Laïcité en Turquie
La laïcité en Turquie est un des fondements de la République kémaliste, inscrite d'abord dans la Constitution de 1924 (modification en 1937), puis dans celle de 1980, aujourd'hui en vigueur. Elle trouve ses origines dans les réformes de l'Empire ottoman au XIXe siècle, les Tanzimats (réformes) accordant l'égalité entre tous, quelle que soit leur religion. Les réformes kémalistes ont accentué ce caractère laïc de l’État turc, qui demeure jusqu'à aujourd'hui. L'accession au pouvoir de l'AKP, parti islamo-conservateur, suscite certaines inquiétudes dans les rangs pro-laïques turcs, qui comprennent les forces armées turques et les nationalistes.
Depuis les réformes d'Atatürk, la Turquie est laïque, la constitution prévoit qu'aucune réforme constitutionnelle ne peut porter atteinte à un certain nombre de principes, dont la laïcité.
Prise en charge des cultes par l'État
Cette laïcité n'est pas, comme en France, une séparation entre les Églises et l'État ; c'est l'État turc qui organise et contrôle totalement la communauté des croyants : les 72 000 imams [Quand ?][réf. nécessaire] en Turquie sont des fonctionnaires, payés et formés par l'État. Jusqu'en 2006, leurs prêches hebdomadaires étaient écrits par les fonctionnaires de la Présidence des affaires religieuses[1].
En 2010, la Présidence des affaires religieuses emploie environ 100 000 personnes[2].
L'État turc envoie des imams dans les communautés turques émigrées[3].
Bien que des réformes allant dans le sens de la laïcité aient été accomplies sous Atatürk (abolition du califat, etc.), la Turquie n’est pourtant pas un État strictement laïc dans le sens où il n’y a pas de séparation entre la religion et l’État, mais plutôt une mise sous tutelle de la religion par l’État; chacun reste cependant libre de ses croyances.
C’est ainsi que la religion est mentionnée sur les papiers d’identité et qu’il existe une administration dite Présidence des affaires religieuses [4] (Diyanet) qui instrumentalise parfois l’islam pour légitimer l’État et qui gère les 77 500 mosquées du pays. Cet organisme étatique, mis en place par Ataturk le 3 mars 1924, finance uniquement le culte musulman sunnite, les cultes non-sunnites doivent assurer un fonctionnement financièrement autonome [5], quand ils ne rencontrent pas d'obstacle administratif à ce même fonctionnement. Lors de la récolte de l'impôt, tous les citoyens turcs sont égaux. Le taux d'imposition n'est pas fonction de la confession religieuse. Toutefois, à travers la « Présidence des affaires religieuses » ou Diyanet, les citoyens turcs ne sont pas égaux devant l'utilisation des recettes. La Présidence des affaires religieuses, qui est dotée d'un budget de plus de 2,5 milliards de $ US en 2012, ne finance que le culte musulman sunnite. Cette situation pose d'ailleurs problème d'un point de vue théologique, dans la mesure ou, la religion du prophète Mohammed stipule à travers la notion du haram (le Coran, Sourate 6, verset 152) qu'il faut « donnez la juste mesure et le bon poids, en toute justice ». Or, depuis sa création, le Diyanet, à travers l'impôt, utilise les ressources de citoyens non-sunnites pour financer son administration et ses lieux de culte exclusivement sunnites. Ainsi, les musulmans câferî (principalement des Azéris) et alevi bektachis (principalement des Turkmènes) participent au financement des mosquées et au paiement des salaires des imams sunnites alors que leurs lieux de cultes, qui ne sont pas officiellement reconnus par l'État, ne reçoivent aucun financement. Pourtant, l'Islam zalevi bektachis constitue la seconde croyance en Turquie après l'Islam sunnite. Les avis divergent sur leur nombre : officiellement ils sont entre 10 et 15 % mais d’après les sources alévies il représenterait entre 20 à 25 % de la population nationale. L'Islam câferî compte officiellement 3 millions de croyants en Turquie.
En théorie, la Turquie, à travers le Traité de Lausanne de 1923, reconnaît les droits civils, politiques et culturels des minorités non musulmanes.
En pratique, la Turquie ne reconnaît que les minorités religieuses grecques, arméniennes et israélites sans pour autant leur accorder tous les droits cités dans le Traité de Lausanne.
Les musulmans alevi-bektachis et câferî[6], les catholiques latins et les protestants ne font l'objet d'aucune reconnaissance officielle.
Culte | Population estimée | Mesures d’ expropriation [7] |
Reconnaissance officielle dans la Constitution ou à travers les Traités internationaux | Financement des lieux de culte et du personnel religieux par l'État |
---|---|---|---|---|
Islam - Sunnite | 70 à 85 % (52 à 64 millions) | Non | Oui à travers le Diyanet cité dans la Constitution (art.136) [8] | Oui à travers le Diyanet [9] |
Islam - duodécimain Bektachi | 15 à 25 % (11 à 19 millions) | Oui [6] | Non. Balim Sultan assure une mainmise totale sur le corps des janissaires dont le bektachisme sera la référence religieuse principale[10]. En 1826, Mahmoud II met définitivement un terme au système des janissaires[10]. L'ordre des bektachi est mis hors la loi, de nombreux dignitaires de la capitale sont exécutés, d'autres sont déportés en Anatolie. Les tekke sont fermés, détruits ou attribués à des institutions orthodoxes comme l'ordre des Naqshbandiyya[10]. | Non [9] |
Islam - duodécimain Alevi | Non[11].Au début du XVe siècle[12], l’oppression ottomane envers les alévis devient insupportable et ces derniers soutiennent le Chah Ismail Ier d'origine turkmène. Ses partisans, qui portent un bonnet de couleur rouge avec douze plis en référence aux 12 imams du chiisme duodécimain se font appeler Qizilbash. Les Ottomans qui s’étaient persanisés et arabisés considéraient comme ennemis les Qizilbash (alévis) d'origine turkmène[12]. Aujourd'hui, les cemevi, lieux de culte commun aux alevi bektachi n'ont aucune reconnaissance juridique | |||
Islam - duodécimain Câferî | 4% (3 millions) [13] | Non [11] | Non [9] | |
Islam - duodécimain Alaouites ou Nusayris | 300 à 350 000 [14] | Non [11] | Non [9] | |
Judaïsme | 20 000 | Oui [7] | Oui à travers le Traité de Lausanne en 1923 [11] | Non [9] |
Chrétien - Protestant | 5 000 | Non [11] | Non [9] | |
Chrétien - Catholiques Latins | Non [11] | Non [9] | ||
Chrétien - Catholiques Grecque | Oui [7] | Oui à travers le Traité de Lausanne en 1923 [11] | Non [9] | |
Chrétien - Orthodoxe - Grec (Patriarcat œcuménique de Constantinople) | Oui [7] | Oui à travers le Traité de Lausanne en 1923 [11] | Non [9] | |
Chrétien - Orthodoxe - Arménien (Patriarcat arménien de Constantinople) | 57 000 | Oui [7] | Oui à travers le Traité de Lausanne en 1923 [11] | Non [9] |
Chrétien - Catholiques Chaldéens (Arménien) | 3 000 | Oui [7] | Oui à travers le Traité de Lausanne en 1923 [11] | Non [9] |
Chrétien - Églises de théologie et rite syriaques (orthodoxes et catholiques) | 15 000 | Oui [7] | Non [11] | Non [9] |
Yézidisme | 377 | Non [11] | Non [9] | |
Avec plus de 100 000 fonctionnaires, le Diyanet est une sorte d’État dans l'État[15].
En 2013, le Diyanet ou Ministère des Affaires religieuses, occupe le 16e poste de dépense du gouvernement central.
Le budget alloué au Diyanet (4,6 milliards de TL[16]) est :
- 1,6 fois plus important que le budget alloué au Ministère de l'Intérieur[16]
- 1,8 fois plus important que le budget alloué au Ministère de la Santé[16]
- 1,9 fois plus important que le budget alloué au Ministère de l'Industrie des Sciences et de la Technologie[16]
- 2,4 fois plus important que le budget alloué au Ministère de l'Environnement et de l'Urbanisme[16]
- 2,5 fois plus important que le budget alloué au Ministère de la Culture et du Tourisme[16]
- 2,9 fois plus important que le budget alloué au Ministère des Affaires étrangères[16]
- 3,4 fois plus important que le budget alloué au Ministère de l’Économie[16]
- 3,8 fois plus important que le budget alloué au Ministère du Développement[16]
- 4,6 fois plus important que le budget alloué au MIT – Renseignement[16]
- 5,0 fois plus important que le budget alloué au Ministère chargé de la Gestion des Urgences et des Catastrophes Naturelles[16]
- 7,7 fois plus important que le budget alloué au ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles[16]
- 9,1 fois plus important que le budget alloué au ministère des douanes et du commerce[16]
- 10,7 fois plus important que le budget alloué à la Garde Côtière[16]
- 21,6 fois plus important que le budget alloué au ministère de l'Union européenne[16]
- 242 fois plus important que le budget alloué au Conseil national de sécurité[16]
- 268 fois plus important que le budget alloué au ministère de la Fonction publique[16].
Le budget du Diyanet représente :
- 79 % du budget de la gendarmerie[16]
- 67 % du budget du ministère de la Justice[16]
- 57 % du budget des Hôpitaux publics[16]
- 31 % du budget de la police nationale[16]
- 23 % du budget de l'Armée turque soit 23% du budget de la deuxième armée de l'OTAN[16].
Enseignement religieux obligatoire à l'école publique
Les deux dernières « écoles pour imams » avaient fermé en 1930 et la « Faculté de théologie » avait fermé en 1933. Un enseignement religieux facultatif fut rétabli en 1949, 1956, 1967 respectivement à l'école primaire, secondaire et au lycée[17]. Une nouvelle « Faculté de théologie » et des « écoles pour imams » sont recréées en 1949 et 1951[17]. La Constitution turque de 1982 rend l'enseignement religieux obligatoire à l'école publique[2]. Dans le cadre de cet enseignement, c'est uniquement l'islam, voire exclusivement l'islam sunnite qui est présenté aux élèves et non les religions dans leur pluralité[18]. Il existe plus de vingt facultés de théologie en Turquie en 2010[2].
On annonce en décembre 2012 que deux examens d'entrée à l'université, l'Examen de Transition vers l'Enseignement Supérieur (YGS) en mars 2013 et l'Examen de Placement des Étudiants de Premier Cycle (LYS-4) en juin 2013, comprendront des questions de religion[19]. En visite dans une école arménienne, le ministre de l'éducation Ömer Dinçer explique que ces questions existaient déjà depuis plusieurs années sous l'intitulé "éducation pour la religion et l'éthique", que cela ne traite pas d'une religion spécifique, et que les lycéens des minorités religieuses seront interrogés sur des questions correspondant à leur propre cursus[20].
Année 1990/2000 : Interdiction du voile dans les institutions de l'État puis levée progressive de la prohibition
La laïcité turque signifie la relégation de la religion dans la sphère privée et son absence complète dans la vie publique[réf. nécessaire]. Ainsi, et la question s'est posée à plusieurs reprises sous ce gouvernement, les femmes de ministres qui porteraient le voile ne peuvent assister à aucune cérémonie officielle.
Une jurisprudence de la Cour Constitutionnelle avait estimé, en 1991, que le fait d’autoriser les étudiantes à « se couvrir le cou et les cheveux avec un voile ou un foulard pour des raisons de conviction religieuse » dans les universités[21] était contraire à la Constitution[22].
En 1998, le Rectorat de l'Université d'Istanbul a émis une circulaire interdisant le port du voile ou de la barbe dans l'établissement[22].
Dans l'affaire Leyla Şahin contre Turquie, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé, en novembre 2005, que l'interdiction du voile à l'université ne contrevenait pas à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 09 Convention européenne des droits de l'homme), ni au droit à l’instruction, ni au droit au respect de la vie privée et familiale, ni à la liberté d'expression, ni enfin à l'interdiction de la discrimination[22].
Le Parlement, dominé par la majorité AKP, a adopté le 7 février 2008 une loi qui devait permettre de porter le voile à l'université. Celle-ci stipulait notamment que « personne ne [pouvait] être privé de son droit à l'éducation supérieure ». La loi a cependant été jugée anti-constitutionnelle par la Cour Constitutionnelle, tandis que l'AKP a fait par la suite l'objet d'une requête d'interdiction soutenue par les milieux anti-cléricaux, dont l'armée. En juillet 2008, la Cour constitutionnelle a écarté cette requête, tout en condamnant financièrement l'AKP.
Deux ans après, lors de la rentrée universitaire 2010; la prohibition du voile est levée dans les universités turques[23] par une circulaire du Conseil de l'Enseignement Supérieur. L'interdiction du port du voile est progressivement levée dans toutes les universités de Turquie. En 2012, un professeur d'université est condamnée à deux ans de prison pour avoir interdit l'accès de la salle du classe a une étudiante portant le voile[24]. Aïcha Jale Saraç, une femme portant le voile occupe pour la première fois le poste de présidente d'université en 2014[25].
En 2012, les élèves des écoles musulmanes sont libre de porter le voile. Toujours en début d'année 2012, le Conseil d’Etat, la plus haute autorité administrative judiciaire du pays, qui avait été saisi par une avocate voilée, prend la décision de lever l'interdiction pour les avocates de plaider voilées dans les tribunaux[26].
En septembre/octobre 2013, le port du voile est autorisé dans les écoles publiques turques pour les élèves et les enseignantes. En octobre 2013, le voile fait son entrée dans la fonction publique, où les femmes fonctionnaire peuvent désormais porter le voile[27].
En novembre 2013, le port du voile fait son retour au parlement, quatre femmes députées portant le voile entrent à l'assemblée nationale turque[28]. De 1999 à 2013, il n'y avait eu aucune parlementaire voilée.
En 2014, le port du voile fait son apparition à la télévision publique, la présentatrice Feyza Cigdem Tahmaz est apparue à l'antenne pour présenter les informations[29].
Manifestations pro-laïques d'avril 2007
Les « manifestations de la République » (Cumhuriyet Mitingleri ), pro-laïques, ont eu lieu en avril 2007. La première eut lieu à Ankara le 14 avril 2007 seulement deux jours avant le début du processus de l'élection présidentielle[30]. La seconde s'est déroulée à Istanbul le 29 avril. Les manifestations ont été parmi les plus importante de l'histoire de la Turquie. Le motif de la première manifestation a été la possible candidature à la présidence de l'actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan, membre de l'AKP.
Entre des « centaines de milliers » à 1.5 million de manifestants étaient rassemblées pour la première manifestation devant l'Anıtkabir, le mausolée de Mustafa Kemal Atatürk à Ankara. À la seconde manifestation, plus d'un million de personnes se sont réunies pour protester sur la place Çağlayan à Istanbul, selon Reuters[31]. BBC rapporta des centaines de milliers de personnes[30].
Références
- ↑ Jean-Paul Burdy, «Laïcité, islam et identité nationale : ambiguïtés et perspectives de la liberté de conscience dans la Turquie candidate à l’UE», in Stéphane Guérard (dir.), "Regards croisés sur la liberté de conscience", Paris, L'Harmattan, 2010
- 1 2 3 Xavier Jacob, « L'islam dans la Turquie actuelle », Chemins de dialogue N°36 p.162
- ↑ Olivier ABEL, « La condition laïque: réflexions sur le problème de la laïcité en Turquie et en France », Cahiers d’Études sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien [En ligne], 19 | 1995, mis en ligne le 14 mai 2006, consulté le 13 décembre 2012. URL : http://cemoti.revues.org/1686
- ↑ http://www.diyanet.gov.tr
- ↑ Samim Akgönül, Religions de Turquie, religions des Turcs: nouveaux acteurs dans l'Europe élargie, Paris, L'Harmattan, , 196 p. (ISBN 978-2-7475-9489-9, LCCN 2006382557, lire en ligne), p. 69
- 1 2 The World of the Alevis: Issues of Culture and Identity, Gloria L. Clarke
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- ↑ http://www.tbmm.gov.tr/anayasa/anayasa_2011.pdf
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- ↑ http://www.psakd.org/dunyada_turkiyede_nusayrilik1.html
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- 1 2 Xavier Jacob, « L'islam dans la Turquie actuelle », Chemins de dialogue N°36 p.160-161
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- ↑ Hurriyet Daily News, « Marking first, Turkish minister visits Armenian school », 21 décembre 2012, http://www.hurriyetdailynews.com/marking-first-turkish-minister-visits-armenian-school.aspx?pageID=238&nID=37312&NewsCatID=339
- ↑ « Le voile fait son entrée dans l'administration en Turquie »
- 1 2 3 Arrêt de la CEDH dans l'affaire Leyla Şahin contre Turquie
- ↑ « En Turquie, le voile islamique fait sa rentrée universitaire », sur www.lefigaro.fr, (consulté le 19 juillet 2014)
- ↑ « Turquie : un professeur en guerre contre le hijab à l’université condamné à 2 ans de prison » (consulté en 1907/2014)
- ↑ « Turquie : Une femme devient la première présidente d’Université à porter le hijab »
- ↑ « http://www.saphirnews.com/Turquie-les-avocates-autorisees-a-porter-le-voile_a16135.html »
- ↑ « Turquie: Erdogan lève l'interdiction du voile, aucune avancée côté kurde »
- ↑ « http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/391490/le-voile-revient-au-parlement »
- ↑ « Turquie : le port du voile s'étend au Parlement et à la télévion »
- 1 2 « Secular rally targets Turkish PM », BBC (consulté le 15 avril 2007)
- ↑ « One million Turks rally against government », Reuters (consulté le 30 avril 2007)
Article connexe
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