Denier (monnaie)
Le denier, du latin denarius (pluriel : denarii), était l'une des monnaies de base du système monétaire romain. Le mot denarius signifie aussi dizaine en latin, sa valeur initiale valant dix as. Il s'agissait d'une pièce d'argent, d'un poids d'environ 3 à 4 g selon les époques. Le terme de denier a survécu à la chute de l'Empire romain et a continué à être utilisé de l'époque carolingienne à la Révolution française dans le cadre du système monétaire livre-sou-denier usité sous l'Ancien Régime. Le denarius est aussi la monnaie à l'origine du dinar, encore utilisé aujourd'hui en Europe en Serbie depuis 1920 et dans de nombreux pays du Maghreb et du Moyen-Orient.
L'Antiquité romaine
Période républicaine
Création du denier à 10 as
La date de la création du denier d'argent a fait l'objet de controverses entre les historiens et les numismates, compliquées par l'exploitation des écrits antiques, tantôt considérés comme des sources probantes, ou au contraire qualifiés d'anachronismes. Selon Pline l'Ancien, le denier d’argent serait apparu sous le consulat de Q. Ogulnius et de C. Fabius c’est-à-dire en 269 av. J.-C., quelques années avant la première guerre punique[1],[2]. Le résumé de Tite-Live date le début d'utilisation à Rome de monnaie en argent à sensiblement la même date, 268 av. J.-C.[3] Longtemps acceptée, notamment par Theodor Mommsen[4] et Ernest Babelon[5], cette datation a été réfutée en 1932 par le numismate britannique Harold Mattingly[6]. Ces émissions en argent suivaient le système pondéral des villes grecques du sud de l'Italie, à l'imitation du didrachme grec, et ne sont pas considérées comme des deniers romains[7].
Harold Mattingly et G. Robinson avancèrent à 187 av. J. C. la création du dernier, période de pause dans les guerres et les troubles intérieurs[6], chronologie suivie par Edward Allen Sydenham[8].
Les fouilles des ruines de Morgantina (it) en Sicile menées à partir de 1955 ont apporté des preuves archéologiques certaines pour la datation de l'apparition des premiers deniers. Base romaine en Sicile durant la deuxième guerre punique qui opposa la Rome antique à Carthage, Morgantina est prise par les Carthaginois en 213 av. J.-C., puis reprise par les Romains en 211 av. J.-C. et complètement détruite. Des deniers des premières séries et quasiment dépourvus d'usure ont été découverts sous des couches d'incendie, ce qui démontre une création du denier au plus tard en 211 av. J.-C., ou selon Patrick Marchetti, en 214 av. J.-C., année précédant la fin du stationnement romain[9].
Le système monétaire issu de la deuxième guerre punique
Dans le nouveau système monétaire bimétallique mis en place, le « denarius » en argent qui titre à 950 ‰ côtoie désormais le monnayage en bronze, à savoir l'as et ses subdivisions (le semis, le triens, le quadrans, le sextans, l'once…). Il se définit par rapport à l'as sextantaire en bronze (as de 1/6 de livre) selon la cotation d'un denier pour dix as. La marque X (dix en chiffres romains) figure sur les pièces pour rappeler cette équivalence[7].
Monnaie | Denier | Quinaire | Sesterce | As | Métal | Marque | Avers | Revers |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Denier | 1 | 2 | 4 | 10 | Argent | X | Rome casquée | Dioscures |
Quinaire | 1/2 | 1 | 2 | 5 | Argent | V | Rome casquée | Dioscures |
Sesterce | 1/4 | 1/2 | 1 | 2,5 | Argent | IIS | Rome casquée | Dioscures |
As | 1/10 | 1/5 | 2/5 | 1 | Bronze | Janus | proue de navire |
À sa création vers 211 av. J.-C., le denier pèse environ 4,5 g[10]. Ramené aux unités antiques, le denier pèse en théorie 1/72 de livre d'argent, ou quatre scrupulum d'argent[11]. Une première dévaluation en 207 av. J.-C. baisse son poids à 4,20 g. Très vite la taille passe à 1/82 livre pour un poids théorique de 3,96 g. Dans les années 170 av. J.-C., son poids passe à 3,7 g grammes.
Au cours du IIe siècle, les types monétaires se diversifient du classique motif « Rome casquée » et « Dioscures », et figurent d'autres divinités, comme Diane, Jupiter, la Victoire. À cette époque, l'émission des monnaies était placée sous la responsabilité d'une commission de trois magistrats monétaires (les « tresviri monetales » du corps « vigintisevirat »). Ces fonctionnaires, renouvelés chaque année, ont très vite utilisé la monnaie comme moyen de promotion en y apposant leur nom. À partir des années 120 av. J.-C., les deniers exaltent la gloire des magistrats monétaires, plus précisément des leurs ancêtres, car la figuration d'un individu vivant reste une prétention inadmissible durant la République. Ce n'est qu'avec Jules César et ses continuateurs qu'un personnage vivant apparaît sur les deniers [12]. Sous l'Empire, après Auguste, plus aucune monnaie ne fera référence aux magistrats monétaires[13].
Denier à 16 as
Vers 145 av. J.-C., le denier est retarifé pour coter 16 as[14] sans modification du poids. En effet, sa valeur reposait exclusivement sur son poids et sa teneur en métal précieux.
Ce nouveau denier porte le chiffre XVI pour traduire sa parité par rapport à l’as, puis un X barré. La marque de valeur finit par être abandonnée, et le nouveau denier n’affiche plus d’indication de parité[15]
Monnaie | Denier | Quinaire | Sesterce | As | Métal |
---|---|---|---|---|---|
Denier | 1 | 2 | 4 | 16 | Argent |
Quinaire | 1/2 | 1 | 2 | 8 | Argent |
Sesterce | 1/4 | 1/2 | 1 | 4 | Argent |
As | 1/16 | 1/8 | 1/4 | 1 | Bronze |
La frappe des deniers est essentiellement réalisée par l'atelier monétaire de Rome. Quelques émissions sont réalisées dans les provinces selon les besoins liés aux déplacements des légions, par exemple à Narbonne en 118 av. J.-C. ou dans les ateliers espagnols[16]. Continuellement alimentées en métal précieux par le butin des conquêtes, par les mines d'argent et par les tributs, les émissions de deniers romains vont inonder le monde méditerranéen au cours des IIe et Ier siècles av. J.-C., pour atteindre selon Depeyrot une masse estimée à 1200 tonnes d'argent, soit un stock monétaire qui pourrait atteindre quelques 300 millions de deniers. Un palier dans cette expansion semble être atteint après 75 av. J.-C., lorsque les auteurs latins évoquent une certaine pénurie monétaire[17].
Période impériale
Les troubles civils du Ier siècle av. J.-C. et la constitution d'armées rivales multiplient les ateliers d'émission de monnaie d'argent et aussi d'or. Devenu seul maître de l'Empire, Auguste organise un système monétaire dans lequel le sesterce, le denier et l'aureus sont les principales espèces :
Denier | Sesterce | As | Monnaie | Métal | Poids sous Auguste | ||
25 | 100 | 400 |
|
or | ≈ 7,85 g | ||
12½ | 50 | 200 |
|
or | ≈ 3,92 g | ||
1 | 4 | 16 |
|
argent | ≈ 3,79 g | ||
1/ 2 | 2 | 8 |
|
argent | ≈ 1,9 g | ||
1/ 4 | 1 | 4 |
|
laiton | ≈ 25 g | ||
1/ 8 | 1/ 2 | 2 |
|
laiton | ≈ 12,5 g | ||
1/ 16 | 1/ 4 | 1 |
|
cuivre | ≈ 11 g | ||
1/ 32 | 1/ 8 | 1/ 2 |
|
cuivre | ≈ 4,6 g | ||
1/ 64 | 1/ 16 | 1/ 4 |
|
cuivre |
Au IIIe siècle, en 215 sous Caracalla, paraît une nouvelle monnaie, l'antoninien, d'une valeur de deux deniers (la tête de empereur est radié pour l'antoninien, laurée ou non pour les deniers). Le denier est dès lors amené à disparaître sous l'empereur Gallien.
Pouvoir d'achat
Exemple d'équivalences entre services, produits et prix durant la période augustinienne[19] :
- Rémunération annuelle d'un soldat (miles) : 225 deniers
- Rémunération annuelle d'un centurion : 3 375 deniers
- 1 livre (0,327 g) de pain : 1 as
- Une tunique : 3 deniers 12 as
- Une mule : 130 deniers
Au Moyen Âge et sous l'Ancien Régime
Au Moyen Âge, le denier équivalait à deux mailles ou 1/12e de sol soit 1/240e de livre. Cependant, ce cours a pu être soumis à de nombreuses modifications sous l'action des réformes monétaires royales.
En pratique, le denier correspondait alors à une petite pièce de billon d'environ 1 g.
Période moderne
Le nom denarius a aussi donné dinar, terme encore utilisé dans certains pays comme la Tunisie avec le dinar tunisien.
Notes et références
- ↑ Pline l'Ancien, Histoires naturelles, XXXIII, 13
- ↑ Datation publiée dans le Guide romain antique de Georges Hacquard, Hachette, 2005, 50e éd. (1re éd. 1952), (ISBN 2010004884), p. 104 et non corrigée malgré sa réfutation
- ↑ Periochae de Tite-Live, XV, 6
- ↑ Theodor Mommsen, Histoire de la monnaie romaine, tome 2, 1870, pp. 27-29
- ↑ Ernest Babelon, Traité des monnaies grecques et romaines, 1901
- 1 2 Jean-Baptiste Giard, « In memoriam : Harold Mattingly », Revue numismatique, 6e série - Tome 6, année 1964 pp. 217-218
- 1 2 Zehnacker 1992, p. 3
- ↑ Edward Allen Sydenham, The Coinage of the Roman Republic, 1952, p. XI
- ↑ Marchetti 1993, p. 30
- ↑ Depeyrot 2006, p. 14
- ↑ Zehnacker 1992, p. 2
- ↑ Zehnacker 1992, p. 3
- ↑ Depeyrot 2006, p. 16
- ↑ Michel Christol et Daniel Nony, Rome et son empire, des origines aux invasions barbares, Hachette, collection HU, 2003, (ISBN 2011455421), p 75
- ↑ Zehnacker 1992, p. 2
- ↑ Depeyrot 2006, p. 15
- ↑ Depeyrot 2006, p. 16-18
- ↑ Depeyrot 2006, p. 33
- ↑ « Prix et salaires sous l'Empire romain », Antiquitas, le web au service de l'enseignement, en ligne.
Bibliographie
Ouvrages généraux
- Georges Depeyrot, La monnaie romaine : 211 av. J.-C. - 476 apr. J.-C., Editions Errance, , 212 p. (ISBN 2877723305)
Articles
- Julien Guey, « L'aloi du denier romain de 177 à 211 après J.-C. étude descriptive », Revue numismatique, 6e série, t. 4, , p. 73-140
- Patrick Marchetti, « Numismatique romaine et histoire », Cahiers du Centre Gustave Glotz, no 4, , p. 25-65 (lire en ligne)
- Hubert Zehnacker, « Aperçus de numismatique romaine (I) », Vita Latina, no 127, , p. 2-4 (lire en ligne)
- Hubert Zehnacker, « Aperçus de numismatique romaine (II) », Vita Latina, no 128, , p. 2-5 (lire en ligne)
Voir aussi
Lien externe
- (fr) Présentation du denier romain, cet unique ancêtre de l'euro
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