Équations de Navier-Stokes
En mécanique des fluides, les équations de Navier-Stokes sont des équations aux dérivées partielles non linéaires qui sont censées décrire le mouvement des fluides « newtoniens » (liquide et gaz visqueux ordinaires) dans l’approximation des milieux continus. La résolution de ces équations modélisant un fluide comme un milieu continu à une seule phase, si elle est possible, est ardue. La cohérence mathématique de ces équations non linéaires n'est pas démontrée. Mais elles permettent souvent par une résolution approchée de proposer une modélisation des courants océaniques et des mouvements des masses d'air de l'atmosphère pour les météorologistes, la simulation numérique du comportement des gratte-ciel ou des ponts sous l'action du vent pour les architectes et ingénieurs, des avions, trains ou voitures à grandes vitesse pour leurs bureaux d'études concepteurs, mais aussi le trivial écoulement de l'eau dans un tuyau et de nombreux autres phénomènes d'écoulement de divers fluides.
Elles sont nommées d'après deux scientifiques du XIXe siècle, le mathématicien et ingénieur des Ponts, Henri Navier, et le physicien George Gabriel Stokes, le choix oubliant le rôle intermédiaire du physicien Barré de Saint-Venant. Pour un gaz peu dense, il est possible de dériver ces équations à partir de l’équation de Boltzmann, décrivant un comportement moyen des particules dans le cadre de sa théorie cinétique des gaz.
La résolution des équations de Navier-Stokes constitue l'un des problèmes du prix du millénaire.
Lois de conservation
Formulation différentielle
Il existe bien des formes des équations de Navier-Stokes. Nous n'en présenterons que certaines. Ces formes dépendent aussi des notations utilisées. Ainsi, il existe plusieurs façons équivalentes d'exprimer les équations de conservation en termes d’opérateurs différentiels.
La formulation différentielle générale de ces équations est :
- Équation de continuité (ou équation de bilan de la masse)
- Équation de bilan de la quantité de mouvement
Dans ces équations :
- t représente le temps (unité SI : s) ;
- ρ désigne la masse volumique du fluide (unité SI : kg⋅m-3) ;
- désigne la vitesse eulérienne d'une particule fluide (unité SI : m⋅s-1) ;
- p désigne la pression (unité SI : Pa) ;
- est le tenseur des contraintes visqueuses (unité SI : Pa) ;
- désigne la résultante des forces massiques s'exerçant dans le fluide (unité SI : N⋅kg-1) ;
- e est l'énergie totale par unité de masse (unité SI : J⋅kg-1) ;
- est le flux de chaleur perdu par conduction thermique (unité SI : J⋅m-2⋅s-1) ;
- r représente la perte de chaleur volumique due au rayonnement (unité SI : J⋅m-3⋅s-1).
Remarques :
L'énergie totale peut se décomposer en énergie interne u et en énergie cinétique selon
L'opérateur nabla, qui s'exprime sous la forme
en coordonnées cartésiennes, est un opérateur de dérivation spatiale du 1er ordre. Les opérateurs gradient, divergence et laplacien peuvent s'écrire à l'aide de cet opérateur :
- ;
- ;
- .
Expression en coordonnées cartésiennes
En coordonnées cartésiennes , les équations de conservation s'écrivent :
- Équation de continuité :
- Équation de bilan de la quantité de mouvement ()
- Équation de bilan de l'énergie
Fluide newtonien, hypothèse de Stokes
En première approximation, pour de nombreux fluides usuels comme l'eau et l'air, le tenseur des contraintes visqueuses est proportionnel à la partie symétrique du tenseur des taux de déformation (hypothèse du fluide newtonien)
et le flux de chaleur est proportionnel au gradient de la température (loi de Fourier), c'est-à-dire
où :
- désigne la viscosité dynamique du fluide (unité SI : Pa⋅s) ;
- désigne la seconde viscosité du fluide (unité SI : Pa⋅s) ;
- désigne le tenseur unité ;
- désigne la conductivité thermique du fluide (unité SI : W⋅K-1⋅m-1) ;
- désigne la température (unité SI : K).
Les viscosités dynamiques et de volume sont supposées constantes. L'ensemble des fluides pour lesquels cette hypothèse est vérifiée sont appelés fluides newtoniens. On lui adjoint généralement l'hypothèse de Stokes :
Cette hypothèse n'est vraie que pour des fluides simples comme l'eau, l'air et des gaz comme le méthane.
On peut alors réécrire l'équation de quantité de mouvement sous la forme :
Remarque :
- De nombreux fluides complexes, tels que les polymères, les hydrocarbures lourds, le miel, ou encore la pâte de dentifrice, ne vérifient pas ces hypothèses : on recourt alors à d'autres lois de comportement visqueux, dites non newtoniennes (par exemple la loi du fluide de Bingham). La science chargée d'étudier les relations entre contrainte et déformation pour de tels fluides s'appelle la rhéologie.
Expression pour les écoulements de fluides compressibles
L'écoulement d'un fluide est dit incompressible lorsque l'on peut négliger ses variations de masse volumique au cours du temps. Cette hypothèse est vérifiée pour l'eau liquide et les métaux en fusion. Elle est aussi vérifiée pour les gaz lorsque le nombre de Mach est faible. En général, on considère l'écoulement incompressible lorsque . Dans le cas contraire, c'est-à-dire pour un écoulement compressible, on adjoint pour fermer le système une équation d'état du fluide, de la forme
Pour un gaz parfait, cette équation d'état s'écrit
où désigne la constante des gaz parfaits et la masse molaire du fluide.
Ainsi, en négligeant les pertes de chaleur par rayonnement, pour un écoulement compressible de fluide visqueux newtonien vérifiant l'hypothèse de Stokes et la loi des gaz parfaits, on obtient un système de 6 équations à 6 inconnues: , , et :
L'énergie totale par unité de masse est reliée à la pression, la masse volumique et à la vitesse par l'équation
où désigne l'exposant isentropique du gaz parfait.
Expression pour les écoulements de fluides incompressibles
Pour un fluide visqueux newtonien incompressible, l'équation de l'énergie est découplée des équations de continuité et de quantité de mouvement, c'est-à-dire qu'on peut déterminer la vitesse et la pression indépendamment de l'équation de l'énergie. L'expression des équations de continuité et de quantité de mouvement sont considérablement simplifiées. On obtient alors
- Équation de continuité appelée alors équation d'incompressibilité
- Équation de bilan de la quantité de mouvement
où désigne la viscosité cinématique du fluide (unité SI : ) et est le terme de convection.
Expression en coordonnées cartésiennes
et
Expression en coordonnées cylindriques
et
Expression en coordonnées sphériques
et
Quelques solutions exactes des équations de Navier-Stokes incompressibles
Écoulement stationnaire incompressible laminaire d'un fluide visqueux newtonien :
- dans un tube cylindrique avec une différence de pression entre l'entrée et la sortie (écoulement de Poiseuille),
- entre deux plans dont l'un est en mouvement permanent par rapport à l'autre (écoulement de Couette).
Interprétation
L'équation de conservation de la quantité de mouvement se déduit de la relation fondamentale de la dynamique (aussi appelée seconde loi de Newton) : en l'appliquant dans le contexte des milieux continus.
Le membre de droite fait apparaître deux types de forces :
- Les forces intérieures (ou contraintes) :
- liés à la pression, qui existent même lorsque le fluide n'est pas en mouvement (on parle de contrainte hydrostatique).
- liés à la viscosité, qui traduisent la résistance du fluide à la déformation. Le terme contenant la viscosité de volume disparaît si le fluide est incompressible : les déformations se font alors à volume constant (on parle de fluide isovolume).
- Les forces extérieures :
- Les efforts volumiques, qui peuvent être des forces de gravité () ou électromagnétiques () par exemple.
- Les efforts surfaciques, qui correspondent la plupart du temps aux conditions aux limites imposées par un obstacle ou une paroi solide.
Le membre de gauche exprime l'accélération du fluide.
- Pour comprendre d'où provient cette expression, il est utile de rappeler que deux points de vue peuvent être adoptés pour décrire le mouvement dans un milieu continu :
- La description lagrangienne suit chaque particule[note 1] le long de sa trajectoire : la valeur d'une variable (température, pression, vitesse…) dépend de l'instant et de la particule considérée (identifiée par sa position à l'instant de référence).
- La description eulérienne est associée à un repère indépendant du mouvement du fluide, généralement fixe : la valeur des variables fluides dépend alors du temps et de la position d'observation .
- La description lagrangienne est peut-être plus intuitive mais revêt un inconvénient majeur pour décrire les fluides : contrairement aux solides, les particules peuvent se déplacer librement dans la totalité d'un domaine fluide. L'analyse d'un écoulement est alors une tâche très ardue (on ne peut même pas exprimer un gradient par exemple, car on ne connait pas les particules voisines !). On préfère donc très largement utiliser un point de vue eulérien pour décrire le mouvement d'un fluide. La difficulté réside alors dans le fait que la conservation de la quantité de mouvement est physiquement vérifiée uniquement si l'on considère une particule fluide. Or la particule (variable de Lagrange) coïncidant avec le point d'observation (variable d'Euler) change à chaque instant t. En termes plus imagés, le randonneur qui observe un point fixe de la rivière n'a jamais les mêmes particules fluides sous les yeux. En particulier, il n'y a aucune raison pour qu'au point il voie la même particule aux instants et . Comment peut-il alors calculer la vitesse ou l'accélération de la particule fluide qu'il a instantanément sous les yeux ?
- À la lumière des explications ci-dessus, on peut justement interpréter le membre de gauche comme l'expression de l'accélération d'une particule fluide exprimée à l'aide des variables d'Euler . Il s'agit de ce que l'on appelle la dérivée particulaire de la vitesse, à laquelle on doit recourir pour établir les équations de conservation en formulation eulérienne :
- On voit apparaître deux termes :
- la dérivée locale qui caractérise l'évolution temporelle intrinsèque de la variable vitesse (nulle si l'écoulement est stationnaire) ;
- la dérivée convective qui caractérise la modification de la variable due à son déplacement vers une région différente (nulle si le champ est uniforme).
La résolution de l'équation de Navier-Stokes est extrêmement difficile. Elle reste l'un des grands problèmes mathématiques non résolus à ce jour. Elle fait partie des problèmes du prix du millénaire[1]. À la complexité inhérente aux équations aux dérivées partielles couplées (vitesse, pression, voire température si le fluide est compressible) s'ajoute la non-linéarité du terme d'auto-advection de la vitesse. Ce terme rend notamment compte dans les équations du phénomène de turbulence.
Les écoulements rampants (viscosité infinie) ainsi que les écoulements potentiels (dérivant d'un gradient) permettent parfois de résoudre analytiquement un problème (simple) de mécanique des fluides. Le reste du temps, on a recours à des simulations numériques.
Origine du terme d'advection
Le terme d'advection caractéristique des équations de Navier-Stokes a une origine mathématique simple inhérente à la relation entre une différentielle totale exacte et les dérivées partielles. En effet, pour une particule fluide l'accélération est donnée par:
avec la densité du fluide, le vecteur vitesse et les coordonnées spatiales considérées.
En coordonnées cartésiennes on obtient donc :
En coordonnées cylindriques de même on obtient :
En coordonnées sphériques :
Quelles que soient les coordonnées, on retrouve donc le terme d'advection :
Le terme disparaît si une hypothèse permettant d'annuler la divergence de la vitesse est faite (isovolume, écoulement incompressible).
Comme souvent, la formulation de l'accélération sous forme de dérivées partielles permet une recherche plus facile de solutions à des problèmes particuliers, l'intégration de dérivées partielles étant grandement facilitée en comparaison des équations comportant des différentielles totales exactes. Ici cette démarche conduit à l'apparition du terme d'advection qui rend compte du transport de matière, découplé de la variation intrinsèque de la vitesse dû à des forces externes au fluide.
Dans le cas d'un fluide incompressible, ce terme d'advection peut se décomposer
On peut alors définir le pseudovecteur vorticité :
On peut aussi définir le vecteur, dit de Lamb:
Note et référence
Note
- ↑ Une particule fluide ne correspond pas à une molécule seule ! Au contraire, une des hypothèses de base de la mécanique des milieux continus est que le nombre de Knudsen est très faible. Autrement dit, une particule fluide est un volume élémentaire contenant un nombre suffisamment important de molécules pour que la définition d'une vitesse d'ensemble ou d'une température moyenne ait un sens. Par contre, la particule fluide est très petite devant les dimensions caractéristiques du domaine considéré, de sorte qu'on peut l'assimiler à un point matériel .
Référence
- ↑ (en) Navier-Stokes Equation, Institut de mathématiques Clay.
Annexes
Bibliographie
- James Luneau et A. Bonnet, Aérodynamique théories de la dynamique des fluides, Toulouse, Éditions Cépaduès, coll. « Sup'Aero », , 544 p. (ISBN 9782854282184 et 2854282183).
- Etienne Guyon, Jean-Pierre Hulin et Luc Petit (préf. John Hinch), Hydrodynamique physique, Les Ulis/Paris, EDP Sciences/CNRS Éditions, coll. « Savoirs actuels », , 3e éd. (ISBN 9782759805617 et 2759805611).
- Thomas Sonar, « Turbulences sur les équations des fluides », Pour la Science, no 403, mai 2011, p. 26-33.
Articles connexes
- Équation de Navier
- Mécanique des fluides numérique
- Équation de Boltzmann
- Approximation de lubrification
- Effet Coandă
- Équations d'Euler
- Équation de Fokker-Planck
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