, deux autres prieurés, celui d'Aquitaine et celui de Champagne.
Signes distinctifs de l'ordre
Vêtements
Étant avant-tout un ordre hospitalier et charitable, les frères s'efforçaient d'être au service de leur « seigneurs les malades » et se disent « serf des serviteurs de Dieu », et à ce titre leur habits et vêtements transparaissent de cette servitude ou plutôt humilité. La règle, les usances et les statuts rappellent toujours au fil des siècles le devoir de tous les frères de s'habiller sans luxe. Cependant, leurs vêtements devaient être « commodes et confortables, adaptés aux missions, en particuliers militaires »[49].
Concernant l'habit commun de toutes les classes, il était noir ou du moins sombre, « couleur de l’humilité, celle des moines bénédictins et des chanoines augustins »[49].
La croix faite de deux bandes de tissus croisées (d'où la nom de « croisé » pour ceux qui les portaient et de « croisade »), emblème (et non symbole) du pèlerinage à Jérusalem et de tout ce qui touche de prêt ou de loin à ceux qui exerce un pouvoir ou office religieux, a été utilisée par tous les ordres religieux-militaires, dont les Hospitaliers.
Dernier article de la règle de l'Hôpital : « … Les frères […] devront porter sur leur poitrine la croix sur leur chapes et sur leurs manteaux (cappis et mantellis) en l’honneur de Dieu et de la sainte Croix afin que Dieu nous protège par cet étendard (vexillum) et la foi, les œuvres et l’obéissance et qu’il nous défende corps et âmes, nous et nos bienfaiteurs de la puissance du diable en ce monde et dans l’autre[50]. »
Quant à la forme de la croix, dont il importait peu à l'origine, devient au fil du temps la croix à huit pointes, certainement imitée des armes de la ville d'Amalfi (à moins que cela fut l'inverse), qui deviendra croix de saint Jean puis croix de Malte, « de règle à Rhodes aux XIVe et XVe siècle, [elle] n’apparaît que timidement au XIIIe siècle ». La toute première apparition de cette forme daterait de la première moitié du XIIIe siècle[51].
Jupon d’armes (ou surcot)
Désireux de se voir différencier de leurs autres frères, les chevaliers de l’Ordre ont fait requis du pape pour une reconnaissance de leur « qualité nobiliaire », comme c’est le cas pour les Templiers (chevalier en blanc, sergents et prêtres en noir). Répondant partiellement à leur requête, le pape Alexandre IV décida le 11 août 1259 « que les chevaliers continueraient à porter comme les autres l'habit noir, mais ajoutait qu'au combat ils pourraient revêtir un jupon d'armes et d'autres pièces militaires de couleur rouge et sur lesquels serait la croix blanches « comme cela est sur votre étendard (vexillum) ». »[52]
Cependant cette distinction ne rentra certainement jamais dans les faits, les Hospitaliers étaient regardant quant aux prérogatives d'une classe sur une autre et de plus tous les chevaliers n'étaient pas encore obligatoirement nobles, puisque les statuts du 4 août 1278 de Nicolas Lorgne précise sans ambiguïté aucune :
- article 3 : « que tous les frères de l’Ospital doivent porter manteus noirs [avec] la crois blanche »
- article 5 : « tous les frères de l’Ospital d’armes> (fratres armorum) doient porter en fait d’armes le jupell vermeille avec la creis blanche »
« L’habit rouge distinguait l’activité militaire et non pas un état social[53]. »
Héraldique
Vexillologie
Dans le même temps où Raymond du Puy, le supérieur de l'Ordre, écrit la règle de l'Ordre et la transmet à Rome, il propose l'adoption d'une bannière « de gueules à la croix latine d'argent » (rouge à croix blanche). Ce serait en 1130 que le pape Innocent II l'approuve. Elle flotte dès lors sur toutes les possessions de l'Ordre. Ce serait l'ancêtre de tout ce qui deviendra les pavillons nationaux.
Roger de Moulins (1177-1187), huitième supérieur de l'ordre, fait accepter par le chapitre général de l'Ordre de 1181, le fait de recouvrir d'un drap rouge à croix blanche le cercueil des membres de l'Ordre[54].
Pavillon naval
Sigillographie
Numismatique
L'Ordre commence d'émettre sa propre monnaie vers 1310 en même temps qu'il acquiert la souveraineté avec son installation sur l'île de Rhodes[55]. C'est le moment où l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem s'enrichit fortement. Ces pièces sont frappées aux portraits des grands maîtres de l'Ordre sur le verso tandis que sur le recto se trouve une croix qui ne sera la croix à quatre branches bifides typique de la croix de Malte qu'à partir de 1520[55].
Le système monétaire maltais trimétallique est constitué de pièces en cuivre, en argent et en or selon un acte interne datant de 1530[55]. Au XVIIIe siècle, ce système est remis en question par une forte émission de pièces en argent[55]. La monnaie maltaise était constituée de scudi (écus), de tari (tares) et de grani (grains) avec pour valeur : 1 scudo = 12 tari = 240 grani[55].
Le rayonnement de l'Ordre
Une puissance maritime
Arrivés dans l'île de Chypre et installés à Limassol, les Hospitaliers se rendent compte que la ville est ouverte à tous vents aux saccages des corsaires arabes. Le chapitre général hospitalier ayant refusé l'installation en Italie pour rester au plus près de la Terre sainte à reconquérir, il devient évident qu'il faille armer une flotte capable de défendre l'île mais aussi d'attaquer sur mer. En Terre sainte, l'Ordre armait quelques bâtiments qui permettaient aux membres de l'Ordre de se déplacer et de convoyer des pèlerins. Un certain nombre de ceux-ci se retrouvent à Chypre ayant ramené les réfugiés et les frères de Palestine et d'autres amené d'Europe les participants au chapitre général[56].
« Bientôt on vit sortir des différents ports de l'île plusieurs petits bâtiments de différentes grandeurs, qui revenaient souvent avec des prises considérables, faites sur les corsaires infidèles » écrit l'historien de l'Ordre Giacomo Bosio (1594-1602)[57]. Établis sur une île, ils n'ont pas d'autre moyen pour continuer le combat que d'aller sur mer et le combat naval permettait de se payer sur l'ennemi. Si des corsaires infidèles sillonnaient les mers pour enlever des pèlerins, le prétexte était parfait pour justifier une guerre de course. Ces deux nouvelles activités de l'Ordre, la marine et la course, vont donner les moyens d'une nouvelle puissance aux Hospitaliers[58].
Le pape Clément V autorise en 1306 le nouveau grand maître Foulques de Villaret (1305–1319) à armer une flotte sans l'autorisation de Henri II roi de Chypre. L'Ordre dispose alors de deux galères, une fuste, un galion et deux dromons. Dans cette région de la Méditerranée orientale, les côtes très découpées, peu accessibles par terre, et la présence de nombreuses îles procurent de nombreux repaires aux corsaires favorisant tous les trafics commerciaux mais aussi humains. À cette période, l'île de Rhodes est un refuge sûr pour tous ces trafics[59].
Installé à Malte, l'Ordre développe sa puissance maritime et maintient la paix en Méditerranée en combattant les Ottomans et les Barbaresques avec, pourtant, une flotte nettement inférieure, en unité navale, aux flottes musulmanes. Servir sur les galères de l'Ordre devient un passage obligé pour tous les aspirants chevaliers. Souvent reçu dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem dès leur plus jeune âge, les familles nobles, majoritairement française, payaient à prix d'or le passage de leurs fils à Malte pour que ceux-ci deviennent page du grand-maître ou d'autres dignitaires de l'Ordre. Après une période de noviciat de douze mois, les novices devenaient chevalier en prononçant leurs vœux. Ils devaient alors faire leurs caravanes. Ces caravanes, au nombre de trois, (quatre au XVIIe siècle) duraient généralement six mois chacune et formaient entre vingt ou trente chevaliers par galère[60].
Rapidement, la flotte de l'Ordre devient une sorte d'académie navale avant l'heure de grande réputation attirant des nobles de nationalités étrangères à l'Ordre comme des Russes ou des Suédois qui s'engageaient comme volontaires pour une durée de deux ou trois ans. C'est ainsi que de grandes personnalités navales ont été formés dans l'incubateur maritime de l'Ordre. Quand il fallut recréer une marine française pour affirmer la puissance maritime de la France, le cardinal de Richelieu choisit pour modèle la tradition navale de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem[60].
Une puissance coloniale
Déjà au XVIe siècle, un Hospitalier, Nicolas Durand de Villegagnon commande la flotte de Gaspard II de Coligny qui colonisera la cote du Brésil sous le nom de France antarctique. Il donne son nom à l'ilha Villegaignon dans la baie de Rio de Janeiro.
Au XVIIe siècle, lors de la colonisation française des Amériques ou des Antilles, parmi les colonisateurs ou les administrateurs figuraient des chevaliers hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem comme Aymar de Chaste, Isaac de Razilly en Acadie, Charles Jacques Huault de Montmagny au Québec ou Philippe de Longvilliers de Poincy aux Antilles. Ils participaient à la colonisation en tant que représentant du roi de France mais non comme membre de l'Ordre. Mais de 1651 jusqu'en 1665, les Hospitaliers interviennent en leur nom comme colonisateur-administrateur aux Antilles.
Déjà en 1635, Razilly propose sans succès au grand maître Antoine de Paulo d'établir un prieuré et des commanderies en Acadie. Poincy qui avait servi sous les ordres de Razilly comme commandant de fort en Acadie partageait les vues de son supérieur. Poincy est nommé gouverneur de l'île Saint-Christophe pour le compte de la compagnie des îles d'Amérique avant d'être nommé lieutenant-général pour les Caraïbes par Louis XIII en février 1639. Poincy va investir à titre personnel dans le développement de l'île. Il charge en 1640 François Levasseur de prendre possession de l'île de la Tortue. Son action est considérée comme trop indépendante de ses commanditaires. L'ordre des Hospitaliers lui reproche aussi d'utiliser les produits qu'il tire de sa commanderie française pour entretenir un train de vie non compatible avec celui d'un membre de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Il est finalement remplacé dans ses fonctions par Noël Patrocle de Thoisy le 25 février 1645. Le 25 novembre 1645, Poincy s'oppose au débarquement de Thoisy à Saint-Christophe. Après de multiples péripéties Poincy se fait livrer prisonnier Thoisy et le renvoi en France en 1647. Malgré l'appui des chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem à la cour du Roi, Poincy doit payer 90 000 livres en dédommagement à Thoisy.
Resté à Saint-Christophe, Philippe de Longvilliers de Poincy établit en 1648 la première colonie européenne sur Saint-Barthélemy et envoie un renfort de 300 hommes sur Saint-Martin pour conforter la petite colonie française en parallèle au traité de Concordia qui a fixé la frontière entre les établissements français et néerlandais, traité toujours en vigueur aujourd'hui. Il fonde en 1650 une colonie sur Sainte-Croix.
En 1651, la compagnie des îles d'Amérique fait faillite et Poincy réussi à convaincre le grand maître de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem Jean-Paul de Lascaris-Castellar d'acheter Saint-Christophe, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Sainte-Croix pour 120 000 écus. C'est Jacques de Souvré qui négocie l'accord qui sera confirmé en 1653 par le roi de France Louis XIV qui reste souverain des îles. Les Hospitaliers ont compétences temporelle et spirituelle sur leurs îles à la condition de ne nommer que des chevaliers des langues du royaume de France et fournir au roi 1 000 écus d'or chaque année anniversaire.
Philippe de Longvilliers de Poincy est confirmé dans sa charge de gouverneur mais l'Ordre nomme Charles Jacques Huault de Montmagny, ancien gouverneur de la Nouvelle-France, « général-proconsul » avec siège à Saint-Christophe avec mission de transférer au couvent général de l'Ordre les profits des colonies. Le précédent de Noël Patrocle de Thoisy, engage Montmagny à la prudence et quand il apprend que Poincy refuse de le reconnaître comme général-proconsul, il rentre en France. L'Ordre le renvoie en 1653 avec le titre de lieutenant-gouverneur et devant le refus réitéré de Poincy, Montmagny se retire à Cayonne attendant la mort de Poincy. Mais Montmagny meurt en 1657, trois ans avant Poincy.
L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem nomme Charles de Sales, nouveau lieutenant-gouverneur de 1660 à 1664, qui se fait facilement accepter par les populations. Mais la situation est de plus en plus difficile : le traité signé par Poincy peu avant sa mort avec les Anglais et les Caraïbes dure peu ; les revenus que les Hospitaliers tirent de leurs colonies sont de peu de rendement. En 1660, l'Ordre doit toujours de l'argent à la France pour l'achat des îles. Colbert très intéressé par le développement des colonies fait pression sur les Hospitaliers pour récupérer leurs îles. L'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, alors que Claude de Roux de Saint-Laurent est lieutenant-gouverneur en 1665, cèdent leurs colonies antillaises à la toute nouvelle compagnie française des Indes occidentales mettant ainsi fin à 14 ans de gestion coloniale.
L'Ordre et la culture
Le rayonnement de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem fait de Malte au XVIe et XVIIIe siècle un lieu de rencontre et de raffinement où se croisèrent de nombreux artistes[61] tel Le Caravage, Rubens, Baccio Bandinelli, ou encore Mattia Preti.
De plus, l'Ordre accumule de très nombreux trésors baroques au XVIIIe siècle : on y trouve en particulier des tapisseries exécutées par les Gobelins entre 1708 et 1710[61].
La grande bibliothèque de Malte construite entre 1786 et 1796[61] selon les plans de Stefano Ittar, est inaugurée après le départ des Chevaliers en 1812 par les Anglais. Elle recélait en 1798, 80 000 livres[61] et toutes les archives de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem qui y sont encore.
L'Ordre et la médecine
Du XVIe au XVIIIe siècle, les Hospitaliers vont développer de manière très importante les techniques de médecine et de chirurgie comme des éponges imbibées d'opium que les malades suçaient jusqu'à s'évanouir[62].
Mais tout commence réellement avec l'Hospital de Jérusalem dès le XIIe siècle (les statuts de Roger des Moulins du 14 mars 1182 officialisent pour la première fois dans le personnel soignant de l'Ordre, des médecins et des chirurgiens[28]), puis avec celui de Rhodes. En 1523 les Hospitaliers innovent dans la médecine d'urgence en créant le premier navire hôpital avec la caraque Santa Maria[63] ; ils inventent les infirmeries de campagne sous des tentes afin de pouvoir soigner les militaires blessés durant la guerre contre le corsaire ottoman Dragut en 1550[63].
Parallèlement, entre 1530 et 1532, le grand maître Villiers de L'Isle-Adam crée une « Commission de santé » composée de deux chevaliers et de trois notables[63] et recrée un grand hôpital la Sacra Infermeria (la Sacrée Infirmerie) et une apothicairerie à Malte[63].
En 1595, une école de médecine est créée[64] puis en 1676, c'est l'école d'anatomie et de chirurgie[64], puis l'école de pharmacie de Malte en 1671[64] et enfin en 1687, la bibliothèque médicale[64]. Mais c'est en 1771 qu'est créée la célèbre université de médecine[64] qui ajoutera au rayonnement des Hospitaliers dans toute la Méditerranéenne mais aussi dans tout le monde occidental[64].
On peut également noter la création de l'école de mathématiques et des sciences nautiques au sein de l'université de Malte en 1782[64] ; puis, en 1794, la création de la chaire de dissection[64].
Notes
- ↑ Pour être complet il faut signaler qu'un certain nombre d'auteurs utilisent l’expression « ordre de Malte », quelquefois même pour parler de la période rhodienne. Si c'est une expression en voie de régression pour les auteurs modernes, elle était relativement courante au XIXe siècle avant de devenir une des appellations officielles de l'ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte en 1961.
- ↑ L'expression La Religion est aussi utilisée en héraldique où l'on dit que les armes des grands maîtres sont écartelées à « La Religion » ou au chef de « La Religion » pour celles des commandeurs. Les armes de « La Religion » sont à la croix d'argent sur fond de gueule
- ↑ L'ordre souverain de Malte, de son nom complet ordre souverain militaire hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte, date officiellement du 27 juin 1961 au moment de la promulgation et de la reconnaissance papale de la Charte constitutionnelle qui énonce dans son paragraphe 1 De l'origine et de la nature de l'Ordre, article 1 « L'Ordre Souverain Militaire et Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem, dit de Rhodes, dit de Malte, issu des Ospitalarii de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem […] est un Ordre religieux laïque, traditionnellement militaire, chevaleresque et nobiliaire. » (cf. Charte constitutionnelle de l'ordre souverain de Malte sur son site (1961) p. 9).
Nota : il est clairement indiqué « issu », cela ne veut pas dire « est »
Références
- ↑ Alain Demurger, in Prier et Combattre, p. 22
- 1 2 3 Alain Demurger, in Prier et Combattre, p. 23
- ↑ Manuscrit conservé aux Archives vaticanes, cote Vat. Lat. 4852
- ↑ Alain Beltjens, in Prier et Combattre, p. 416
- ↑ Alain Demurger et Philippe Josserand in Prier et Combattre, p. 438
- ↑ Nicolas Vatin, in Prier et Combattre, p. 416
- ↑ Jürgen Sarnowski, in Prier et Combattre, p. 227
- ↑ Alain Demurger, in Prier et Combattre, p. 29-30
- ↑ Alain Demurger, in Prier et Combattre, p. 36
- ↑ Alain Demurger, in Prier et Combattre, p. 38
- 1 2 3 Alain Demurger (2013) p. 15
- 1 2 Alain Blondy (2002) p. 8
- ↑ Alain Demurger (2013) p. 17
- ↑ Alain Blondy (2002) p. 7
- ↑ Alain Demurger (2013) p. 19
- ↑ L'article Ordre de l'Hopital dans le dictionnaire Prier et Combattre, p. 445-452
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- ↑ l'article Chevalier dans le dictionnaire Prier et Combattre, p. 224-225
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Bibliographie
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
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- (de) Adam Wienand (Hrsg.), Der Johanniter-Orden, der Malteser-Orden. Der ritterliche Orden des hl. Johannes vom Spital zu Jerusalem, seine Geschichte, seine Aufgaben, Cologne 1988, ISBN 3-87909-163-3
Voir aussi
Articles connexes
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