Rectifications orthographiques du français
Les rectifications orthographiques du français désignent les réformes, plus ou moins importantes, de l'orthographe française au cours des derniers siècles.
La dernière réforme de l'orthographe date de 1990, elle a fait l'objet de plusieurs circulaires en France, Belgique, Suisse et au Canada francophone[1].
La parution au Journal officiel en 2008 (Bulletin no 3 du 19 juin 2008, p. 37) instaure l’orthographe révisée comme la référence en France. Depuis cette date, elle est incluse dans les programmes scolaires.
Historique
Les réformes orthographiques du français ont toujours été étroitement associées au politique. L'adoption du français comme langue royale, en remplacement du latin[2], a déclenché chez les clercs une réaction qui s'est traduite par la mise en place d'une orthographe raisonnée du moyen français se référant aux origines latines de la langue[3],[4],[5].
Tout commence au XIVe siècle avec l’adoption, par le gouvernement royal, du français en tant que langue administrative. Avec l'avènement de Philippe VI au trône, l'usage du français s'élève à 80 % des chartes. Après une brève interruption et un retour au latin durant le règne de Jean le Bon (1350-1364), le français redevient majoritaire dès les années 1360. Cependant, l'Église, mais surtout les clercs et les juristes chargés d'enregistrer les actes royaux constituent un bastion de résistance à l'usage du français. Si les bénéficiaires laïcs des chartes du roi de France soutiennent l'usage du français, la caste des clercs, qui fait un usage identitaire de cette langue d'initiés s'accroche en revanche à l'usage du latin et au prestige que leur confère la connaissance de celui-ci : au fur et à mesure qu'ils ont été forcés d'abandonner le latin pour le français, les officiers ministériels se sont donc rattrapés en se mettant à en latiniser l'orthographe à tour de bras, comme pour investir la langue qu'ils adoptaient, sous la pression royale, de l'apparat et de la dignité et inhérents au latin inconnu des administrés.
L'adoption du français comme langue royale se traduit par une rationalisation et une unification de l'orthographe jusqu'ici chaotique de l'ancien français (pour cœur par exemple on trouve les graphies quors, cuer et quers). Alors que la graphie originelle du français est davantage conforme à la phonétique (celle de l'époque) et parfois arbitraire, elle est progressivement latinisée dans une tentative pour aboutir à une « orthographe étymologique ». L’Académie française fige ensuite définitivement cette nouvelle norme graphique qu’elle appelle « orthographe ancienne » puisque procédant du latin classique, sans tenir compte du fait que la Chanson de Roland, qui est le plus vieux texte littéraire complet du français, a une orthographe totalement différente, il épelle par exemple ki « qui » ou e « et » (cf. italien e), etc, ni du fait que le français est issu du latin vulgaire et non pas du latin classique. Sont ajoutées alors des lettres ne se prononçant pas devant les consonnes : là où l'ancien français écrivait tens, le moyen français crée « temps », le p rappelant son étymon latin tempus ; à partir de pois, le moyen français crée « poids », le d rappelant la forme latine pondus, ce qui constitue une erreur d'étymologie puisque le français « poids » procède du gallo-roman *PESU (< latin pensum, italien peso « poids »), d'où « peser » et non pas de *PONDU[6], mais elle distingue entre tous les homophones (ex : pois, poix) ; puis devient en moyen français « puits », le t évoquant la forme latine puteus, ce qui n'est pas tout à fait l'étymon, mais n'est, dans ce cas, pas contraire à l'attraction qu'a exercé le vieux bas francique *putti, phonétiquement proche[7], etc. L'immense majorité des singularités orthographiques du français moderne est étymologiquement justifiée et se rapproche partiellement du latin classique à l'origine du latin vulgaire dont descend le français. On trouve d'autres exemples qui montrent les limites d'une orthographe étymologique. Ainsi, sçavoir (saver en ancien français) était censé se rattacher au latin scire jusqu'à ce qu'on s'aperçoive qu'il était issu du bas-latin sapere (cf. italien sapere) et qu'on enlève, tardivement, le ç parasite[8]. Un autre exemple est fourni par le mot « homme » écrit souvent sans h- en ancien français (cf. italien uomo), on restitue systématiquement h- étymologique, conformément à l'étymologie du terme, à savoir le latin homo, en revanche, le pronom personnel indéfini « on » qui procède du même étymon latin homo, forme atone, se voit privé de son h- initial tel qu'il apparaît dans certains textes d'ancien français[9].
Lorsque François Ier va promulguer sa célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts en août 1539, c'est l'usage du « françoys » qu'il impose. L'invention de l'imprimerie, instrument de popularisation de l'écrit, ne contribuera pas non plus à restituer à la langue française sa graphie phonétique originelle dans la mesure où l'apparition de cette technologie nouvelle a, au contraire, suscité des inquiétudes concernant les éventuels « dangers » d'une dissémination incontrôlée du français à l'écrit, d'où la nécessité ressentie de la compliquer un peu plus encore par le recours non seulement au latin, mais également au grec, comme l'a fait notamment Henri Estienne, imprimeur, mais également philologue et surtout, helléniste, qui n'a pas caché son mépris de ce qu'il nommait le « François de la maigre orthographe[10] » puisque selon lui, le français ne descend même pas du latin, mais… du grec : « Car ce beau François ainsi desguisé, en changeant de robe, a quant et quant perdu (pour le moins en partie) l’accointance qu’il auait auec ce beau & riche langage Grec[11]. »
Les tentatives de l’auteur de la première grande grammaire du français (1550), Louis Meigret de simplifier l’orthographe française en favorisant une orthographe phonétique, ne purent réussir face aux polémiques soulevées par des opposants. Une fois imposé le principe d’une graphie censément étymologique, l'orthographe française n'a jamais cessé d'évoluer, suivant le principe que l'usage détermine la règle. On peut citer de nombreux exemples de réformes :
- En 1718, avec la 2e édition du Dictionnaire de l'Académie française, les lettres J et V sont adoptées et différenciées du I et du U.
- En 1740, avec la 3e édition du Dictionnaire de l'Académie française, un tiers des mots changent d'orthographe[12] et les accents apparaissent (par exemple, « throne, escrire, fiebvre » deviennent « trône, écrire, fièvre, etc. »).
- Au début du XIXe siècle, l'orthographe se fixe et, contrairement aux autres pays romans, c'est le courant étymologiste qui prévaut et non pas phonétique[13].
- De nombreuses modifications interviennent dans la première moitié du XIXe siècle (des formes archaïques telles que j'avois s'alignent sur les plus courantes en -ais, d'où « j'avais »).
- Réforme de l'orthographe française de 1835 avec la 6e édition du Dictionnaire de l'Académie française : on écrit désormais le t au pluriel dans les mots du type enfans et dans la conjugaison oi passe à ai (étoit devient était)
- Réforme de l'orthographe française de 1878 avec la 7e édition du Dictionnaire de l'Académie française : on remplace certains ë par des e accentués comme dans poëte
- Au début du XXe siècle, le trait d'union remplace l'apostrophe dans grand-mère[14], grand-messe, etc., vu qu'en latin l'adjectif masculin « grand » ne se distinguait pas du féminin GRANDIS.
- L'arrêté du 26 février 1901 (arrêté Leygues) propose de tolérer des orthographes multiples pour les concours et dictées officiels en France[15], mais il n'a jamais été appliqué[16].
- En 1977 est publié l'arrêté Haby, version « rajeunie » de l'arrêté de 1901, qui propose également des tolérances dans les dictées et concours officiels en France[17] (cf. Tréma en français)
- Des documents officiels sur la féminisation des noms de métiers sont publiés en 1979 au Québec, 1986 et 1999 en France, 1993 en Belgique francophone. La féminisation est un phénomène qui touche la langue mais aussi, dans certains cas, l'orthographe : par exemple, le féminin de professeur peut s'écrire professeur (forme dite épicène) ou professeure, selon les recommandations effectuées dans plusieurs pays (voir l'article sur la féminisation des noms de métiers pour plus de précisions).
Les rectifications de 1990
En octobre 1989, Michel Rocard, alors Premier ministre de la France, met en place le Conseil supérieur de la langue française à Paris. Il charge alors des experts — parmi lesquels des linguistes, des représentants de l'Académie française et des grands fabricants de dictionnaires — de proposer des régularisations sur quelques points (le trait d'union, le pluriel des mots composés, l'accent circonflexe, le participe passé, diverses anomalies).
Rapidement, les experts se mettent au travail. Leurs conclusions sont soumises aux organismes de politique linguistique belge et québécois. Elles sont également soumises à l'Académie française, qui les avalise à l'unanimité[18], tout en précisant :
« L’orthographe actuelle reste d’usage, et les « recommandations » du Conseil supérieur de la langue française ne portent que sur des mots qui pourront être écrits de manière différente sans constituer des incorrections ni être considérés comme des fautes. »
Les rectifications sont alors publiées au Journal officiel en décembre 1990.
Diffusion et enseignement
Autrefois, la diffusion des réformes orthographiques se faisait auprès des imprimeurs et des gens de lettres[19].
Aujourd'hui, l'orthographe concerne toute la population. Aussi, les moyens de diffusion incluent les consignes aux enseignants, et l'incitation aux livres de référence (dictionnaires) et correcteurs informatiques de tenir compte des réformes, ou du moins de faire cohabiter les différentes versions. Par exemple, les correcteurs informatiques (Microsoft, Antidote, OpenOffice.org/LibreOffice, ProLexis, Cordial) proposent d'employer ou non l'orthographe rectifiée[20].
Notes et références
- ↑ Circulaires dans les pays francophones
- ↑ Serge Lusignan, La Langue des rois au Moyen Âge, Presses universitaires de France, 2004, 296 p., (ISBN 978-2-13054-392-3), p. 255.
- ↑ Nina Catach, Histoire de l’orthographe française, Paris, Honoré Champion, 2001, 425 p., (ISBN 978-2-74530-575-6), p. 83.
- ↑ L’Histoire, Société d’éditions scientifiques, no 300, juillet-aout, 2005, p. 21.
- ↑ Mélanges de l’École française de Rome : Moyen âge, L’École, 2005, p. 506.
- ↑ Site du cnrtl : étymologie de "poids"
- ↑ Site du cnrtl : étymologie de "puits"
- ↑ Voir E. Pasquier, Recherches, III, l : De l'origine de nostre vulgaire François, que les Anciens appelaient Roman, et dont procede la différence de l'orthographe et du parler. — Lettres, III, iv : Sçavoir si l'orthographe françoise se doit accorder avec le parler.
- ↑ Site du cnrtl : étymologie de "on"
- ↑ Henri Estienne, Traicté de la conformité du langage françois avec le grec, Paris, Jaques du Puis, 1569, lire en ligne, p. II.
- ↑ Ibid.
- ↑ Orthographe sur le site du Service de la langue française
- ↑ Jean-Claude Vantroyen, « L’Accord du participe passé, une perte d'énergie », Le Soir, .
- ↑ bref aperçu de l'évolution de l'orthographe française
- ↑ Rectifications orthographiques
- ↑ Les raisons du désastre
- ↑ http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1991_num_28_1_2042
- ↑ Position de l'Académie française
- ↑ Jean-Marie Klinkenberg, Des langues romanes : introduction aux études de linguistique romane, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1999, 313 p., (ISBN 978-2-80111-227-4), lire en ligne, p. 249.
- ↑ Voir Correcteurs informatiques et label de qualité sur orthographe-recommandee.info
Annexes
Articles connexes
- Réforme de l'orthographe française de 1878
- Rectifications orthographiques du français en 1990
- Conseil supérieur de la langue française
- Réforme de l'orthographe allemande de 1996
- Orthographes alternatives du français
- Arrêté du 28 décembre 1976
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