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Japonisme

Japonisme

Reine de joie, par Toulouse-Lautrec, 1892

Le japonisme est l'influence de la civilisation et de l'art japonais sur les artistes et écrivains, premièrement français, puis occidentaux. L'art qui résulta de cette influence est qualifié de japonesque.

Dans le dernier quart du XIXe siècle, l'ukiyo-e devient une nouvelle source d'inspiration pour les peintres impressionnistes européens puis pour les artistes Art nouveau. C'est dans une série d’articles publiés en 1872 pour la revue Renaissance littéraire et artistique, que le collectionneur Philippe Burty donne un nom à cette révolution : le japonisme[1].

Histoire

Les premières œuvres artistiques japonaises à éveiller l’intérêt des pays d’Europe de l’Ouest sont les porcelaines. Alors que la céramique de Chine est prisée des familles royales et aristocratiques, la chute de la dynastie Ming provoque un coup d’arrêt à l’exportation des porcelaines chinoise. C’est alors le Japon qui reprend le flambeau, au milieu du XVIIe siècle : entre 1652 et 1683, sur une trentaine d’années, on estime que quelque 1,9 million de porcelaines japonaises ont été exportées vers l’Europe. C’est à cette époque qu’apparaissent les céramiques d'Imari, de Nabeshima ou encore de Kakiémon. Par la suite, la production de blanc de Chine se développe en Europe et les techniques céramiques progressent, permettant de produire des porcelaines similaires à celles de Chine et du Japon, dont les importations diminuent[1].

La laque devient synonyme de Japon dans la seconde moitié du XVIIe siècle[1]. Sous l’influence des missionnaires chrétiens, la laque japonaise donne naissance à l'art Nanban, utilisé pour une vaste gamme d’objets du culte comme du quotidien[1]. Leur exportation vers l’Europe était confiée à la Compagnie des Indes Orientales[1]. La reine Marie-Antoinette réunit ainsi une collection de laques japonais[2].

La première exportation d'estampes intervient plus tard, et serait le fait d’Isaac Titsingh (1745-1812), administrateur de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales à Nagasaki[1]. Philipp Franz von Siebold (1796-1866), médecin de la même compagnie arrivé plus tard au Japon, est considéré comme le découvreur de Hokusai en Europe[1]. Le japonisme commence avec les collectionneurs d'art japonais, qui exposent les œuvres qu'ils possèdent. Les premiers exemplaires d'estampes en Europe sont montrés à Paris. En 1851, les Frères Goncourt dépeignent dans leur Journal un salon décoré d’œuvres d’art japonaises[1]. En 1856, Félix Bracquemond devient le premier artiste européen à copier des artistes japonais. Sur un service de porcelaine réalisé pour Eugène Rousseau, il reproduit les figures animales de la Manga d'Hokusai. Dès lors, l'art japonais commence à être apprécié à grande échelle. Lors de l’Exposition universelle de 1867, l’art japonais compte déjà de fervents amateurs[1].

Rendus possibles par l’ouverture du Japon au monde extérieur en 1868 avec l’ère Meiji, des collectionneurs et des critiques artistiques (Henri Cernuschi, Théodore Duret, Émile Guimet) entreprennent des voyages au Japon dans les années 1870 et 1880 et contribuent à la diffusion des œuvres japonaises en Europe, et plus particulièrement en France, tant et si bien que l'Exposition Universelle de Paris en 1878 présente un bon nombre d'œuvres japonaises des collections Bing, Burty et Guimet notamment. Le roman de Pierre Loti Madame Chrysanthème, publié en 1887, ne fait qu'accentuer et populariser cette mode du japonisme. Aux expositions universelles parisiennes de 1889 et de 1900, le Japon est très présent à la fois par l'architecture, les estampes et par la production céramique. Des œuvres japonaises entrent dans les collections du Musée du Louvre en 1892. Pour l'exposition universelle de 1900 Hayashi Tadamasa réussit le fabuleux pari de faire venir de très grandes œuvres du Japon, l'Empereur Meiji proposa même quelques pièces de sa collection personnelle.

Japonisme dans les arts

De Hiroshige à van Gogh

Les principaux artistes japonais qui influencèrent les artistes européens étaient Hokusai, Hiroshige et Utamaro. Des artistes très peu reconnus au Japon, car produisant un art considéré comme léger et populaire par les élites japonaises de l'époque. Le japonisme a donc sauvé des œuvres qui allaient disparaître et permis de développer une voie nouvelle de l'art japonais.

En retour, l'arrivée des Occidentaux au Japon provoqua de nombreuses réactions chez les artistes japonais. Par exemple dans le domaine de la peinture, deux grandes écoles se formèrent : celle dite du nihonga (voie japonaise) qui eut tendance à perpétuer le canon de la peinture japonaise, et celle dite du yō-ga (voie occidentale), qui développa les techniques et les motifs de la peinture à l'huile (voir Kuroda Seiki et Kume Keiichirō, fondateur de la Société du cheval blanc, Hakuba-kai).

Cependant le mouvement inverse du japonisme est nommé bunmeikaika (文明開化?, du chinois wénmíng kaihua, « civilisation culturelle », « éclosion de la civilisation »). Il ne rencontra pas l'intérêt des artistes japonais, plus soucieux des effets de leur modernisation et occidentalisation. Il a fallu attendre une longue période pour que des artistes et chercheurs japonais se penchent sur le japonisme.

Parmi les artistes européens adeptes du japonisme, on trouve : van Gogh, Manet, Degas, Renoir, Pissarro, Klimt, Monet, Auburtin, Gauguin et donc sous son influence les Nabis (Vuillard, Bonnard ...) qui utilisèrent des formats très japonais, Giuseppe De Nittis ou Mary Cassatt qui firent collection d'estampes japonaises. Le mouvement ne toucha pas seulement la peinture, mais aussi les objets d'art avec les grès émaillés de Carriès et les productions de la maison Christofle en métal patiné.

L'ensemble de l'Art nouveau comporte de nombreuses références japonaises, voir Émile Gallé.

Japonisme dans la littérature

En littérature et en poésie, les auteurs français du XIXe siècle ressentent le besoin de rompre avec un certain classicisme et se tournent entre autres vers l'orientalisme, puis le japonisme. Concernant le Japon, il ne s'agissait pas tant d'en reprendre les thèmes que de s'inspirer d'une sensibilité et d'une esthétique nouvelle ; parmi ces auteurs figurent notamment Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé et Victor Hugo[3],[4]. D'autres écrivains évoquent les arts et l'esprit japonais dans leurs écrits, tels Marcel Proust, Edmond de Goncourt et Émile Zola[5],[6]. Pierre Loti écrit un de ses romans les plus célèbres, Madame Chrysanthème (1887), en prenant pour sujet sa rencontre avec une jeune femme japonaise pendant un mois, livre précurseur de Madame Butterfly et Miss Saigon et œuvre qui est une combinaison du récit et du carnet de voyage[7],[8].

En réaction aux excès du japonisme, l'écrivain Champfleury forge dès 1872[9] le mot-valise « japoniaiserie »[10]. Il dénonce par ce néologisme le snobisme béat et dénué d'esprit critique qui entoure alors dans certains cercles français tout ce qui touche au Japon ; le mot est ensuite repris pour qualifier ces dérives exotiques, telle que la « salade japonaise » qui figure dans la pièce d'Alexandre Dumas fils, Francillon[11], ou encore l'érotisme de pacotille qui s'inspire de Pierre Loti et que symbolise le mot « mousmé »[10].

Japonisme dans la musique

À la suite des poètes, les musiciens se sont intéressés à une poésie plus concise, plus incisive, permettant un développement mélodique plus délicat que la grande déclamation réservée au domaine de l'opéra. Dans cet esprit, renouant avec la précision du madrigal classique, l'attention des compositeurs français se porta sur des traductions de tankas et de haïkus en français.

L'un des tous premiers musiciens à se consacrer activement à la poésie japonaise fut Maurice Delage. Ayant entrepris un voyage en Inde et au Japon à la fin de 1911, il y séjourna durant l’année 1912. De retour en France, il maîtrisait suffisamment les subtilités du langage poétique pour traduire lui-même les poèmes que son ami Stravinski mit en musique en 1913 sous le titre Trois poésies de la lyrique japonaise[12].

L'œuvre de Stravinsky fut bien accueillie lors de sa création, en janvier 1914. Trois ans plus tard, Georges Migot composa Sept petites images du Japon pour chant et piano, à partir de poèmes tirés d'une anthologie des poètes classiques[12].

En 1925, Maurice Delage assista à la création de ses Sept haï-kaïs pour soprano et ensemble de musique de chambre (flûte, hautbois, clarinette en si, piano et quatuor à cordes), dont il avait traduit lui-même les poèmes.

En 1927, Jacques Pillois proposa Cinq haï-kaï pour quintette (flûte, violon, alto, violoncelle et harpe). Les haï-kaïs sont lus entre les morceaux[12].

Entre 1928 et 1932, Dimitri Chostakovitch compose son cycle de Six romances sur des textes de poètes japonais, pour ténor et orchestre, opus 21. Les textes sont partiellement tirés du recueil de la Lyrique japonaise où Stravinski avait emprunté ses trois poèmes. Les sujets, qui tournent autour de l'amour et de la mort, rejoignent les thèmes favoris du musicien russe. Il compose les trois premières romances la première année, la quatrième en 1931 et les deux dernières en 1932.

En 1951, le compositeur américain John Cage proposa à son tour Cinq haïkus pour piano, puis Sept haïkus l'année suivante. Selon Michaël Andrieu, le musicien, « amoureux des formes minimales, s'intéressera au haïku plus tard dans sa carrière[13] ».

Dès 1912, Bohuslav Martinů avait composé ses Nipponari, sept mélodies pour soprano et ensemble instrumental, qui ne furent créées qu'en 1963.

La même année, Olivier Messiaen composait Sept haïkaï, esquisses japonaises pour piano et orchestre[13].

Le compositeur Friedrich Cerha a également composé un Haïku, « vraiment en référence au Japon » selon Michaël Andrieu, « mais dont le contenu textuel est vraiment bien éloigné […] avec la perte de tout lien à la nature et aux images poétiques (le texte, dans sa traduction française, est : Plus je suis fatigué, plus j'aime être à Vienne…)[14] »

Notes et références

  1. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Hirotaka Watanabe, « Aux racines du boom japonais – le japonisme », Nippon.com, le 26 août 2015
  2. Collection de laques de Marie-Antoinette, base Atlas du musée du Louvre, louvre.fr
  3. (en) Karyn Williamson, From Orientalism to Japonisme: Hugo, Baudelaire and Mallarme, université de l'Illinois à Urbana-Champaign, , 1-7 p.
  4. (en) Elwood Hartman, « Japonisme and Nineteenth-Century French Literature », Comparative Literature Studies, vol. 18, no 2, , p. 141-166 (lire en ligne)
  5. (en) Jan Hokenson, « Proust's "japonisme": Contrastive Aesthetics », Modern Language Studies, vol. 29, no 1, , p. 17-37 (lire en ligne)
  6. (en) Yoko Chiba, « Japonisme: East-west renaissance in the late 19th century », Mosaic: A Journal for the Interdisciplinary Study of Literature, vol. 31, no 2, , p. 1-20
  7. Keiko Omoto et Francis Marcouin, Quand le Japon s'ouvrit au monde, Paris, Gallimard, (ISBN 2-07-076084-7), p. 158
  8. (en) Jan van Rij, Madame Butterfly: Japonisme, Puccini, and the Search for the Real Cho-Cho-San, Stone Bridge Press, (ISBN 9781880656525), p. 53-54
  9. Harold Bloom, Marcel Proust, Infobase Publishing, 2004, p. 99.
  10. 1 2 Jan Hokenson, Japan, France, and East-West Aesthetics: French Literature, 1867-2000, Fairleigh Dickinson University Press, (ISBN 9780838640104, lire en ligne), p. 211
  11. François Lachaud, « Bouddhisme et japonisme des Goncourt à Claudel », Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, vol. 152, no 2, p. 699-709
  12. 1 2 3 Michaël Andrieu, p. 188.
  13. 1 2 Michaël Andrieu, p. 189.
  14. Michaël Andrieu, p. 190.

Voir aussi

Bibliographie

  • Michaël Andrieu, Réinvestir la musique : Autour de la reprise musicale et de ses effets au cinéma, Paris, éditions L'Harmattan, (ISBN 978-2-296-45203-9)
  • Isabelle Charrier, La Peinture japonaise contemporaine de 1750 à nos jours, La manufacture, 1991
  • Serge Elisseev, La Peinture contemporaine au Japon, 1922
  • Olivier Gabet (dir.), Japonismes, Paris : coédition Flammarion - musée Guimet - musée d’Orsay - musée des Arts décoratifs, 2014 (ISBN 978-2-08-134305-4)
  • Brigitte Koyama-Richard, Japon Rêvé, Edmond de Goncourt et Hayashi Tadamasa, Paris, Hermann, 2001
  • Le Japonisme, Réunion des Musées Nationaux, Paris, 1988, 341 p. (ISBN 2711821927)
    Catalogue de l'exposition à Paris et Tokyo en 1988
  • Japonisme & mode, Paris Musées, Paris, 1996, 208 p. (ISBN 2879002575)
    Catalogue de l'exposition au Musée de la mode et du costume à Paris en 1996
  • (en) Yōko Takagi, Japonisme in fin de siècle art in Belgium, Pandora, Anvers, 2002, 320 p. (ISBN 9053251448)
  • (en) Gabriel P. Weisberg (et al.), Japonisme: Japanese influence on French art, 1854-1910, Cleveland Museum of Art, Cleveland, 1975, 220 p. (ISBN 0910386226)
  • (en) Gabriel P. Weisberg et Yvonne M.L. Weisberg, Japonisme: an annotated bibliography, Jane Voorhees Zimmerli Art Museum, Rutgers-The State University of New Jersey, New Brunswick, NJ ; Garland Pub, New York, 1990, 445 p. (ISBN 0824085450)

Liens externes

  • Arts asiatiques : annales du Musée national des Arts asiatiques Guimet et du musée Cernuschi, éditions Maisonneuve
  • Portail de l’histoire de l’art
  • Portail du Japon
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