Parole
La parole est le langage articulé humain destiné à communiquer la pensée, et est à distinguer des communications orales diverses, comme les cris, les alertes ou les gémissements. « Articuler la parole » consiste à former des signes audibles, les syllabes, formant les mots qui constituent des symboles. Métaphoriquement, la parole est devenue toute communication s'adressant à l'esprit (parler avec le regard, la gestuelle, le silence). L'étymologie du mot parole est la même que celle du mot parabole, en grec le mot παραϐολή signifie « rapprochement, comparaison ».
La parole est le langage incarné de l'homme. La parole est singulière et opère un acte de langage qui s'adresse à un interlocuteur, éventuellement soi-même, mentalement, ou à un support par l'écrit par exemple. La parole permet d'exprimer des besoins, pensées, sentiments, souffrances, aspirations, du locuteur. La parole peut aussi constituer une observation plus ou moins subjective des faits, ou encore être la formulation d'une demande. Elle permet de témoigner d'un changement de conception du monde (épistémè). Dans ce sens, une vérité est la tentative de description de la réalité à l'aide de la parole.
L'usage social de la parole a déterminé des langages particuliers nommés idiomes, langues, dialectes, parlers. L'utilisation d'une langue ou le choix des mots n'est pas neutre parce que le langage structure la pensée. Les querelles linguistiques ou atteintes aux langues peuvent être des tentatives de sujétion de l'Homme en imposant des paradigmes, comme dans le cas de la langue ou des expressions d'un groupe dominant.
La parole permet de communiquer l'abstraction et permet sa mémorisation. Une abstraction peut permettre la création de concepts nouveaux distincts de la réalité. La parole est depuis longtemps physiquement mémorisée sur des supports divers, d’abord par les images comme avec l’art rupestre il y a plus de 30 000 ans[1]. Puis par l'écriture, dont la date d'apparition marque le début de l’histoire (en Mésopotamie en 3500 av. J.-C.). Et enfin, de nouveau les images reprennent l'ascendant sur l'écriture avec le développement des supports audio-visuelles dans les sociétés contemporaines.
Depuis quand parlons-nous ?
Pour la plupart des chercheurs, la parole, c'est-à-dire l'utilisation de mots qui sont des symboles, permettant la transmission de cultures (lithiques par exemple) et la création de concepts abstraits s'est faite progressivement, ceci depuis que le début du développement de la faculté d'articuler le langage oral. L'observation du monde vivant montre que dès qu'une faculté de communication est disponible, elle est rapidement exploitée à fond par tous les organismes, animaux ou même végétaux (on peut citer l'exemple des acacias africains qui deviennent toxiques dès qu'un autre acacia est brouté par un herbivore, ici, la communication est chimique).
On peut observer dans le monde animal des protolangages articulés sous la forme de communication acoustique significative tout comme on a constaté des sortes de dialectes régionaux dans les langages.
Pratiquement, on peut évaluer chez l'Homme le début du processus à la station debout et l'abaissement du larynx indispensable à la faculté de moduler des sons articulés, il y a plus d'un million d'années. Il y a 100 000 ans environ, l'Homo sapiens moderne et même celui de Néandertal, usaient déjà pleinement de la parole, ce qui peut se démontrer avec l'outillage lithique, le biface par exemple, se répartissant en Europe du Sud, en Asie de l'ouest et en Afrique, attestant la transmission d'une culture.
Les premiers objets nommés par un symbole sont sans doute les lieux pour la mémorisation de l'espace vital. Actuellement ce sont les toponymes qui représentent les éléments de langage les plus anciens, et souvent, concernant les eaux et reliefs, d'origine trop ancienne et d'une langue disparue.
L’art le plus ancien connu environ – 40 000 ans b.p., puis la grotte de Chauvet entre autres, témoignent de l'avancement de l'usage accompli de la parole, car le degré d'abstraction des représentations mobilières et pariétales y sont analogues aux nôtres aujourd'hui.
La parole fait l'autre
L'exercice de la Parole n'est pas neutre. Pour l'humain — défini comme un « animal social » — c'est un acte de création et de relation par excellence :
Ma Parole crée l'Autre, c'est mon pouvoir et ma blessure.
Je peux faire l'Autre comme on fait des garnisons, des disciples ou des fidèles, tous bien alignés dans mes systèmes.
Je peux faire l'Autre comme on fait des exclus, des marginaux, des murs et des cloisons, contre qui j'appellerai les flics et les prisons
Ma Parole peut aussi faire l'Autre comme un Homme.
Mais alors, dès que je l'ai reconnu, il se lève debout de ma Parole et marche libre comme si ma Parole risquait de lui devenir son tombeau.
Je crée l'Autre, mais c'est lui qui me fait exister, car la relation est toujours une Parole dépossédée.
Croirai-je jamais assez que la parole de l'Autre puisse me construire ?
Dans la parole, nous sommes toujours trois.
Toi qui me parles, moi qui t'écoute et la Parole qui est aussi Quelqu'un.
(Jean Debruynne, Parole, p. 68, Paris 1992, Desclée éditeur)
Parole et neurosciences
La communication par la parole est essentiellement prise en charge par deux aires différentes du cerveau. L'aire de Broca permet la production des mots parlés et l'aire de Wernicke permet la compréhension de ces mots. Dans une étude publiée en 2014 dans la revue Brain[2], le neurochirurgien et neuroscientifique Hugues Duffau montre que « l'aire de Broca n'est pas l'aire de la parole » et que les fonctions langagières ne sont pas tant localisées dans une aire précise que dépendantes de connexions neuronales en reconfiguration constante[3].
Dans la religion chrétienne
Dans la Bible, le mot grec de logos, λόγος, désigne la parole de Dieu en même temps qu'il en vient également à désigner Dieu lui-même, comme l'illustre l'évangile de Jean dans lequel il est écrit:
- Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. (Jean 1:1)[4]
Cet évangile est composé plusieurs siècles après les œuvres d'Anaxagore qui évoquaient le Noûs (νοῦς), l'esprit, et qui prétendaient que l'univers (perçu) est le fruit de l'intelligence, ainsi que de celles de Platon selon lesquelles Socrate voyait (dit-on) un univers créé par soi-même, c'est-à-dire par l'esprit.
Aussi, le christianisme considère le logos divin comme le commencent dont tout procède, c'est-à-dire comme l'origine de toute chose. Ainsi, la Genèse, récit de la Création, est le lieu d'un déploiement de la parole de Dieu d'où va naître la réalité. Par exemple, au verset 3, chapitre 1, la parole de Dieu apparaît, en effet, comme l'origine de la lumière quand il est écrit Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière et il semble alors que l’extériorisation de la volonté de Dieu soit l'acte de fondation du réel.
Enfin, selon la tradition chrétienne héritée de l'évangile de Jean, le Verbe s'est doté d'une matérialité en se faisant chair, c'est-à-dire en s'incarnant dans la personne de Jésus-Christ, fils de Dieu.La parole revèle aussi des écritures bibliques. Ces écritures constituent la Parole écrite.
Notes et références
- ↑ Jean-Michel Geneste (sous la dir. de), 2005, Recherches pluridisciplinaires dans la grotte Chauvet, Société préhistorique française / Association française de Karstologie, (ISBN 2-913745-21-0)
- ↑ (en) Matthew C. Tate, Guillaume Herbet, Sylvie Moritz-Gasser, Joseph E. Tate et Hugues Duffau, « Probabilistic map of critical functional regions of the human cerebral cortex: Broca’s area revisited », Brain, Oxford University Press, vol. 137, no 10, , p. 2773-2782 (DOI 10.1093/brain/awu168)
- ↑ Hugues Duffau et Estelle Saget (interviewer), « Hugues Duffau : "Le cerveau se répare lui-même" », L'Express, (lire en ligne)
- ↑ http://www.biblia-cerf.com/BJ/jn1.html
Voir aussi
Bibliographie
- Martin Heidegger, Acheminement vers la parole, Gallimard, Coll. Tel, Paris, 1976
- Michel Foucault, Les Mots et les Choses, Gallimard, Paris, 1966 (ISBN 2-07-022484-8)
- John Langshaw Austin, Quand dire, c'est faire, Éditions du Seuil, Paris, 1970 (ISBN 2-02-012569-2) (Traduction par Gilles Lane de How to do things with Words: The William James Lectures delivered at Harvard University in 1955, Ed. Urmson, Oxford, 1962)
- Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : L'économie des échanges linguistiques, Fayard, Paris, 1982 (ISBN 2-213-01216-4)
- Georges Gusdorf, La parole, PUF, coll. « Quadriges », Paris, 1998 (ISBN 2-13-049081-6)
- Jacqueline Légaut, Les lois de la parole : Conversation avec Camille, Érès, Paris, 2003 (ISBN 2-7492-0205-1)
- Jean-Louis Chrétien, L’appel et la réponse, Ed. de Minuit, 1992.
- Jean-Marie Hombert & al., Aux origines des langues et du langage (Fayard, 2005).
Articles connexes
- Altérité, Autrui
- Analyse du discours
- Assertivité
- Authenticité
- Bavardage
- Brèves de comptoir
- Communication orale
- Contradiction
- Conversation
- Culture orale
- Dialectique
- Dialogue
- Diction
- Discours
- Discussion
- Débat
- Déchiffrage
- Décodage
- Enseignement
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- Exposé des motifs
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- Écoute
Liens externes
- Fitzpatrick, Élizabeth M. Apprendre à écouter et à parler. Les Presses de l'Université d'Ottawa, 2013. Disponible dans: Project MUSE (Q).
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