Navires noirs
Les navires noirs ou vaisseaux noirs (黒船, kurofune?) sont le nom donné aux bateaux à vapeur occidentaux par les Japonais au XIXe siècle. Ce nom désigne aussi plus précisément la flotte du commodore américain Matthew Perry, composée de quatre canonnières (le Mississippi, le Plymouth, le Saratoga et le Susquehanna), qui accosta au port d’Uraga le . Cette force armée, utilisée comme une menace, est considérée comme l’un des facteurs ayant entraîné l’ouverture du Japon à l’Occident.
L'origine du terme
La couleur noire fait allusion à la coque des navires, badigeonnée au goudron. Les grandes caraques de 1200 à 1600 tonnes[1] - appelées nau do trato, naus d'argent ou naus de Chine par les Portugais[2] - qui avaient été engagées dans un commerce triangulaire avec la Chine et le Japon, avaient la coque peinte en noir avec de la poix et le terme[3] a fini par désigner tous les navires occidentaux. Le nom est inscrit dans le Nippo Jisho, le premier dictionnaire occidental japonais, compilé en 1603.
La diplomatie par la menace maritime
Désirant mettre fin à la politique isolationniste (sakoku) en vigueur au Japon depuis l’époque d'Edo, le gouvernement américain charge en 1853 le commodore Perry de porter une lettre du président Fillmore et de négocier un traité commercial avec le Japon. Le , ce dernier aborda une première fois les côtes japonaises au large d’Uraga, dans la baie d’Edo. Les représentants du Shogun qu’il rencontre refusent cependant de porter son message et lui demandent de se rendre à Nagasaki, seul port nippon ouvert au commerce occidental à l’époque.
Perry refuse alors de quitter les lieux, et utilise la menace de la force pour contraindre à la négociation. Mettant en œuvre une stratégie relevant de la politique de la canonnière, il dispose sa flotte, armée de canons Paixhans, de manière à pouvoir viser la ville d’Uraga et les embarcations japonaises. Il complète cette manœuvre en envoyant, sous couvert de drapeau blanc, une lettre d’intimidation déclarant la victoire certaine des forces américaines si les Japonais choisissaient le combat. Cette démonstration de la puissance navale, technologique et militaire occidentale fit une impression telle que le , les délégués nippons acceptèrent la requête de Matthew Perry. C’est l’année suivante, en février 1854, que Perry retourna au Japon avec deux fois plus de navires, escadre constituée cette fois-ci d’autant de bâtiments américains qu’européens (britanniques, français, néerlandais et russes), pour concrétiser les engagements japonais. Le , il signe avec le Shogunat japonais la convention de Kanagawa qui autorise les navires américains à entrer dans les ports nippons et ouvre la porte à des relations diplomatiques pérennes. Cet épisode marque le début de l’ouverture (commerciale et culturelle) du Japon à l'Occident, qui se confirmera avec la signature du traité d'amitié et de commerce le et de documents similaires avec les autres puissances occidentales dans les années suivantes. Cet épisode est un des facteurs explicatifs du Bakumatsu.
Réactions au Japon
Un kyōka (un poème comique, semblable à un waka de cinq lignes) célèbre décrit la surprise et la confusion engendrées par l’arrivée de ces navires :
泰平の | Taihei no |
眠りを覚ます | Nemuri o samasu |
上喜撰 | Jōkisen |
たった四杯で | Tatta shihai de |
夜も眠れず | Yoru mo nemurezu |
Ce poème multiplie les jeux de mots (掛詞, kakekotoba?, « mots pivots »). Taihei (泰平?) signifie « tranquille », Jōkisen (上喜撰?) est le nom d’un thé vert à forte teneur en caféine et shihai (四杯?) signifie « quatre tasses ». Une traduction littérale du poème pourrait alors être :
- Tiré
- D’un sommeil paisible
- Par le thé Jokisen
- Quatre tasses suffisent
- Empêchent de fermer l’œil de la nuit
Mais la lecture des mots pivots permettent d’entrevoir une traduction alternative. Taihei (太平?) peut renvoyer à l’« Océan Pacifique », jōkisen (蒸気船?) signifie aussi « bateau à vapeur » et shihai peut vouloir dire « quatre vaisseaux ».
Le poème prend alors une signification cachée :
- Les bateaux à vapeur
- Brisent le sommeil paisible
- Du pacifique
- Quatre vaisseaux suffisent
- Empêchent de fermer l’œil de la nuit
Les vaisseaux noirs furent aussi popularisés par une série d’estampes largement diffusées.
Postérité du terme
L’expression « navires noirs » (Kurofune) sera par la suite utilisée au Japon pour désigner une menace liée à la technologie occidentale.
Commémorations
La mémoire de cet événement est annuellement rappelée la troisième semaine de mai à Shimoda, lors de la « Kurofune Matsuri »[4]. Ce festival consiste en une reconstitution historique costumée de la ville sous la période Edo, agrémentée d’une parade, d’une mise en scène comique de la signature du traité, d’une cérémonie de commémoration, d’un spectacle pyrotechnique et de joutes sportives[5].
Autres inspirations
« Navires noirs » (Kurofune) est aussi le nom du premier opéra composé par Kosaku Yamada joué pour la première fois en 1940[6]. Le livret raconte l’histoire de Tojin Okichi, une geisha prise dans l’effervescence du shôgunat de Tokugawa[7].
Références
- ↑ (en) Sanjay Subrahmanyam, The Portuguese empire in Asia, 1500-1700 : a political and economic history, University of Michigan, Longman, (ISBN 0-582-05069-3 et 0582050685, LCCN 92010236, présentation en ligne), p. 138
- ↑ (en) Helena Rodrigues, « Nau do trato », Cham, Cham (consulté le 5 juin 2011)
- ↑ (en) M. D. D. Newitt, A history of Portuguese overseas expansion, 1400-1668, Routledge, (ISBN 0-415-23980-X et 0415239796, LCCN 2004005783, présentation en ligne, lire en ligne)
- ↑ (en) « Site officiel de la ville de Shimoda » (Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?).
- ↑ (en) « Explications détaillées en anglais sur le site officiel de la ville de Shimoda ».
- ↑ (en) « Simon Holledge’s interview with Hiroshi Oga citing the premiere of the ‘Black Ships’ opera » (Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?).
- ↑ (en) « ‘Black Ships’ opera », New National Theatre Tokyo.
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Black Ships » (voir la liste des auteurs).
Voir aussi
Articles connexes
- Sakoku, littéralement « fermeture du pays »
- Matthew Perry
- Politique de la canonnière
- Convention de Kanagawa
- Traité d'amitié et de commerce États-Unis-Japon de 1858
- Bakumatsu
Bibliographie
- (en) William Gerald Beasley, The Perry mission to Japan, 1853 - 1854, Midsomer Norton, Bookcraft, , 2400 p. (ISBN 978-1903350133, présentation en ligne, lire en ligne)
- (en) Matthew Calbraith Perry, Narrative of the expedition of an American Squadron to the China Seas and Japan, 1856, New York, D. Appleton and Company, (présentation en ligne, lire en ligne) [digitized by University of Hong Kong Libraries, Digital Initiatives, "China Through Western Eyes."]
- (en) Bayard Taylor, A visit to India, China, and Japan in the year 1853, New York, G.P. Putnam’s sons, (présentation en ligne, lire en ligne) [digitized by University of Hong Kong Libraries, Digital Initiatives, "China Through Western Eyes."]
Liens externes
- (en) « Site du musée de l’histoire de l’US Navy » (Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), consulté le 2013-04-08
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