Pieuvre
L'appellation « Poulpe ou pieuvre » s'applique en français à plusieurs taxons distincts.
Une pieuvre commune.
Taxons concernés
Pieuvre et poulpe sont des noms vernaculaires ambigus désignant en français certains céphalopodes benthiques du super-ordre Incirrina. Ces animaux se caractérisent, au sein des céphalopodes, par leurs huit bras et leur grande intelligence. Le corps est entièrement mou hormis un bec, qui ressemble à certains égards à celui des perroquets.
Étymologie et appellations
Le mot « poulpe » vient du grec πολυποúς (polypous), qui signifie « plusieurs (πολύ - poly : plusieurs) pieds (ποúς - poús) ».
Le mot « pieuvre » est d'origine plus récente que « poulpe » : il semble cependant en dériver, si l'on en juge par la forme intermédiaire « poufre » ou « pouvre » que l'on rencontre dans le vocabulaire des pêcheurs en Languedoc (la forme occitane générale étant « póupre »). « Pieuvre » est emprunté aux pêcheurs guernesiais par Victor Hugo lors de son séjour sur cette île anglo-normande[1] : en 1865 il introduit ce mot en français dans son roman Les Travailleurs de la mer. Le succès de cette œuvre est tel, que « Pieuvre » supplante rapidement le mot « poulpe » dans l'usage courant et passe même en italien avec le mot piovra.
Ces deux appellations ne sont pas également usitées selon les régions et ne concernent pas tous les octopodes des côtes atlantiques et méditerranéennes françaises. En général, « poulpe » a évolué en appellation surtout commerciale et gastronomique, concernant notamment le poulpe commun. Toutefois l'animal vivant est encore désigné par « poulpe » entre la Camargue et Cannes, alors que « pieuvre » domine ailleurs. On désigne par « poulpe » surtout les espèces de la famille des octopodidés, soit la plus grande famille d'octopodes, rassemblant plus de 200 espèces. Les espèces de cette famille ont notamment comme point commun leur mode de vie benthique, mais le terme « poulpe » peut aussi désigner des espèces du super-ordre Incirrina puisqu'elles partagent avec la famille Octopodidae certains caractères, hormis leur mode de vie benthique. Tandis que les espèces de l'autre sous-ordre (Cirrina), les cirrates, ne sont donc pas des poulpes puisqu'elles possèdent des cirres, une ombrelle et des nageoires et ont un mode de vie pélagique[2].
Noms vernaculaires et noms scientifiques correspondants
Liste alphabétique de noms vernaculaires attestés[3] en français.
Note : certaines espèces ont plusieurs noms et, les classifications évoluant encore, certains noms scientifiques ont peut-être un autre synonyme valide.
- Pieuvre à anneaux bleus — Hapalochlaena maculosa
- Pieuvre blanche — Eledone cirrhosa
- Pieuvre boréale — Bathypolypus arcticus
- Pieuvre chatrou de nuit — Octopus briareus
- Pieuvre commune — Octopus vulgaris
- Pieuvre dimorphe — Ocythoe tuberculata
- Pieuvre diurne — Octopus cyanea
- Pieuvre géante du Pacifique — Enteroctopus dofleini
- Pieuvre tachetée — Callistoctopus macropus
- Pieuvre ocellée — Octopus ocellatus
- Pieuvre mimétique — Thaumoctopus mimicus
- Pieuvre mouchetée — Callistoctopus macropus
- Pieuvre musquée — Eledone moschata
- Pieuvre photogénique — Wunderpus photogenicus
- Pieuvre de récif commun — Octopus cyanea
- Pieuvre de récif caraïbe — Octopus briareus
- Gros poulpe bleu — Octopus cyanea
Physiologie, comportement et écologie
Les caractéristiques générales des pieuvres sont celles des Octopoda, avec des nuances pour chaque espèce : voir les articles détaillés pour plus d'informations sur leur description ou leur mode de vie.
Biologie
Le cœur principal ou « systémique » est relayé par deux petits cœurs branchiaux qui pompent le sang oxygéné par les branchies. La pieuvre a le sang bleu et non rouge comme chez les vertébrés à cause de l'absence d'hémoglobine qui est remplacée par l'hémocyanine.
Certaines espèces ont une espérance de vie de six mois, alors que la pieuvre géante peut vivre cinq ans si elle ne se reproduit pas.
Alimentation
En temps normal, elle chasse en se déplaçant plutôt au ras du sol, qu'elle effleure à peine de la pointe de ses tentacules.
Doublant son poids presque tous les trois mois, la pieuvre est dotée d'un appétit proportionnel à sa croissance. Surtout friande de crabes et de coquillages, elle en rejette les carapaces et coquilles. La bouche qui s'ouvre entre les tentacules, est armée d'une paire de mandibules cornées normalement invisibles, en forme de bec de perroquet.
Reproduction
La copulation des pieuvres peut durer de une à plusieurs heures. Sécrétées par le pénis interne, les poches de sperme (ou spermatophores) sont acheminées par le siphon vers une gouttière du bras hectocotyle qui servira à les introduire dans la cavité palléale de la femelle.
Une fois fécondée, la femelle surveille ses œufs pondus en grappes au plafond d'une niche rocheuse. Pendant six semaines, elle les protège, les aère, les nettoie, sans manger. Lorsqu'ils éclosent, elle meurt affaiblie et décharnée, mais ne meurt pas de faim. Des sécrétions endocriniennes provenant des deux glandes optiques sont la cause d'une mort génétiquement programmée (et si ces glandes sont enlevées par chirurgie, la femelle peut vivre plusieurs mois après sa reproduction, jusqu'à mourir finalement de faim).
Locomotion et défense
Refoulant l'eau de mer par un siphon, la pieuvre peut se propulser pour échapper à ses poursuivants comme un avion à réaction. Elle prend la fuite en projetant à volonté un ou plusieurs nuages d'encre, laquelle est sécrétée dans sa « poche au noir ».
Le cas échéant, si un de ses bras est sectionné, il peut repousser.
Grâce à l'homochromie, l'animal peut changer la couleur et la structure de sa peau en fonction de son humeur et de son environnement immédiat. Sa peau recèle des millions de cellules colorées contractiles, les chromatophores, et peut aussi se couvrir à volonté de taches, de petites cornes et autres pustules mimétiques. Le changement de couleur peut être un signal, par exemple, pour la très toxique pieuvre aux anneaux bleus. Elle peut prendre l'apparence d'une silhouette comme celle du poisson-lion ou de l'anguille.
Intelligence
Enfin, la pieuvre fait preuve d'une intelligence étonnante pour un invertébré. Elle serait capable de déduire, de mémoriser et d'apprendre. Par exemple, des pieuvres ont compris par observations successives comment retirer le couvercle d'un bocal pour accéder à la nourriture contenue dans ce dernier[4].
Pour des raisons inexpliquées, il arrive également aux pieuvres de disposer des coquillages ou débris autour de leur habitat. Certains comparent ce comportement à une forme de décoration[5].
Elles possèdent une mémoire, stockée dans leurs nombreux neurones. Les poulpes de Méditerranée sont sans conteste les plus astucieux car, vivant dans l’environnement relativement hostile de l’Empédocle, volcan sous-marin situé entre la Sicile et la Tunisie, ils ont appris à tirer avantage des émanations sous-marines : de nombreux crustacés meurent d'excès de chaleur ou d'hypoxie autour des évents, et les poulpes viennent ensuite les déguster. Les filets perdus par les pêcheurs qui continuent à piéger des poissons au fond, profitent aussi au poulpe de Méditerranée qui vient les y dévorer.
Relation avec l'homme
En aquarium il arrive que certains poulpes, comme certaines murènes, habitués à l'homme, deviennent familiers, mais en milieu naturel ils se montrent plutôt craintifs.
En gastronomie, qui demeure l'essentiel de la relation homme-poulpe, ce dernier est appelé chatrou dans la cuisine antillaise ; à la Réunion, on parle de « zourit », que l'on cuisine en civet.
En Amérique du Nord, on utilise le nom de pieuvre et il arrive parfois que le nom soit aussi donné aux calmars.
Les poulpes dans la culture
Tout en servant de motif décoratif depuis l'Antiquité, les poulpes ont eu, durant des siècles, mauvaise réputation : outre le kraken, gigantesque créature fantastique issue des légendes scandinaves médiévales et réputée capable de tirer au fond des navires, on trouve encore dans Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo la description d'un combat entre le personnage de Gilliatt et une pieuvre carnivore[6], repris en outre dans la sculpture et au cinéma dès 1918 dans Les Travailleurs de la mer, film muet de d'André et Léonard Antoine, avec d'innombrables avatars ultérieurs. L'image de la pieuvre sert aussi de métaphore (notamment dans les théories du complot ou dans les analyses des réseaux mafieux) pour parler d'une organisation tentaculaire qui accapare secrètement de l'influence par des moyens coercitifs.
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Poulpe sur un vase antique du Musée archéologique d'Athènes.
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Gilliatt et la pieuvre : sculpture par Joseph Carlier (1879).
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Entrée principale de l'Institut océanographique de Paris (1911).
Avec l'avènement de la plongée sous-marine et surtout du cinéma documentaire, l'animal réel a été mieux connu et a fini par devenir presque sympathique (des peluches le représentent dans les commerces de souvenirs), sans pour autant cesser d'être un mets de choix. Ainsi, par exemple, une pieuvre commune appelée Paul et vivant en captivité entre 2008 et 2010 dans un aquarium d'Oberhausen (Allemagne) a été utilisée pour prédire les résultats des principaux matchs de l'équipe nationale de football allemande[7]. Elle crée la sensation à la Coupe du Monde 2010 en désignant systématiquement l'équipe vainqueur, à l'occasion des 7 matchs de l'équipe d'Allemagne et de la finale Pays-Bas - Espagne. Paul le poulpe est mort le 25 octobre 2010[8].
Notes et références
- ↑ http://www.cnrtl.fr/etymologie/pieuvre
- ↑ Bernhard Grizmek, Le monde animal en 13 volumes : Encyclopédie de la vie des bêtes, vol. 3, Zurich, Gredos, (ISBN 328700204X)
- ↑ Attention aux appellations et traductions fantaisistes circulant sur l'Internet
- ↑ Vincent Armillon, « Les pieuvres font preuve d’une intelligence surprenante » (Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?), Fréquence Terre, mis en ligne le 6 juillet 2008
- ↑ Voir fin de cet article du Web Pedagogique
- ↑ Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, éd. Primento 2012, ISBN 9782806240521, 631 pages.
- ↑ « Paul le poulpe est formel : l'Espagne va battre l'Allemagne », sur lemonde.fr,
- ↑ « Paul le poulpe, star de la Coupe du monde de football, est mort », Le Monde (consulté le 6 novembre 2010)
Voir aussi
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