Thésée
Dans la mythologie grecque, Thésée (en grec ancien Θησεύς / Thêseús) est un héros de l'Attique, fils d'Égée (ou de Poséidon) et d'Éthra. Son nom proviendrait de la même racine que θεσμός / thesmós, en grec « institution ».
Héros fondateur, à l'instar de Persée ou Héraclès, Thésée est vénéré par les Ioniens et est considéré par les Athéniens comme leur grand réformateur : roi mythique d'Athènes, il est rendu responsable de l'unification politique de l'Attique sous la domination athénienne[1]. Son règne marque aussi une période de paix avec les Thessaliens et les Béotiens[2]. En tant que roi unificateur, Thésée est censé avoir construit et occupé un palais de la forteresse de l'Acropole, qui peut avoir été semblable au palais excavé de Mycènes. Le géographe Pausanias rapporte qu'après le synœcisme, Thésée a établi un culte de l'Aphrodite Pandémos (« de tout le peuple ») et Péitho sur le versant sud de l'Acropole. Dans Les Grenouilles, Aristophane lui attribue l'invention de nombreuses traditions athéniennes, dont celle de la consécration de la chevelure des éphèbes. Son exploit le plus célèbre et sa légende donnent lieu à de nombreuses interprétations. Certains spécialistes de l'histoire des religions ont souligné l'importance de la mythologie lunaire dans les légendes de Thésée[3].
Le mythe
Naissance et enfance
Égée, roi d'Athènes, n'a pas eu d'enfant avec ses différentes épouses et souhaite avoir un fils. Il consulte l'oracle de Delphes afin de mettre un terme à sa stérilité. La Pythie lui enjoint de ne délier le col de son outre en aucun cas avant d'avoir atteint le plus haut degré d'Athènes. Devant ces paroles énigmatiques, Égée se rend chez la magicienne Médée et contre une protection, elle promet de lui trouver une femme. Sous l'enchantement, Éthra, fille du roi Pitthée de Trézène, s'éprend d'Égée. Après l'étreinte, la jeune femme se réfugie dans l'île de Sphaéra, où elle s'unit au dieu Poséidon. Doublement honorée cette nuit-là, elle met au monde un fils, Thésée[4].
Égée, qui doit repartir pour Athènes, n'assiste pas à sa naissance, mais recommande à Éthra de l'élever selon les normes de son rang, dépose une épée et des sandales d'or sous un rocher, insignes royaux qui lui dévoileraient le secret de sa naissance le jour où il pourrait soulever la roche. Enfant précoce et vigoureux, Thésée a aussi reçu en partage la séduction, la ruse et le courage. Émerveillée par tant de dons, sa mère le conduit devant le rocher : il le soulève facilement et comprend son identité royale. Il ignore cependant encore sa filiation avec Poséidon. Thésée prend la route vers Athènes ; en chemin, il tue Périphétès, Procuste, Sciron, Cercyon, et Sinis, brigands qui s'en prennent aux voyageurs, puis débarrasse la région de Crommyon[5] d'une laie qui ravage les cultures et tue des hommes.
Arrivée à Athènes et avènement royal
Lorsque Thésée arrive à Athènes, il ne révèle pas immédiatement sa véritable identité. Égée qui l'accueille éprouve quelques soupçons à l'égard de l'étranger tandis que sa femme Médée essaie de le faire tuer en lui demandant de capturer le taureau de Marathon.
Sur le chemin de Marathon, Thésée s'abrite de l'orage dans la cabane d'une vieille femme, Hécalé. Elle promet de faire un sacrifice à Zeus si Thésée parvient à capturer le taureau. C'est ce qui se produit, mais à son retour, il trouve la vieille femme morte. En son honneur, Thésée donne son nom à l'un des dèmes de l'Attique, faisant d'une certaine manière de ses habitants les enfants adoptifs de la défunte.
De retour de Marathon en vainqueur du taureau à Athènes[4], Thésée est victime d'une tentative d'empoisonnement par la reine, mais au dernier moment, il est reconnu à ses sandales, son bouclier et son épée par Égée qui écarte le vin empoisonné. Thésée partage dès lors avec lui le gouvernement de la cité.
Athènes vit un drame : depuis la mort de son fils et sa victoire sur les Athéniens, Minos, roi de Crète, exige que la ville lui envoie tous les 9 ans un tribut de sept jeunes hommes et de sept jeunes filles qu'il donne en pâture au Minotaure. Thésée décide de mettre fin à ce carnage et se rend en Crète avec les jeunes victimes afin de tuer le monstre[4]. Égée fait tout pour le convaincre de rester, mais Thésée reste inébranlable[6].
Minos se moque de ce jeune homme qui prétend entrer dans le labyrinthe de Dédale, exterminer le monstre et en ressortir sain et sauf. C'est ne pas tenir compte de sa propre fille, Ariane qui est tombée amoureuse de Thésée et qui va lui donner une pelote de fil pour lui permettre de retrouver la sortie. Il abat le monstre avec le glaive qu'Ariane a volé à son père (glaive offert par Héphaïstos pour son mariage avec Pasiphaé), ressort du labyrinthe et se sauve en mer avec ses compagnons et Ariane qui a trahi son père à condition qu'il l'épouse. Il abandonne Ariane sur une île déserte après l'avoir endormie sur les conseils du capitaine du bateau. Il sait pourtant qu'Ariane a trahi sa famille pour lui et que si elle revient à Knossos elle se fera exécuter par son père pour trahison. Il rentre donc sans elle à Athènes. Égée attend du haut d'un promontoire le retour du bateau et guette la couleur des voiles : selon un accord passé avec son fils, elles seront blanches en cas de victoire. Mais Thésée a oublié de les changer et les voyant noires, Égée se jette dans la mer qui, désormais, porte son nom[7]. Après ce tragique événement, Thésée devient le roi d'Athènes.
Maturité et mort
Outre Ariane, Thésée a épousé Antiope ou Phèdre et a en divorcé selon les versions. Selon la première version, il a enlevé Antiope, ce qui conduit les Amazones à envahir l'Attique, mais l'invasion est glorieusement repoussée par Thésée ; c'est ce qu'on appelle l'Amazonomachie[7]. Ensemble, ils ont un fils Hippolyte. Mais la femme de Thésée meurt en combattant aux côtés de son mari. Ensuite, Thésée vient en aide à son ami Pirithoos lors de la bataille contre les Centaures thessaliens, et lui assure la victoire[7].
Thésée se remarie avec Phèdre, qui se montre cruelle avec Hippolyte lorsqu'il s'est refusé à elle (voir Phèdre de Jean Racine ou Hippolyte d'Euripide), accusant son beau-fils d'avoir tenté de la séduire.
De passage à Delphes, Thésée se coupe la chevelure et en fait don à Apollon. La coutume dans l'Athènes antique veut que les jeunes hommes de l'Antiquité consacrent également leur chevelure (gardée longue jusqu'à la puberté) à une divinité[8] dans les murs de leurs cité ; ce rite les fait passer à l'âge adulte. Dans Les Caractères du philosophe Théophraste, le Poseur[9] qu'il décrit pousse l'ostentation jusqu'à faire voyager son fils jusqu'à Delphes afin d'imiter Thésée[10].
Sa réforme appelée synœcisme, c'est-à-dire réunir tous les peuples attiques en une unique entité politique, et organiser un pouvoir central établi sur l'Acropole, divisa les territoires contigus ainsi que la répartition du peuple en trois classes : les nobles, les artisans et les cultivateurs (selon Thucydide[11]). Ce faisant, les royautés locales furent abolies, puis une réaction contre cette nouvelle forme de pouvoir populaire valut à Thésée d'être frappé d'ostracisme, banni, victime de sa loi[12]. Voir aussi : Diodore de Sicile, Bibliothèque historique [détail des éditions] [lire en ligne] (IV, 62, 4), qui ajoute qu'il meurt en exil. Selon la mythologie, il doit fuir à Scyros pour échapper à Ménesthée, usurpateur d'Athènes[13], mais y est tué par le roi Lycomède[14].
La construction du mythe
Les origines du mythe remontent au VIIe siècle av. J.-C., notamment d'une épopée archaïque appelée la Théséïde, transmise de manière orale, et dont les appositions par écrits ont été perdus. La première représentation découverte de Thésée est une amphore datant de 700 av. J.-C., sur laquelle il combat un Centaure[15]. Avant le Ve siècle, Thésée est surtout représenté comme le vainqueur du Minotaure et comme l'ami du héros thessalien Pirithoos, avec qui il a combattu les centaures thessaliens. La légende de Thésée grandit vers le VIe siècle av. J.-C., comme en témoignent les nombreux vases à son effigie datés de cette période, et son apparition dans les tragédies attiques. C'est dans le courant du Ve siècle que le personnage de Thésée est récupéré par l'idéologie civique athénienne, qui fait de lui le fondateur de la cité, de son calendrier, de ses fêtes religieuses, et même de la démocratie. Un culte est rendu à son prétendu tombeau. En dehors d'Athènes, Thésée est surtout connu pour avoir été l'époux malheureux de Phèdre[16].
Plutarque, au tout début du IIe siècle av. J.-C., dans ses Vies parallèles, fait une synthèse des récits sur le personnage de Thésée. Il avait à sa disposition de nombreux écrits et poèmes qui ont aujourd'hui disparu, mais a en grande partie négligé la tradition orale du récit mythique de Thésée, et aussi les représentations faites sur les vases du VIe et Ve siècle av. J.-C.[17].
Évocations artistiques
Littérature
- Théséïde, épopée archaïque apparue vers le VIIe siècle av. J.-C.[16]
- Œdipe à Colone de Sophocle
- La Folie d'Héraclès d'Euripide
- Hippolyte d'Euripide
- Les Suppliantes d'Euripide
- Phèdre de Sénèque
- Métamorphoses d'Ovide
- Vies parallèles de Plutarque
- Le Conte du Chevalier dans Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer
- Le Songe d'une nuit d'été de William Shakespeare
- Phèdre de Jean Racine
- Thésée d'André Gide
- La Demeure d'Astérion de Jorge Luis Borges
- L'Amour de Phèdre de Sarah Kane
Musique
- Thésée, tragédie lyrique de Jean-Baptiste Lully (1675)
- Teseo, opéra seria de Georg Friedrich Händel (1713)
- Hippolyte et Aricie, tragédie lyrique de Jean-Philippe Rameau (1733)
- Thésée, opéra de Jean-Joseph de Mondonville (1765)
- Thésée, tragédie lyrique de François-Joseph Gossec (1782)
Cinéma
- Thésée et le Minotaure (Teseo contro il minotauro) de Silvio Amadio (1960)
- Dédales de René Manzor (2003)
- Les Immortels (Immortals) de Tarsem Singh (2011)
Références
- ↑ De synoikismos : « habiter ensemble »).
- ↑ Dion de Pruse, VIIIe Discours
- ↑ Jean Haudry, Le Mariage du dieu Lune, Baltistica XXXVI, 2001, p. 34.
- 1 2 3 Dugas Charles, L'évolution de la légende de Thésée, dans Revue des études grecques, tome 56, fascicule 264-265, janvier-juin 1943, page 4
- ↑ près de Corinthe
- ↑ Plutarque, Vies parallèles, Vie de Thésée, XXIV-XXVI, traduction Dominique Ricard (1884).
- 1 2 3 Dugas Charles, L'évolution de la légende de Thésée, dans Revue des études grecques, tome 56, fascicule 264-265, janvier-juin 1943, page 5
- ↑ Héraclès le plus souvent
- ↑ Caractère XXI
- ↑ Revue des études anciennes, no 42, article de Paul Mazon, 1940.
- ↑ Histoire de la guerre du Péloponnèse, II, 15
- ↑ Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne], Thésée, 25
- ↑ Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne], Thésée, 35.
- ↑ Aristote, Constitution d'Athènes [détail des éditions] [lire en ligne], Epitome d'Héraclide ; Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne] : Vie de Thésée, 35 ; Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne], I, 17, 6 ; Apollodore, Épitome [détail des éditions] [lire en ligne], I, 24.
- ↑ Dugas Charles, L'évolution de la légende de Thésée, dans Revue des études grecques, tome 56, fascicule 264-265, janvier-juin 1943, page 6
- 1 2 Jean-Baptiste Bonnard, Thésée, le protecteur d'Athènes, dans Le Point références, no 40 juillet-août 2012, page 52
- ↑ Dugas Charles, L'évolution de la légende de Thésée, dans Revue des études grecques, tome 56, fascicule 264-265, janvier-juin 1943, pages 1, 2 et 3
Voir aussi
Articles connexes
- Minotaure
- Labyrinthe
- Pirithoos
- Bateau de Thésée
Bibliographie
- Claude Calame, Thésée et l'imaginaire athénien, Payot, coll. « Sciences humaines », Lausanne, 1996 (2e édition) (ISBN 2601031751)
- Henri Jeanmaire, Couroi et Courètes : essai sur l'éducation spartiate et sur les rites d'adolescence dans l'Antiquité hellénique, Lille, Bibliothèque universitaire, 1939
- Nicole Loraux :
- André Peyronie, « Le mythe de Thésée pendant le Moyen Âge latin (500-1150) », Médiévales, vol. 16, no 32, 1997, p. 119-133 [lire en ligne]
- Annick de Souzenelle, Œdipe intérieur. La présence du verbe dans le mythe grec, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 1999 (ISBN 2226106820)
Sources
- Apollodore, Bibliothèque [détail des éditions] [lire en ligne] (I, 8, 2 ; I, 9, 16 ; III, 15, 8), Épitome [détail des éditions] [lire en ligne] (I, 7 ; I, 18 ; I, 24)
- Diodore de Sicile, Bibliothèque historique [détail des éditions] [lire en ligne] (IV, 28, 3 ; IV, 59, 1)
- Pseudo-Hésiode, Bouclier d'Héraclès [détail des éditions] [lire en ligne] (v. 181)
- Homère, Iliade [détail des éditions] [lire en ligne] (I, 265)
- Hygin, Fables [détail des éditions] [(la) lire en ligne] (XIV)
- Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne] (XII, 227)
- Pausanias, Description de la Grèce [détail des éditions] [lire en ligne] (I, 17, 6 ; II, 22, 6-7)
- Plutarque, Vies parallèles [détail des éditions] [lire en ligne] (Thésée)
- Portail de la mythologie grecque
- Portail de la Crète