Thalassémie
Les thalassémies, encore appelées dans leur forme majeure anémie ou maladie de Cooley (Thomas Benton Cooley), sont des formes d'anémies héréditaires associées à une hémoglobinopathie (déficience dans la synthèse d'une ou de plusieurs des quatre chaînes formant l'hémoglobine des globules rouges). Cela se traduit par une anémie assez importante. On observe également une hypertrophie de la rate et des déformations du crâne et des os longs. La maladie est également connue sous l'appellation populaire de « maladie méditerranéenne ».
Même s'il existe deux sortes de thalassémie (alpha et bêta), du fait de la rareté de la première, les thalassémies « sans précision » correspondent, en fait, à des bêta thalassémies.
Cause
Il s'agit de maladies génétiques atteignant la production de l'hémoglobine. Cette dernière est formée de quatre sous-unités, deux alpha et deux bêta dans le cas de l'hémoglobine adulte (HbA). Suivant le type de sous-unités atteint, on parle de thalassémies alpha ou de thalassémies bêta.
Thalassémies alpha
Les alpha-thalassémies se caractérisent par un déficit de chaîne de globine-alpha dans l'hémoglobine. Elles affectent donc la synthèse des 3 sortes d'hémoglobine : HbA, HbA2 et HbF, puisque toutes contiennent la chaîne alpha ; dans ces cas la vie n'est possible que grâce à la formation de quantités importantes d'hémoglobines anormales ne se composant que des chaînes dont la synthèse n'est pas entravée : l'HbH et l'Hb Bart's.
Ces maladies sont rares et à distribution ethnique localisée.
Thalassémies bêta
Les bêta-thalassémies, appelées aussi « maladies des globules rouges », se caractérisent par l'absence de la chaîne β de l'hémoglobine. Seule la synthèse de l'HbA est entravée. Près de 200 allèles ont été décrits[1], concernant soit le gène de la chaîne β, soit, beaucoup plus rarement, des gènes régulateurs[2]. Elles touchent chaque année 200 000 enfants à la naissance
Mécanisme
Alpha-thalassémies
Bêta-thalassémies
Dans la bêta-thalassémie hétérozygote, il y a une diminution de la synthèse de l'hémoglobine à l'origine de la microcytose et l'hypochromie. La petite taille des hématies est compensée par leur nombre d'où une pseudo-polyglobulie (6 à 7 millions d'hématies/mm³). Par ailleurs, l'augmentation relative de synthèse des chaînes conduit à l'élévation du taux d'hémoglobine A2 (> 3,5 %).
Dans la bêta-thalassémie homozygote, l'excès relatif des chaînes alpha précipite dans l'érythroblaste et entraîne sa lyse par toxicité membranaire, ce qui est à l'origine d'une érythropoïèse inefficace. Les érythroblastes capables de synthétiser l'hémoglobine F parviennent à produire des réticulocytes et des globules rouges matures. Les hématies circulant sont microcytaires, c'est-à-dire de petite taille, déformés (poïkilocytose) et ont une durée de vie raccourcie. L'anémie est due à 2 mécanismes : l'érythropoïèse inefficace et l'hyperhémolyse. L'anémie profonde induit une hypersécrétion d'Érythropoïétine induisant une stimulation de l'érythropoïèse. L'expansion de ce secteur peut atteindre 30 fois la normale. Ceci a pour conséquence des déformations osseuses intéressant les os du crâne, la région malaire, les maxillaires et les extrémités des os longs principalement. Par ailleurs, l'hyperhémolyse et la métaplasie myéloïde sont à l'origine de la splénomégalie (rate augmentée de volume) et de l'hépatomégalie (foie augmenté de volume). Enfin ces patients présentent souvent une surcharge martiale en rapport avec l'hyperabsorption digestive de fer et surtout les transfusions itératives ; surcharge martiale qui peut conduire à une hémochromatose avec ses complications endocrinienne, cardiaque et hépatique.
Incidence et prévalence
Le quart de la population mondiale serait porteur d'un trait thalassémique[3].
La bêta thalassémie est fréquente dans les régions endémiques pour le paludisme parce qu'elle aide à protéger les porteurs contre cette maladie (souvent létale dans les pays en voie de développement). Le gène thalassémique est largement répandu parmi les populations occupant les bords de la Méditerranée (Thalassa = la mer en Grec ancien), en Corse, en Italie et en particulier dans le delta du Pô, en Sardaigne, en Sicile ; en Grèce, en Crète, à Chypre, au Liban, en Syrie et en Turquie.
D'autres foyers (peut-être dus à un allèle différent) existent en Thaïlande, en Inde, en Chine, aux Philippines et dans certaines régions d'Afrique.
Les zones de prévalence coïncident avec celles du paludisme, les thalassémies pouvant être un facteur protecteur vis-à-vis de ce parasite : en raison de la polyglobulie des patients thalassémiques (voir avantage hétérozygote), le nombre de globules rouges survivant à l'invasion sanguine par le plasmodium est plus important et la crise paludique est ainsi moins souvent mortelle[4] (La malaria n'a été éliminée d'Italie que récemment sous Mussolini)[réf. nécessaire].
Diagnostic de la bêta thalassémie
La thalassémie se présente cliniquement sous trois degrés de gravité : majeure, intermédiaire et mineure. La thalassémie majeure est secondaire à une forme homozygote (deux allèles atteints de la même façon, sur les deux chromosomes) ou à une forme hétérozygote composée (un allèle déficient mais de manière différente sur chaque chromosome).
L'anémie est typiquement microcytaire et hypochrome. Le taux d'hémoglobine peut être inférieur à 7 g/100 mL. Parfois l'anémie est plus modérée (thalassémie hétérozygote).
L'électrophorèse de l'hémoglobine fait le diagnostic montrant un pourcentage d'HbF constamment augmenté et majoritaire tandis que le pourcentage de l'HbA2 est normal ou élevé.
L'hyperbilirubinéme libre est le témoin de l'hémolyse.
Pour la bêta-thalassémie mineure : il n'y a pas de symptomatologie clinique. Il peut cependant exister une légère splénomégalie. La biologie montre une microcytose sans anémie ou seulement modérée, une pseudo-polyglobulie avec des globules rouges en nombre supérieur à 5 à 7 millions/mm3, une hypochromie et un taux d'HbA2 supérieure à 3,5 %.
Traitements
Seules les thalassémies majeures et intermédiaires nécessitent un traitement. Les thalassémies mineures ne nécessitent ni transfusion, ni chélation du fer.
Définitifs
Ce traitement n'est proposé que dans les formes graves et repose sur une transplantation de moelle.
Il peut être fait par allogreffe de moelle osseuse, avec un donneur de moelle : utilisé dans de nombreuses maladies du sang, notamment les leucémies. Il suscite l'espoir mais présente des risques mortels : complications hépatiques (maladie veino-occlusive dues à la chimiothérapie intensive pouvant évoluer vers une défaillance multiviscérale), maladie du greffon contre l'hôte, réactivation virale ou parasitaire lors de l'immuno-dépression. Plus le traitement intervient tôt dans la vie et plus le taux de réussite augmente. Cela pose le problème du donneur qu'on recherche généralement dans la famille pour des raisons d'histocompatibilité HLA. De plus, en raison du rapport bénéfice/risque, il est indiqué pour les nourrissons, enfants et adolescents. Pour l'adulte des critères péjoratifs ont été établis afin d'évaluer le risque d'échec ou de morbidité. L'âge, le taux de ferritine, l'état du foie (fibrose, hépatomégalie, hépatite) sont à considérer. En raison de difficultés « hémo-phagocytaires » la splénectomie est aussi à envisager.
Une alternative pourrait être l'injection de sang du cordon ombilical comprenant les cellules souches[5]. L'avantage théorique est de pouvoir se passer d'une concordance des groupe HLA.
La greffe peut être autologue, associée à une thérapie génique : l'idée est d'instiller un gène médicament dans le patrimoine génétique via un vecteur viral (rétrovirus du Sida modifié). Ainsi on peut corriger des cellules souches de moelle osseuse du malade même : on les infecte par un virus sain thérapeutique puis on les réinjecte en les laissant diffuser après une chimiothérapie (greffe autologue). Cette technique a été tentée chez deux patients, avec un bon résultat pour l'un d'eux, traité en 2007[6]. Elle a le mérite de ne pas nécessiter de donneur extérieur (allogreffe) et d'éviter les rejets (maladie du greffon), mais ne dispense pas des lourdeurs d'une chimiothérapie intensive et de ses risques. Cette solution est essentiellement expérimentale pour le moment.
Palliatifs
Le traitement consiste en des transfusions sanguines en fonction du dosage de l'hémoglobine, environ une fois par mois. Les transfusions maintiennent un taux d'hémoglobine aux alentours de 120 gL-1, évitent l'apparition des signes cliniques. Elles sont maintenues à vie si une allogreffe de moelle est impossible (sans transfusion, l'espérance de vie atteint rarement 8 ans dans les formes graves).
L'élimination de l'excès de fer (surcharge martiale) dû à l'apport extérieur chronique de sang et à la mort prématurée des globules rouges mal formés (apoptose) est indispensable. Pour éviter ces dépôts toxiques un peu partout dans le corps, on a longtemps utilisé un chélateur (la deferoxamine) qui fixe le fer et l'élimine via les voies naturelles, diminuant ainsi les complications de cette maladie ainsi que la mortalité[7]. Toutefois le traitement est lourd et usant : piqûres quasi journalières avec des perfusions qui durent plusieurs heures (une dizaine parfois). Étant donné la faible compliance, un traitement par voie orale plus aisé existe (deferiprone et deferasirox), avec des performances moindres mais semble-t-il « acceptables ». Un compromis pourrait être l'association d'un chélateur par voie orale avec la deferoxamine[8]. La chélation du fer a permis d'augmenter l'espérance de vie des malades d'une dizaine d'années (sans chélation l'espérance de vie est d'une vingtaine d'années).
L'ablation de la rate (splénectomie) est souvent conseillée en raison d'un filtrage rigoureux, voire anormal des cellules sanguines et immunitaires qui augmente sensiblement la fréquence des transfusions.
Évolution
Dans le cas d'une thalassémie majeure, sans traitement, l’espérance de vie de l'enfant ne dépasse guère 20 ans[1]. L'anémie chronique sévère entraîne des déformations faciales (type mongoloïde), nanisme, ventre proéminent (foie et rate volumineux), des déformations osseuses, une splénomégalie et une hépatomégalie. Il existe une pâleur et une asthénie profonde surtout en fin de cycle chez la fille pubère. La puberté est souvent retardée.
La surcharge en fer peut entraîner une hémochromatose et les signes qui s’ensuivent : diabète insulino-dépendant, lésions oculaires, atteintes hypophysaires et donc hormonales (trouble de l'érection, retard des règles), fibrose hépatique, désordres cardiaques, douleurs articulaires (genoux, doigts...).
Les thalassémies mineures comportent une anémie modérée qui n'entraine pas de symptômes apparents et n'a pas de graves répercussions sur la qualité de vie. Il n'y a pas de nécessité de transfusion.
Conseil génétique
Le diagnostic génotypique des lésions moléculaires responsables, établi par la biologie moléculaire, n'est pas nécessaire au diagnostic, mais indispensable au diagnostic prénatal.
Il s'agit d'une maladie à transmission autosomique récessive.
Notes et références
- (en) Online Mendelian Inheritance in Man, OMIM (TM). Johns Hopkins University, Baltimore, MD. MIM Number:604131 [hhttp://www.ncbi.nlm.nih.gov/omim/604131]
- (en) GeneTests: Medical Genetics Information Resource (database online). Copyright, University of Washington, Seattle. 1993-2005
- 1 2 (en) Higgs DR, Engel JD, Stamatoyannopoulos G. « Thalassaemia » Lancet 2012;379:373-83.
- ↑ (en) Driscoll MC, Dobkin CS, Alter BP. « γδβ-thalassemia due to a de novo mutation deleting the 5′ β-globin gene activation-region hypersensitive sites » Proc Natl Acad Sci USA, 1989;86:7470-4.
- ↑ (en) Modell B, Darlison M. « Global epidemiology of haemoglobin disorders and derived service indicators » Bull World Health Organ. 2008;86:480-7.
- ↑ Dominique Labie « Les thalassémiques sont protégés contre le paludisme par leur polyglobulie » Hématologie 2008;14(4):320. lire en ligne
- ↑ (en) Pinto FO, Roberts I. « Cord blood stem cell transplantation for haemoglobinopathies » Br J Haematol. 2008;141:309-24.
- ↑ (en) Cavazzana-Calvo M, Payen E, Negre O. « Transfusion independence and HMGA2 activation after gene therapy of human β-thalassaemia » Nature 2010:467;318–22.
- ↑ (en) Brittenham GM, Griffith PM, Nienhuis AW et al. « Efficacy of deferoxamine in preventing complications of iron overload in patients with thalassemia major » N Engl J Med. 1994;331:567-73.
- ↑ (en) Aydinok Y, Ulger Z, Nart D et al. « A randomized controlled 1-year study of daily deferiprone plus twice weekly desferrioxamine compared with daily deferiprone monotherapy in patients with thalassemia major » Haematologica 2007;92:1599-606.
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