Apocope
Une apocope, du grec apokoptein/αποκοπτειν (« retrancher »), est une modification phonétique, parfois utilisée comme figure de style, qui se caractérise par l'abréviation du mot complet, en gardant uniquement son ou ses premiers phonèmes ou syllabes (vocaliques ou consonantiques)[1], par exemple « auto » pour « automobile ».
On notera que l’apocope est le processus proprement dit (dans l’exemple précédent, la chute de « -mobile ») tandis que le résultat de l’apocope (ici, « auto ») est une abréviation[2].
Elle correspond à un sens bien précis du mot complet lorsqu'il possède plusieurs homonymes. Cette contracture est souvent utilisée de manière familière pour simplifier le langage.
Elle peut être employée sciemment pour oraliser un discours ou pour brouiller le message dans un but esthétique particulier. Elle est proche de l'élision, de l'ellipse, et de l'abréviation et contribue à la formation de néologismes.
La dernière lettre est quelquefois remplacée par la voyelle « o ».
Exemples en français contemporain
On notera que les exemples donnés ne sont pas tous des formes « correctes » mais des abréviations du langage familier plus ou moins à la mode (coloc, par exemple) et que d'autres sont devenus des mots « à part entière » comme auto (le salon de l'auto, par exemple)
- ado pour adolescent
- agglo pour agglomération ou les différents agglomérés inorganiques ou de bois
- alu pour aluminium
- amphi pour amphithéatre
- ampli pour amplificateur audio ou électronique
- ana pour anarchiste
- apéro pour apéritif
- appart pour appartement
- appli pour application mathématique ou informatique
- archi pour architecte ou architecture
- auto pour automobile
- bac pour baccalauréat
- basket pour basket-ball
- bi pour bisexuel
- bio pour biologique
- bob pour bobsleigh
- bus pour autobus (mais inversé dans ce cas)
- cana pour canalisation
- cap pour capable
- car pour autocar (inversé)
- cata pour catastrophe
- catho pour catholique
- ciné pour cinéma[3]
- claustro pour claustrophobe
- clim pour climatisation
- colo pour colonie de vacances
- coloc pour colocation ou colocataire
- dactylo pour dactylographe
- dermato pour dermatologue
- dico pour dictionnaire
- dupli pour duplication
- écolo pour écologiste
- exo pour exercice écrit
- expo pour exposition de stand ou musée
- extra pour extraordinaire
- fac pour faculté (éducation)
- fan pour fanatique
- flag pour flagrant délit[4]
- fluo pour fluorescent
- folk pour folklorique musical
- folklo pour folklorique, dans le sens excentrique
- foot pour football
- gastro pour gastro-entérite
- géo pour géographie
- gym pour gymnastique sportive
- hand pour hand-ball
- hebdo pour hebdomadaire régional
- hélico pour hélicoptère
- homo pour homosexuel
- imper pour imperméable (vêtement)
- info pour information ou informatique
- kart pour karting
- kilo pour kilogramme
- kiné pour kinésithérapeute
- loco pour locomotive
- lino pour linoleum
- magnéto pour magnétophone (bobines ou cassettes) ou magnétoscope
- maso pour masochiste
- maths pour mathématiques
- mayo pour mayonnaise
- mecano pour mécanicien
- mégalo pour mégalomane
- météo pour météorologie
- métro pour métropolitain
- micro pour microphone ou micro-ordinateur
- mono pour moniteur enseignant ou son monophonique
- moto pour motocyclette
- ophtalmo pour ophtalmologue
- ordi pour ordinateur
- para pour parachutiste
- perm pour permission libératoire
- philo pour philosophie
- phono pour phonographe
- photo pour photographie
- pola pour polaroid
- polio pour poliomyélite
- poly pour polycopie
- pneu pour pneumatique
- pro pour professionnel
- promo pour promotion
- prof pour professeur
- provoc pour provocation
- pub pour publicité
- radio pour radiographie
- récré pour récréation scolaire
- redif pour rediffusion d'émission audiovisuelle
- réglo pour réglementaire
- repro pour reprographie
- restau pour restaurant
- récup pour récupération d'objet
- scan pour scannerisation
- sécu pour sécurité sociale
- sous-off pour sous-officier
- spéléo pour spéléologie
- sténo pour sténographie
- stéréo pour son stéréophonique
- stylo pour stylographe
- sympa pour sympathique
- télé pour télévision ou téléobjectif[5]
- tram pour tramway
- trans pour transsexuel
- transat pour transatlantique
- transfo pour transformateur
- vélo pour vélocipède
- volley pour volley-ball
Définition
Définition linguistique
En phonétique, une apocope est l'amuïssement d'un ou plusieurs phonèmes en fin d'un mot : elle s'oppose à l'aphérèse. L'élision est une sous-catégorie de l'apocope, elle-même sous-catégorie du métaplasme. Bien que procédé phonétique à l'origine, l'apocope permet néanmoins des effets de style qui permettent de la catégoriser, dans son aspect d'écart par rapport à la norme linguistique admise, dans la classe des figures de style (les romantiques l'ont ainsi utilisée pour railler les règles poétiques figées des siècles précédents). Michel Pougeoise la classe ainsi parmi les figures de diction, comme l'aphérèse et la syncope, et dont la figure mère est le métaplasme ou altération de mot[6].
L'élision est un type particulier d’apocope.
Définition stylistique
L'apocope est très fréquente à l'oral en raison de l'usage des locuteurs qui tendent à ne pas prononcer la fin des mots ; dans cette acception, elle est un mécanisme original de création de mots nouveaux et de néologismes (voir les exemples ci-dessus)
L'argot a très souvent recours à l'apocope qui permet une souplesse de la langue indéniable dans des situations de communication où le principe d'économie prime « C'est une cata » (pour « C'est une catastrophe »).
Elle sert surtout à l'écrit pour guider le lecteur à prononcer les mots, ce qui permet au poète notamment de diriger et conditionner la réception de son texte, sur un rythme particulier par exemple comme dans Chanson à boire d'Alfred Jarry :
« C’est un’ vraie dégoûtation/ [...] Tout’ notre vénération »
L'apocope peut être classée selon son utilisation stylistique ; on distingue en effet :
- les apocopes intégrées : radio a donné par usage : « radiodiffusion », « radiographie », « radiophonie », « radiométrie », etc. Elles concernent alors soit une syllabe : colon pour « colonel », ciné pour « cinéma », soit plusieurs syllabes : prof pour « professeur », sous-off pour « sous-officier » ;
- l'apocope populaire : champ pour le « champagne », accro pour « accroché » ;
- l'apocope dans les noms propres : Fred pour « Frédérique » ;
- l'apocope dans la chanson : usage stylistique destiné à permettre une meilleure prononciation ou éviter des sonorités déplaisantes le « pauv hom il est accro » ;
- l'apocope dans les abréviations : à l'origine des acronymes : Goulag pour la définition russe de « Glavnoïe Oupravlénié Lagérieï » ou « Administration principale des camps de travail disciplinaires » ;
- l'apocope dans le verlan ou dans l'argot : cata pour « catastrophe », dej pour « déjeuner », etc.
Genres concernés
En littérature, l'apocope est majoritairement employée pour mimer la langue orale et ainsi constituer des dialogues réalistes comme dans Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline : « t’ » pour « tu » comme dans « t’as raison ».
En poésie par ailleurs, son usage contribue à étendre le phénomène de connotation et de ressources symboliques. Très utilisée par les surréalistes pour qui la langue doit être déconstruite afin de parvenir à un langage primitif, l'apocope a donné lieu à des poèmes où le sens est à reconstruire, comme dans les Exercices de style de Raymond Queneau, article apocope :
« Je mon dans un aut plein de voya. Je remar un jeu hom dont le cou é sembla à ce de la gira et qui por un cha a un ga tres... »
De nombreux poètes ont su utiliser l'apocope pour donner une dimension pseudo-archaïque à leurs vers, et ainsi donner plus de place à l'interprétation et à la réception du sens par le récepteur.
Historique de la notion
Originellement, l'apocope désigne, en poésie, la suppression du e final non élidable en fin de vers ; opération qui se pratiquait à l'hémistiche sous le nom de césure épique. Cette règle disparut à l'âge classique. Le recours à l'apocope revint néanmoins au XIXe siècle avec le genre du vers libre, de manière à traduire la prononciation naturelle (élision).
Pour Brunot (La Pensée et la langue), l'apocope est semblable à l'abrègement, mécanisme de formation de mots nouveaux par opération sur le morphème.
Pour Jean Mazaleyrat et Georges Molinié, l’apocope se définit comme « la disparition, en fin de mot, d’un e caduc non élidable : « comm(e) lui » » (Vocabulaire de la stylistique).
Notes et références
Voir aussi
Articles connexes
- Relâchement articulatoire
- Métaplasme,
- Liste des modifications phonétiques
- Synonymes : élision, amuïssement, Syncope (linguistique)
- Antonymes : aphérèse
Lien externe
- apocope dans le Dictionnaire International des Termes Littéraires (DITL)
Bibliographie des figures de style
- Quintilien (trad. Jean Cousin), De L’institution oratoire, t. I, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Budé Série Latine », , 392 p. (ISBN 2-2510-1202-8).
- Antoine Fouquelin, La Rhétorique françoise, Paris, A. Wechel, (ASIN B001C9C7IQ).
- César Chesneau Dumarsais, Des tropes ou Des différents sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue, Impr. de Delalain, , 362 p. (ASIN B001CAQJ52)Nouvelle édition augmentée de la Construction oratoire, par l’abbé Batteux. Disponible en ligne.
- Pierre Fontanier, Les Figures du discours, Paris, Flammarion, (ISBN 2-0808-1015-4, lire en ligne).
- Patrick Bacry, Les Figures de style et autres procédés stylistiques, Paris, Belin, coll. « Collection Sujets », , 335 p. (ISBN 2-7011-1393-8).
- Bernard Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Paris, 10/18, coll. « Domaine français », , 540 p. (ISBN 2-2640-3709-1).
- Catherine Fromilhague, Les Figures de style, Paris, Armand Colin, coll. « 128 Lettres », 2010 (1re éd. nathan, 1995), 128 p. (ISBN 978-2-2003-5236-3).
- Georges Molinié et Michèle Aquien, Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, LGF - Livre de Poche, coll. « Encyclopédies d’aujourd’hui », , 350 p. (ISBN 2-2531-3017-6).
- Henri Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Grands Dictionnaires », (ISBN 2-1304-9310-6).
- Michel Pougeoise, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Armand Colin, , 16 cm × 24 cm, 228 p. (ISBN 978-2-2002-5239-7).
- Olivier Reboul, Introduction à la rhétorique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Premier cycle », , 15 cm × 22 cm, 256 p. (ISBN 2-1304-3917-9).
- Hendrik Van Gorp, Dirk Delabastita, Georges Legros, Rainier Grutman et al., Dictionnaire des termes littéraires, Paris, Honoré Champion, , 533 p. (ISBN 978-2-7453-1325-6).
- Groupe µ, Rhétorique générale, Paris, Larousse, coll. « Langue et langage », .
- Nicole Ricalens-Pourchot, Dictionnaire des figures de style, Paris, Armand Colin, , 218 p. (ISBN 2-200-26457-7).
- Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Le Livre de poche, , 475 p. (ISBN 978-2-253-06745-0).
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