Genre (sciences sociales)
Le genre est un concept utilisé en sciences sociales pour désigner les différences non biologiques entre les femmes et les hommes.
Alors que le sexe fait référence aux différences biologiques entre femmes et hommes, le genre réfère aux différences sociales, psychologiques, mentales, économiques, démographiques, politiques, etc.
Le genre est l'objet d'un champ d'études en sciences sociales, les études de genre. Ce concept est apparu dans les années 1950 dans les milieux psychiatriques et médicaux, aux États-Unis. À partir des années 1970, le genre est fréquemment utilisé par les féministes pour démontrer que les inégalités entre femmes et hommes sont issues de facteurs sociaux, culturels et économiques plutôt que biologiques[1].
L'expression « théorie du genre » est essentiellement utilisée en France par ceux qui contestent la scientificité et la bonne foi des études de genre pour qualifier et critiquer le concept de genre.
Histoire et définition
Étymologie et histoire en sciences sociales
Le mot « genre » vient du latin « genus », devenu en ancien français « gendre ». Le mot a d'abord le sens de « catégorie, type, espèce » puis le sens de « sexe[2] ». Le mot a longtemps été majoritairement associé au genre grammatical.
Les travaux de Margaret Mead jouent un rôle précurseur dans ce domaine, dès 1935[3]. Mead utilise le concept de « rôle sexué », qui distingue pour la première fois le rôle social et le sexe et est l'ancêtre direct de l'idée de genre[4].
Le terme de « genre » (gender) a été employé pour la première fois avec sens non-grammatical dans une publication scientifique [5] en 1955 par le psychologue et sexologue controversé[6] John Money, dans un article où il introduit le concept de « rôle de genre » (gender role) : « le terme de rôle de genre est utilisé pour désigner tout ce que dit ou fait un individu pour se dévoiler […] comme ayant, respectivement, le statut de garçon ou d'homme ou bien de fille ou de femme. Il inclut, sans y être limité, la sexualité au sens de l'érotisme »[7]. En 1964, les psychanalystes Robert Stoller et Ralph Greenson créent[5] le concept d' « identité de genre » (gender identity) pour désigner « le sentiment qu'on a d'appartenir à un sexe particulier ; il s'exprime cliniquement par la conscience d'être un homme ou un mâle par distinction d'être une femme ou une femelle »[8]. En 1968, Robert Stoller propose d'articuler les deux notions de rôle de genre et d'identité de genre : « l'identité de genre commence avec le savoir et la réalisation, consciente ou inconsciente, que l'on appartient à un sexe et non à un autre [...] le rôle de genre est la conduite déclarée que l'on montre en société, le rôle qu'on joue, notamment vis-à-vis des autres »[9]. En 1972, John Money considère, de manière convergente, que « le rôle de genre est l'expression publique de l'identité de genre et l'identité de genre, l'expression privée du rôle de genre »[10].
En 1972, la sociologue Ann Oakley reprend le terme « genre » tout en s'écartant des définitions de Money et Stoller : elle s'appuie sur l'articulation entre nature et culture développée par Claude Lévi-Strauss pour renvoyer le sexe au biologique et le genre au culturel. À la même époque, les universitaires français préfèrent les expressions « rapports de sexe » ou « rapports sociaux de sexe »[4],[11].
À partir des années 1980, sous l'influence de la pensée de Michel Foucault, le genre est étudié dans son rapport au pouvoir et aux normes sociales. Dans le même temps, les études de genre gagnent de l'ampleur dans les universités au delà de la sociologie, en histoire notamment[4],[11].
Enfin, le genre et son « injonction normative » sont la base des réflexions de Gayle Rubin et Judith Butler à partir des années 1990 dans leurs études sur les minorités sexuelles[4].
La notion de genre est également utilisée par le mouvement féministe à partir des années 1970 puis 1980, qui souhaite démontrer l'oppression créée par la hiérarchie des sexes[4].
Usage courant
En anglais, le mot « gender » est utilisé de manière courante, généralement pour exprimer les différences entre femmes et hommes en insistant sur les différences culturelles plutôt que biologiques[12]. C'est donc via les traductions de l'anglais que ce terme a pénétré les sciences sociales en France. Cependant, l'utilité de cette traduction-calque en français demeure débattue car les bornes sémantiques des termes « sexe » et « genre » ne seraient pas les mêmes en français et en anglais, le concept anglo-saxon de gender étant en grande partie inclus dans le « sexe » français. C'est notamment l'avis de la Commission générale de terminologie et de néologie qui recommandait en 2005 de ne pas employer « genre » malgré son utilisation croissante dans certains champs des sciences sociales, arguant qu'« il semble délicat de vouloir englober en un seul terme des notions aussi vastes[13] », qu'« en français, le mot sexe et ses dérivés sexiste et sexuel s’avèrent parfaitement adaptés dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, y compris dans sa dimension culturelle » et concluant que « la substitution de « genre » à sexe ne répond donc pas à un besoin linguistique[13] », et ce même si l'emploi de « genre masculin/féminin » pour désigner hommes et femmes a des attestations remontant au XVIe siècle[14].
Définition
Le genre peut se définir de la manière suivante[15] :
« [U]n système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin). »
Le genre se distingue donc du sexe[16] : il va au delà des attributs biologiques pour s’intéresser à la différence sociale. Le concept de genre permet donc de penser les relations entre femmes et hommes en termes de rapports sociaux.
Mais le genre se distingue également de l'orientation sexuelle (hétérosexualité, bisexualité, homosexualité) qui elle-même se distingue de la transsexualité[17].
Construction sociale
La sociologue britannique Ann Oakley[18] explique que masculinité et féminité ne sont pas des substances « naturelles » inhérentes à l’individu, mais des attributs psychologiques et culturels, fruits d’un processus social au cours duquel l’individu acquiert les caractéristiques du masculin ou du féminin. Elle propose ainsi d’introduire la notion de genre comme outil d’analyse pour permettre la distinction entre la dimension biologique (le sexe) et la dimension culturelle (le genre).
Le genre est ainsi l'identité construite par l'environnement social des individus : la masculinité ou la féminité ne sont pas des données naturelles mais le résultat de mécanismes de construction et de reproduction sociale. Consciemment ou inconsciemment, la société s’organise selon le paradigme des « choses des hommes » et des « choses des femmes », au point que l’on se convainc qu’il existe des domaines ou des niveaux de domaines socialement réservés à tel ou tel des deux sexes[19][réf. à confirmer].
Simone de Beauvoir écrit dès 1949, en clin d'œil à « On ne naît pas homme, on le devient » d'Érasme : « on ne naît pas femme, on le devient[20]. ». Dans Le deuxième sexe, elle explique comment la civilisation et l'éducation agissent sur les enfants pour les orienter dans un rôle masculin ou féminin qui sert l'ordre social alors même que filles et garçons ne sont pas initialement distinguables[21].
Judith Butler rajoute que le genre est « performatif » : les actes et les discours des individus non seulement décrivent ce qu'est le genre mais ont en outre la capacité de produire ce qu'ils décrivent. Ainsi, le genre « désigne l’appareil de production et d’institution des sexes eux-mêmes[22]. » Elle décrit le genre comme « une série d’actes répétés […] qui se figent avec le temps de telle sorte qu’ils finissent par produire l’apparence de la substance, un genre naturel de l’être[23]. »
Ainsi, pour Christine Delphy, penser le sexe en termes de donnée biologique est une impasse. Pour elle, le sexe est avant tout une représentation de ce que la société se fait de ce qui est « biologique » : « le genre précède le sexe ; dans cette hypothèse le sexe est simplement un marqueur de la division sociale[24]. » Cette division sociale binaire entre masculin et féminin n'est pas universelle puisque certaines sociétés peuvent inclure un troisième sexe avec des rôles qui sont considérés comme distincts des rôles féminins ou masculins[25] ; ce troisième sexe peut inclure les intersexes ou les eunuques[26]. Des exemples en sont les Hijras du sous-continent indien ou les Muxe de l'Oaxaca (Mexique)[27].
Processus relationnel
Ainsi, le genre est une construction sociale dans la mesure où la société attribue « des rôles, des tâches, des caractéristiques et des attributs » différenciés à chaque sexe[28]. Toutefois ces caractéristiques ne sont pas acquises de manière autonome mais bien dans la relation avec les autres et la société, et ce dès la naissance. En effet, « le sexe est l’une des premières caractéristiques, si ce n’est la première, que les parents et l’entourage social connaissent de l’enfant qui vient de naître[28]. » Les travaux sociologiques et psychologiques montrent que le sexe est une catégorie sociale qui influe les rapports des parents à l'enfant, la prise en charge par les structures d'accueil, etc. : il existe une « socialisation sexuée » qui contribue à la construction de l'identité de l'enfant[28].
Ainsi selon Lawrence Kohlberg, les enfants apprennent à connaître les stéréotypes de genre à partir de leur environnement. Lorsqu'ils acquièrent la « consistance de genre » (la connaissance que leur sexe est fixe), vers six ans, le fait de se conformer à ce qu'on attend d'eux (par exemple, jouer aux poupées pour les petites filles et au camion de pompier pour les garçons) est alors gratifiant socialement. Et à l'inverse, il devient inacceptable de ne pas se comporter en accord avec son genre[29]. L'approche psychosociologique ajoute que les différences de comportement entre femmes et hommes sont le produit de la division sexuelle des tâches et que cette division se reproduit par les pratiques traditionnelles et culturelles : les stéréotypes de genre façonnent la perception des comportements et conduisent à leur propre réalisation[29]. Toutefois, les pratiques peuvent évoluer avec le temps et d'un pays à l'autre : les stéréotypes de genre évoluent dans l'espace et le temps[29].
De même, en sociologie, l'approche interactionniste parle du genre comme quelque chose qui est « accompli » : les attributs féminins et masculins n'existent que par le sens qui est donné aux actes des femmes et des hommes. Erving Goffman développe ainsi une approche dramaturgique : les personnes agissent comme des acteurs sur une scène dont les comportements sont interprétés[30].
Rapport de pouvoir
La division genrée des rôles est parfois perçue comme induisant une hiérarchie. L'historienne Joan W. Scott présente cette dimension en ces termes : « le genre est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur des différences perçues entre les sexes, et le genre est une façon première de signifier des rapports de pouvoir[31]. »
L'anthropologue Françoise Héritier constate que la distinction entre féminin et masculin est universelle et que « partout, de tout temps et en tout lieu, le masculin est considéré comme supérieur au féminin[32] » ; elle appelle cela « la valence différentielle des sexes ». Partant des travaux de Claude Lévi-Strauss, elle observe qu'un présupposé fondamental manque à sa théorie de l'alliance : pourquoi les hommes se sentaient-ils le droit d'utiliser les femmes comme monnaies d'échange ? « Sous toutes les latitudes, dans des groupes très différents les uns des autres, nous voyons des hommes qui échangent des femmes, et non l’inverse[33]. »
Selon Françoise Héritier, l'observation du monde incluant les différences anatomiques et physiologiques conduit à une classification binaire : « La plus importante des constantes, celle qui parcours tout le monde animal, dont l’homme fait partie, c’est la différence des sexes. (…) Je crois que la pensée humaine s’est organisée à partir de cette constatation : il existe de l’identique et du différent. Toutes les choses vont ensuite être analysées et classées entre ces deux rubriques. (…) Dans toutes les langues il y a des catégories binaires[34]. » Elle constate que dans toutes les langues, ces catégories binaires sont rattachées au masculin ou au féminin. Par exemple, le chaud et le sec sont rattachés au masculin dans la pensée grecque, le froid et l'humide au féminin. Or ces catégories sont toujours culturellement hiérarchisées : « L’observation ethnologique nous montre que le positif est toujours du côté du masculin, et le négatif du côté du féminin. Cela ne dépend pas de la catégorie elle-même : les mêmes qualités ne sont pas valorisées de la même manière sous toutes les latitudes. Non, cela dépend de son affectation au sexe masculin ou au sexe féminin. (…) Par exemple, chez nous, en Occident, “actif” (…) est valorisé, et donc associé au masculin, alors que “passif”, moins apprécié, est associé au féminin. En Inde, c’est le contraire : la passivité est le signe de la sérénité (…). La passivité ici est masculine et elle est valorisée, l’activité – vue comme toujours un peu désordonnée – est féminine et elle est dévalorisée[35]. »
Pour Friedrich Engels, qui a développé la théorie marxienne de la lutte des classes en analysant la famille, la relation exploitant-exploité qui existe entre la bourgeoisie et le prolétariat s'étend au foyer, dans lequel le mari est un autocrate : avec l'émergence de l'économie capitalistique, le travail domestique de la femme, qui ne produit pas de surplus, n'a aucune importance[36].
Cette hiérarchie du masculin-féminin est analysée par le sociologue français Pierre Bourdieu comme une véritable domination masculine socialement construite : « c'est à travers toute une éducation, composée de rituels d'intégration de la norme masculine, que se façonne l'identité masculine, et que l'homme assure dans la société une fonction de reproduction de la domination »[37].
Pour Isabelle Jacquet [38] ce sont les hommes qui dominent, légifèrent, commandent, condamnent, tandis que les femmes leur sont inférieures dans cette organisation. L'anthropologue Nicole-Claude Mathieu parle d'androcentrisme comme un biais concernant la non-prise en considération des rapports sociaux dans lesquels les femmes sont impliquées[39].
Genre et autres rapports de pouvoir
Le genre, en tant que rapport de pouvoir, ne peut être envisagé de manière séparée d'autres rapports de pouvoir basés sur la « race », la classe sociale, la sexualité, l'âge, etc[17].
Une telle approche, liant race, classe et genre, a notamment été développée par le féminisme afro-américain à partir des années 1960 pour lequel l'explication des oppressions raciale et de classe nécessite de prendre en compte le genre. L'attention portée à la diversité socio-culturelle s'est répercutée notamment en sociologie[40].
Ainsi, pour l'historienne Joan W. Scott, « on ne peut comprendre l’identification raciale indépendamment de l’identification de genre : les deux sont construites ensemble, et chacune renvoie à l’autre[41]. » Elle observe notamment dans le discours contemporain à la colonisation de l'Algérie des métaphores liant dévoilement et pénétration, domination coloniale et domination sexuelle, qu'elle met en parallèle avec les débats entourant le voile islamique en France qui concerne l'immigration mais se focalise sur les femmes et leur corps[41].
Politique publique et genre
Le concept de genre et les recherches universitaires liées servent parfois de base aux politiques publiques visant à réduire les inégalités entre les femmes et les hommes. En France, l'Inspection générale des affaires sociales note en effet que « Toutes les politiques de promotion de l'égalité butent sur un obstacle majeur, la question des systèmes de représentation, qui assignent hommes et femmes à des comportements sexués, dits masculins et féminins, en quelque sorte prédéterminés »[42] ainsi selon certains il faudrait « substituer à des catégories comme le sexe […] le concept de genre qui […] montre que les différences entre les hommes et les femmes ne sont pas fondées sur la nature, mais sont historiquement construites et socialement reproduites »[43][réf. insuffisante].
De manière notable, le terme de « genre » est ainsi intégré dans le rapport final de la conférence mondiale sur les femmes de Pékin, organisée par l'ONU en 1995. Il s'agit alors d'appréhender les inégalités de manière holiste, dans une réflexion qui englobe les hommes et les dynamiques sociales[44].
La notion de genre est également utilisée par l'Organisation mondiale de la santé, pour qui « le mot “genre” sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu'une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes[45]. » L'UNESCO place l'égalité de genre parmi ses priorités globales, la considérant comme « une condition essentielle permettant aux femmes et aux hommes de bénéficier pleinement de leurs droits humains[46]. »
Critiques du concept de genre et « théorie du genre »
L'expression « théorie du genre » : querelle sémantique
L'expression « théorie du genre » est parfois présentée comme une traduction de l'expression anglaise « gender theory »[47],[48],[49]. Selon d'autres auteurs, en revanche, il s'agit d'une « francisation maladroite des gender studies », les études de genre[50],[51],[52],[Note 1]. Ainsi, la pertinence de l'expression « théorie du genre » est contestée par de nombreux chercheurs estimant que le genre n'est pas une théorie mais plutôt un outil ou une méthode qu'ils utilisent ponctuellement[58],[59],[60].
Ainsi, le sociologue Éric Fassin insiste sur le fait que « le genre est un concept. Ce n'est ni une théorie ni une idéologie, mais un outil qui aide à penser »[1]. L'expression « théorie du genre » serait, selon Laure Bereni, une tentative de faire croire qu'il existe une stratégie politique unifiée derrière les études de genre[58].
Pour Joan W. Scott, « Quoi qu’en disent les catholiques […] il n’y a pas de “théorie du genre” — la “théorie du genre” est une invention qui a remplacé le communisme dans la rhétorique du Vatican. » Pour elle, cette expression est utilisée par « les adversaires du “genre” » qui entendent faire valoir que les différences entre femmes et hommes établissent « une complémentarité qui justifierait selon eux une inégalité[41]. » Pour Bruno Perreau, « la “théorie du genre” n'existe que dans la tête des opposants à l'égalité des droits. Cette croyance repose sur le fantasme selon lequel le sexe et la sexualité pourraient être déterminés par un simple discours »[61]. Selon Odile Fillod, cette expression a été forgée au début des années 2000 par Tony Anatrella à des fins rhétoriques, dans le cadre de l'offensive menée par le Vatican contre les politiques remettant en cause les rôles de sexe traditionnels, promouvant les droits des femmes et étendant les droits des personnes LGBT[62].
L'expression « théorie du genre », calquée sur l'anglais « gender theory », ne serait par ailleurs pas anodine[63] : alors que l'anglais « theory » peut avoir le sens d'une « hypothèse testée et confirmée »[64], le sens français de « théorie » est celui d'une « construction intellectuelle méthodique et organisée de caractère hypothétique »[65]. Pour François Cusset, cité par Éric Aeschimann dans un article du Nouvel Observateur, « aux États-Unis, le mot “theory” désigne un discours critique à contenu philosophique mais qui a dépassé le cercle des philosophes. » Et pour Aeschimann, « a contrario, en français, la “théorie” peut renvoyer à un système de pensée très cohérent, et alors en effet, le genre n’est [pas] une théorie. »[66].
Le journaliste Éric Aeschimann, après avoir rappelé que, pour les « défenseurs du genre », la « théorie du genre » n'existe pas, le genre étant un « concept » ou un « champ d'étude », considère que le terme de théorie est approprié pour désigner non pas une « doctrine unifiée », mais « l’hypothèse que les identités sexuelles ne sont pas biologiquement déterminées, mais socialement construites »[66].
Cependant, pour d'autres chercheurs, l'emploi de « théorie du genre » au singulier masquerait la pluralité de thèses aussi différentes que celles de Judith Butler ou Christine Delphy[63]. Ainsi, dans un contexte universitaire, lorsque l'expression « théories du genre » est employée, c'est presque toujours au pluriel : Anne-Emmanuelle Berger affirme ainsi que « la théorie du genre n'existe pas. Il en existe une multitude »[67] et Judith Butler que « les théories du genre existent au pluriel[68]. »
L'expression « théorie du genre » employée par Vincent Peillon, ministre de l'Éducation nationale en mai 2013[69],[70] suscite de nombreuses réactions dans le monde des sciences sociales[71] et notamment la publication d'une tribune, signée par une centaine d'universitaires, qui indique qu'« il n’y a pas “une” théorie du genre, fantasme entretenu par ceux et celles que la perspective d’une égalité effective dérange ou effraie, mais “des” études de genre. »[60],[72]. Après avoir employé l'expression en 2011[73], Najat Vallaud-Belkacem la juge en 2013 impropre[74].
Toutefois, pour le journaliste Éric Aeschimann, « théorie » a également le sens d'« hypothèse » : « En faisant l’hypothèse que les identités sexuelles ne sont pas biologiquement déterminées, mais socialement construites, le concept de “genre” a ouvert un espace de réflexion, de recherches et de pratiques très variées », ainsi, dans ce sens, il n'est « pas erroné de parler de “théorie”, même s’il n’existe pas une doctrine unifiée[66]. »
Critiques du concept de genre
Des critiques du concept de genre — alors généralement désigné par les expressions « théorie du genre », « théorie du gender » ou « gender » — émergent dès les années 1980[75] puis se développent dans les années 1990 sous la plume d'auteurs catholiques, notamment lorsque la notion de genre est intégrée au rapport final de la quatrième conférence mondiale sur les femmes malgré les objections du Saint-Siège[76]. Ces auteurs dénoncent en effet ce qui est, selon eux, « un discours idéologique unifié qui aurait pour but de déstabiliser les rapports traditionnels entre les sexes[63]. »
Pour les critiques de cette notion, le genre, avant d'être un outil d'analyse, est une « théorie et même une métaphysique » dont l'objectif est de « déconstruire » les fondements de notre société au nom du principe d'égalité entre hommes et femmes poussé jusqu'à l'« interchangeabilité »[77]. Pour certains de ces auteurs, le genre est une notion « arbitraire »[78] dérivée à la fois du socialisme et du libéralisme, alliant « égalitarisme » et « utilitarisme », susceptible de « s’imposer violemment aux différentes cultures à travers la mondialisation »[79],[80] et témoignant d'une « soif d'auto-suffisance »[78]. Le genre agirait comme l'instrument d'une « nouvelle culture[81] » fondée sur la remise en cause de la sexualité humaine comme « inclination vers l'autre sexe »[78] et la contestation des « rôles fondés sur les différences naturelles »[81]. Selon la philosophe Chantal Delsol, avec la « théorie du gender », nous sommes « à l'acmé de la volonté de refaire le monde selon notre désir » et la consécration du « désir de l'individu de choisir, sinon son sexe biologique, au moins son appartenance de « genre » »[82]. Elle considère qu' « apprendre le gender à l'école [...] dans le cours de SVT (sciences de la vie et de la terre) » est « de la propagande », car « il ne s'agit aucunement d'une partie de la science, mais bien d'une opinion, et plutôt en l'occurrence d'une idéologie[82]. »
Pour certains auteurs, tels que le prêtre Michel Schooyans, le psychanalyste Jacques Arènes ou le prêtre et psychologue Tony Anatrella, le genre est une idéologie utilisée par une minorité subversive et militante emmenée par le « lobby homosexuel » et le mouvement LGBT[79] qui « s’en prend délibérément à tout ce qui pourrait rappeler et signifier la différence sexuelle »[83] afin de remettre en cause la prééminence de l'hétérosexualité [84] et revendiquer le mariage homosexuel[85].
Selon le pape Benoît XVI, « ce qui est souvent exprimé et entendu par le terme « gender », se résout en définitive dans l’auto-émancipation de l’homme par rapport à la création et au Créateur »[86] et légitime le mariage homosexuel, l'homoparentalité[87] et la procréation médicalement assistée[88],[63],[89].
De même, en France, des opposants au mariage des couples homosexuels, notamment La Manif pour Tous, établissent un lien entre la « théorie du genre » et l'ouverture du mariage aux couples de même sexe[90] ou des programmes de lutte contre les stéréotypes filles-garçons à l'école [91]. Ces positions trouvent écho chez certains politiques, en premier lieu au sein de la droite catholique conservatrice, puis auprès de nombreux députés et sénateurs UMP[92], qui demandent par exemple la création d'une commission d'enquête à l'Assemblée nationale, regrettant que les études de genre aient intégré la « théorie du gender »[93] qu'ils présentent comme un système de pensée et d’organisation globale de la société refusant en général ce qui est donné par la nature et en particulier le corps sexué lui donnant un « sens subversif de l’indifférenciation des sexes »[93]. Ces députés attribuent ainsi à la « théorie du gender » la création de laboratoires sur le genre dans différents établissements d'enseignement supérieur, l'introduction d'un chapitre intitulé « Devenir homme ou femme » dans les manuels scolaires de sciences de la vie et de la terre de première, la répression des discriminations fondées sur l'orientation ou l'identité sexuelle, la lutte contre les stéréotypes filles-garçons dans certaines crèches, le remplacement de certains termes du code civil comme « femme et mari » par « époux » et « père et mère » par « parent » dans le cadre du projet de loi sur le mariage homosexuel ou encore le programme de lutte du gouvernement contre les discriminations basées sur l'orientation sexuelle[93],[94]. À partir de 2013, divers groupes politiques, liés pour certains à La Manif pour Tous, ont lancé en France des campagnes prêtant à l'Éducation nationale l'intention d'enseigner la « théorie du genre » à l'école[95],[96] ; les groupes les plus radicaux ont affirmé que cet enseignement s'accompagnerait de cours d'éducation sexuelle dès l'école maternelle et de propagande en faveur de l'homosexualité. Bien que rapidement démenties, ces rumeurs ont occasionné des mouvements d'inquiétude, notamment dans certains milieux issus de l'immigration[97],[98].
Bibliographie
Ouvrages généraux
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- Judith Butler
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- Christine Delphy
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Notes et références
Notes
- ↑ L'expression gender theory est utilisée par plusieurs sociologues américains pour désigner leur champ d'études. Selon Myra Marx Ferree (en), la gender theory « se concentre sur la manière dont on attribue à des comportements et des rôles spécifiques une signification en matière de genre, sur la manière dont on divise le travail pour exprimer symboliquement les disparités entre les genres et sur la manière dont diverses structures sociales [...] incorporent des valeurs ou confèrent des avantages liés aux genres »[53]. Selon Jean Potuchek, qui se réfère notamment à l'article Doing gender (en) de Candace West et Don Zimmerman, la gender theory « définit le genre non pas en tant que rôle individuel appris dès l'enfance et relativement stable par la suite, mais en tant que système d'inégalités qui se crée et se recrée dans l'expérience quotidienne [...] Les sociologues en gender theory ne font pas d'hypothèse à propos du « caractère naturel » des catégories de genre dichotomiques, mais ils examinent la construction sociale de ces catégories à travers un ensemble de frontières qui définissent ce qui est mâle ou femelle, masculin ou féminin »[54]. Ce point de vue n'est cependant pas le seul, différents auteurs soulignant la variété des approches sociologiques de la gender theory[55],[56]. La « gender theory », en tant que mise en œuvre du concept de genre, est donc une notion connexe des études de genre, dans lesquelles le concept de genre est appliqué[57].
Références
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« Gender theory focuses upon how specific behaviours and roles are given gendered meanings; how labor is divided to express gender differences symbolically, and how diverse social structures [...] incorporate gender values and convey gender advantages »
- ↑ (en) Jean Potuchek, « Employed Wives' Orientations to Breadwinning: A Gender Theory Analysis », Journal of Marriage and Family, vol. 54, no 3, (JSTOR 353241) :
« Gender theory does not define gender as an individualized role that is learned in childhood and relatively stable thereafter, but as a system of inequality that is created and recreated in daily experience [...] Gender theorists do not assume the "naturalness" of dichotomous gender categories, but examine the social construction of such categories through a system of boundaries that delineate male and female, masculine and feminine. »
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- ↑ « Identité sexuelle: des députés UMP demandent le retrait de manuels scolaires », sur 20 minutes (France),
- ↑ «La manif pour tous» lance des états généraux de la famille, La Croix, 15 septembre 2013
- ↑ Election des parents d'élèves: les anti-mariage pour tous veulent infiltrer les écoles, Huffington Post, 10 octobre 2014
- ↑ Théorie du genre : des élèves absents du fait d'une étrange rumeur, Le Figaro, 29 janvier 2014
- ↑ "Masturbation", "théorie du genre" à l'école... Décryptage de cinq folles rumeurs, France TV Info, 31 janvier 2014
Voir aussi
Articles connexes
- Études de genre, Histoire du genre
- Différence des sexes en psychanalyse, Comparaison biologique entre la femme et l'homme
- Inégalités homme-femme, Sexisme
- Identité de genre, Transgenre
- Virilité, Masculinité, Féminité
- Féminisme, Queer, Théorie queer
- Test de Bechdel
Liens externes
- Laboratoire GenERe (Genre: Epistémologie & Recherches)
- Ça fait genre, Anne-Charlotte Husson, agrégée de Lettres modernes
- Cultures G, genre et cultures contemporaines
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