Agriculture intensive
L'agriculture intensive est un système de production agricole fondé sur un accroissement de la production agricole optimisé par rapport à la disponibilité des facteurs de production (moyens humains, matériels et surfaces cultivées). Ce rapport entre volume produit et facteur de production est appelé productivité. L'agriculture intensive existe dans deux systèmes opposés, l'un traditionnel, l'autre moderne. En système traditionnel, les ressources humaines sont nombreuses, les moyens matériels et les disponibilités foncières sont rares ː l'intensification agricole y est fondée sur l'investissement humain maximal par rapport aux autres facteurs de production. En système moderne, on a la situation inverse, les moyens humains sont peu nombreux, l'intensification requiert des investissements importants et une utilisation accrue d’intrants agricoles (énergie, engrais, matériel). C'est ce deuxième système qui est habituellement désigné par l'appellation « agriculture intensive »[1].
Agriculture et productivité
En fonction des moyens mobilisés on peut avoir une productivité physique par unité de main-d'œuvre (UTH, pour unité de travail humain) ou une productivité physique par unité physique ou économique exploitée (productivité par hectare de surface agricole, par unité de surface dans un bâtiment d'élevage ou dans une serre, par quantité de capital immobilisé). En fait la productivité est une notion inhérente au système technique utilisé, ce qui impose de le définir préalablement. Ainsi, à rebours de la productivité des systèmes agricoles intensifs conventionnels, Michel Griffon[2] met en avant une productivité qui est le résultat de moyens écologiques mis en œuvre, il développe dans ce sens l'idée d'agricultures écologiquement intensives fondées sur la mobilisation de technologies ayant globalement un effet positif sur l'environnement. Dans cette approche on pourra consulter aussi l'article Micro-agriculture biointensive.
La productivité physique ne doit pas être confondue avec la productivité en valeur fondée sur la valeur de la production rapportée aux moyens économiques engagés même si les deux se recoupent et encore moins avec la rentabilité.
En fonction des moyens mis en œuvre et surtout de l'importance de la main d'œuvre engagée, l'agriculture intensive peut se rencontrer dans deux systèmes opposés :
- l'agriculture traditionnelle d'une part,
- l'agriculture moderne d'autre part.
Aux origines de l'intensification : systèmes agricoles traditionnels et intensification
Un trait essentiel des systèmes agricoles traditionnels et intensifs est l'importance du travail humain (nombre d'UTH engagées par unité foncière). La ressource rare est le foncier. La main-d'œuvre est abondante et/ou faiblement rémunérée. Ceci se traduit par une productivité élevée du foncier et une productivité faible de l'UTH.
Cas de l'agriculture chinoise
Le système agricole traditionnel chinois est intensif (forte productivité par unité foncière), son caractère traditionnel historique s'exprimant dans l'importance de la main d'œuvre engagée au sein de très petites ou de microexploitations. En 1957, on comptait 130 millions d'exploitations familiales, avec en moyenne 6 personnes et 1,7 hectare par famille. En 1958, elles furent transformées en 26000 communes populaires, puis, 3 ans après, en 6 millions d'équipes de production. Après les réformes engagées en 1978, les paysans ont repris le contrôle de leurs terres. On compte aujourd'hui 250 millions d'exploitations familiales employant, en moyenne, 1,4 personne sur moins d'un demi-hectare[3].
Ce système est aujourd'hui déstabilisé par l'industrialisation et l'attractivité urbaine qui en résulte comme cela s'est produit dans le passé dans les pays développés occidentaux. Parallèlement, on constate le développement à grande vitesse d'une agriculture moderne intensive, notamment dans le secteur de l'élevage industriel (porcs et volailles).
On doit à des travaux de recherche d'économistes et historiens d'avoir montré l'ancienneté et les conditions de l'émergence de ce système qui a accompagné et permis une expansion démographique, en particulier le travail réalisé par Li Bozhong sur la révolution agricole à l'époque des Tang (618-906) rapporté par Michel Cartier[4]. À l'inverse d'autres systèmes agricoles traditionnels, le système agricole chinois n'a jamais été autarcique mais au contraire fortement inclu dans une économie d'échange et lié à une multiactivité. Tout cela a contribué à faire de la Chine la première économie mondiale en termes de PNB jusque vers 1850, position qu'elle est en train de retrouver[3].
Les facteurs principaux de cette intensification agricole ont été :
- la priorité aux cultures
- l'utilisation intensive du fumier
- le recours massif à l'irrigation
Les réseaux d'irrigation exigeaient une main d'œuvre très importante tant pour la construction des ouvrages que pour leur entretien. Cette intensification découle de ce que la Chine ne compte que 10,1 % de sa surface en terres arables soit 0,08 ha par habitant alors que ce pourcentage est 27,8 % en Europe avec 0,26 ha de terre arable par habitant et 52,7 % en France avec 0, 46 ha par habitant, (valeurs pour 1996[3]).
Aujourd'hui 52 % des terres arables sont irriguées en Chine contre 10 % aux États-Unis[3].
Agriculture moderne et intensification
La notion d'agriculture moderne n'implique pas obligatoirement la mise en œuvre d'une intensification mais plutôt une optimisation de l'emploi des moyens de production (foncier, travail, capitaux) en fonction des prix des produits livrés sur le marché, optimisation au sens mathématique du terme telle que mise en œuvre initialement dans les travaux pionniers de Jean Chombart de Lauwe sur l'optimisation linéaire appliquée à la gestion de l'exploitation agricole[5]. Le trait dominant de l'agriculture moderne, intensive ou non, est la réduction du coût du travail ou du temps de travail par unité physique de production dans le coût de production, donc une productivité élevée du travail ou de l'UTH.
Agriculture moderne non intensive ou partiellement intensive
Elle est mise en œuvre en particulier lorsque le coût du foncier est particulièrement bas, situation qui peut se rencontrer dans certains pays. On a dans ce cas une productivité par hectare faible avec une productivité par UTH élevée. Par exemple :
En productions animales
- L'élevage bovin à viande sud américain, au Brésil, en Argentine et en Uruguay, peut être à la fois extensif (utilisation de grands espaces herbagers avec une faible charge de bétail à l'hectare, très peu de mécanisation et d'intrants), et moderne en ce sens qu'il utilise certains outils de l'élevage moderne (traitements antiparasitaires des animaux, prophylaxies, contention), avec un faible coût relatif de la main d'œuvre, pour obtenir les coûts de production de viande bovine les plus bas sur le marché mondial.
- L'élevage bovin laitier néo-zélandais est souvent considéré comme extensif en ce sens qu'il est essentiellement herbager, avec très peu d'intrants achetés par comparaison avec les systèmes laitiers européens et nord américains qui pratiquent l'intensification fourragère (ensilage de maïs) et le recours aux concentrés alimentaires, tout en étant très moderne par sa rationalité, avec encore un faible coût relatif de la main d'œuvre. En fait la production de l'herbe y est intensive (fertilisation et irrigation). Dans ce système herbager la maîtrise très poussée de la traite mécanique des grands troupeaux contribue à une productivité poussée par unité de main d'œuvre. Au bilan, ce système laitier livre des produits laitiers au prix le plus compétitif sur le marché mondial[6].
En productions végétales
Certains systèmes de production, céréaliers notamment, australiens, nord américains et sud américains, peuvent être à la fois modernes et partiellement extensifs ou peu intensifs (peu d'intrants par hectare par rapport aux systèmes européens, pas d'irrigation), avec une forte mécanisation donc avec une productivité par hectare moindre, mais avec très peu de main d'œuvre. En Australie (céréaliculture moderne et non intensive ou semi extensive), on produit du blé à raison de 15 à 20 quintaux par hectare en moyenne mais sur des exploitations de 4000 à 5000 hectares. En France, dans le Bassin Parisien (céréaliculture moderne et intensive), on produit 80 à 100 quintaux par hectare mais sur des exploitations de 150 à 300 hectares pour le principal[7].
Agriculture moderne intensive
L'agriculture moderne intensive cumule à la fois une productivité physique élevée du foncier ou des capitaux fixes immobilisés et une productivité élevée des UTH. C'est en ce sens qu'elle est parfois qualifiée de productiviste, terme en vogue lors de l'après-guerre dans les pays totalitaires et occidentaux, mais à connotation parfois péjorative au début du XXIe siècle.
Elle fait appel :
- à des équipements achetés apportés par la technique moderne : machinisme agricole, irrigation et drainage des sols, culture sous serre et culture hors-sol, etc.,
- à des agrofournitures achetées : semences, engrais, produits de traitement des cultures, produits de l'industrie de l'alimentation du bétail, etc.,
- à des techniques très diversifiées développées par l'enseignement technique agricole, par les organismes techniques de développement agricole et par la Recherche elle-même (l'INRA, le CEMAGREF etc. en France), par les services commerciaux aussi des firmes industrielles.
En maximisant les rendements, l'agriculture intensive permet de réduire, à production égale, les surfaces cultivées. À titre d'exemple, en France entre 1989 et 2005, le rendement moyen toutes céréales est passée de 60 à 70 q/ha, permettant une augmentation de la production de 11,3 % et une réduction de 2,7 % du sol consacré à ces cultures, libérant environ 259 000 hectares de terre[8]. C'est l'augmentation des rendements qui a permis, depuis l'après-guerre, d'augmenter sensiblement le taux de boisement du pays, malgré la stérilisation croissante de surfaces agricoles urbanisées.
Histoire
L'agriculture intensive a permis, au cours du XXe siècle, d'augmenter très fortement les rendements et par voie de conséquence la production agricole, et de diminuer corrélativement les coûts de production. Les gains de productivité réalisés ont autorisé la très forte diminution de la population agricole dans les pays développés (elle ne représente plus que 2 à 3 % de la population active), en répondant aux besoins alimentaires et de fibre (coton) de la population agricole et non agricole et en trouvant de nouveaux marchés via l'exportation massive d'une partie de la production, contribuant parfois à corriger, en partie au moins, les déséquilibres alimentaires existant sur la planète, mais parfois en les accentuant en cassant les marchés locaux non concurrentiels.
L'industrialisation agricole a fait reculer la pénibilité des conditions de vie et/ou de travail des agriculteurs, souvent en augmentant leurs revenus, mais avec une forte perte d'emploi agricole.
L'intensification de l'agriculture datant des années 1960 à 1980 est aussi connue sous le terme de révolution verte. Elle a assuré la sécurité alimentaire, tant en quantité qu'en qualité, des pays développés et a contribué à améliorer l'approvisionnement de certains pays en voie de développement, notamment l'Inde.
Les pays dits « en voie de développement » n'ont souvent pas pu bénéficier des avantages ou des richesses espérées permises par l'agriculture moderne. Les raisons les plus citées en sont des sols et climat souvent défavorables, l'insuffisance d'eau, de capital financier, de formation adaptée et dans un certain nombre de pays de conditions politiques, économiques ou juridiques défavorables, ou les déséquilibres induits par certaines taxes ou protection de marchés, ou surtout par les subventions massives données à l'agriculture industrielle des pays riches.
Conséquences environnementales de l'intensification
L'agriculture intensive est accusée d'être pratiquée aux dépens des considérations environnementales, d'où son rejet par un certain nombre de producteurs et de consommateurs, ce à quoi certains défenseurs de l'intensification arguent que l'agriculture intensive ne peut atteindre ses objectifs de rendement qu'en fournissant aux plantes des conditions optimales de croissance, en compensant la perte de fertilité naturelle du sol par des intrants remplaçant les éléments exportés. Leurs détracteurs répondent que le bilan négatif des exportations de matière organique se traduit par une perte d'humus, que les engrais et les pesticides contribuent à une dégradation des qualités pédologiques du sol et que le drainage et l'arrosage ont des conséquences en amont et en aval (coûts externes) non compensés.
D'autres enfin notent que certaines agricultures traditionnelles avaient développé d'autres formes performantes d'intensification, sans mécanisation ni intrants chimiques, par exemple avec les rizières traditionnelles, le bocage, l'agrosylviculture ou comme en Amérique en cultivant de petits champs surélevés dans des zones inondables (dans la savane guyanaise par exemple[9],[10]), ou en plantant des haricots grimpants sur les tiges de maïs (double récolte, la légumineuse enrichissant le sol en azote au profit du maïs), produisant des récoltes comparables ou dépassant parfois celles permises par la mécanisation et les intrants chimiques.
Les conséquences de l'intensification de l'agriculture portent notamment sur le cycle et la qualité de l'eau (eutrophisation, pollution par les pesticides), et sur la qualité des sols, en particulier sur la microfaune et la fonge édaphiques. Certains groupes d'espèces-clés ou « espèces ingénieur » (vers de terre par exemple) influent sur les principaux processus écologiques du sol. Ils sont considérés par les agronomes comme des éléments essentiels de la diversité des communautés, laquelle est un facteur de stabilisation. Beaucoup de groupes-clés trouvés dans les sol (bactériens et de champignons mycorhiziens notamment) peuvent se connecter aux plantes (au moins 90 % des familles de plantes terrestres sont concernées) via des associations mycorhiziennes à arbuscules et jouer des synergies essentielles pour la survie et la productivité des plantes, contribuant à former un réseau écologique essentiellement souterrain étendu dans les sols, particulièrement riche en forêt, et que certains biologistes ont nommé le "wood-wide web" (en référence au « World wide web »). Beaucoup de champignons mycorhiziens sont soupçonnées d'avoir une large gamme d'hôtes. Les études faite sur les sols arables montrent cependant que la diversité en champignons mycorhiziens y est « extrêmement faible par rapport aux sols forestiers »[11].
L'intensification et l'agriculture industrielle sont souvent associées au développement et à l'utilisation des organismes génétiquement modifiés, et ont pu être mises en rapport avec l'apparition croissante de plantes résistantes à des désherbants totaux, ainsi qu'à des crises telles que la maladie de la vache folle, dioxines dans certaines viandes, ou dispersion de virus tels que le H5N1. Les agriculteurs et ouvriers agricoles utilisateurs de pesticides sont aussi bien souvent les premiers à subir des conséquences sanitaires de leur emploi, comme celles qui ont pu résulter de l'emploi de la chlordecone.
Notes et références
- ↑ Jeanne Grosclaude, Sécurité et risques alimentaires, Volumes 856 à 857, Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, 2001 citation sur le site de la commission de l'éthique de la science et de la technologie
- ↑ Michel GRIFFON : Pour des agricultures écologiquement intensives, 2010, broché, 112 pages, Edts de l'aube, ISBN 9782815900294
- 1 2 3 4 Angus Madison : L'économie chinoise. Une perspective historique, 2e ed. révisée et mise à jour, 217 pp, 2007, Publication OCDE. ISBN 978-92-64-03764-9
- ↑ Michel Cartier : Aux origines de l'agriculture du Bas Yangzi, Annales, Économie, Sociétés, Civilisation, 1991, 46, 5, p. 1009-1019.
- ↑ Jean Chombart de Lauwe : Nouvelle Gestion des exploitations agricoles (avec J. Poitevin et J.C. Tirel), Paris, Dunod, 1963
- ↑ Jean-Luc REUILLON (IE) Les coûts de production du lait dans le monde in Vivre du lait no 6 - Résultats économiques et coûts de production, 3 février 2010
- ↑ Jean-Paul CHARVET L’agriculture peut-elle nourrir le monde ? 2009
- ↑ Agreste, statistique agricole annuelle, Céréales, oléagineux, protéagineux 1989-2005 définitif, 2006 semi-définitif, données disponibles en ligne
- ↑ [communiqué CNRS intitulé S'inspirer des techniques agricoles passées : exemple d'un écosystème « durable » en Guyane] ; Paris, 12 avril 2010
- ↑ Doyle McKey, Stéphen Rostain, José Iriarte, Bruno Glaser, Jago Jonathan Birk, Irene Holst & Delphine Renard ; Pre-Columbian agricultural landscapes, ecosystem engineers, and self-organized patchiness in Amazonia ; Proceedings of the National Academy of Sciences of the USA. (Résumé) 2010.
- ↑ T. Helgason, T. J. Daniell, R. Husband, A. H. Fitter & J. P. W. Young, Ploughing up the wood-wide web ?, Nature, Scientific Correspondence Nature 394, 431 (30 July 1998) ; Doi:10.1038/28764 (Résumé)
Bibliographie
- Marcel Mazoyer, Laurence Roudart: Histoire des agricultures du monde : Du néolithique à la crise contemporaine, Paris: Seuil, 2002, ISBN 2020530619
Articles connexes
- Industrie agroalimentaire
- Micro-agriculture biointensive
- Agriculture paysanne
- Élevage intensif
- Élevage en batterie
- Élevage extensif
- Agriculture extensive
- Développement agricole
- INRA
Lien externe
- The Meatrix : Site critique de l'agriculture industrielle
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