Laurent Gervereau
Laurent Gervereau est un artiste, écrivain et philosophe français né à Paris en 1956. Il consacre sa vie professionnelle à promouvoir l'histoire du visuel (ou « histiconologia »), à l'enseignement et à la direction d'institutions patrimoniales et de réseaux internationaux.
Parcours de création
Au tout début des années 1970, il expose ses œuvres picturales à côté de surréalistes historiques (Alfred Courmes, Clovis Trouille, le surréalisme en Belgique et à Prague, Mirabelle Dors et Maurice Rapin), notamment au théâtre du Ranelagh en 1974-1975. Il se forge une conception du monde héritée des libertaires du XIXe siècle et de l'Internationale situationniste[1]. Il devient membre du Collège de 'Pataphysique avant l'occultation temporaire de 1975[2] et est proche de Noël Arnaud, auquel Gervereau consacrera plus tard son film intitulé Politically InKorect !.
Il lance et dirige, de 1977 à 1979, la revue[3] Aux poubelles de la Gloire[4], avec Guy Bodson. C'est à cette époque qu'il ancre ses convictions libertaires et écologistes. Il les complète avec un sens de la relativité (Pour une philosophie de la relativité réunit en 2010 des textes divers antérieurs sur ce sujet), contre le relativisme (tout se vaut, donc rien ne vaut rien). Défenseur de l'écologie culturelle, il prône le respect de conceptions du monde différentes entre les continents avec des individus aux identités imbriquées et aux histoires stratifiées. Il affirme la nécessité d'une boussole éducative adaptée à l'environnement de chacune et chacun, qui permet le choix. Il refuse l'uniformisation (textes rassemblés parus en 2010 dans Ici et partout. Trois essais d'écologie culturelle). Il continue ainsi la critique de la notion de progrès amorcée par Élisée Reclus en affirmant la nécessité d'évolution perpétuelle, de mouvement, de changement[5], dans une conscience de tri rétrofuturo (ce qu'on garde et là où il faut innover) au sein d'un contexte où s'opposent les plurofuturos (ayant une conception pluraliste et voulant faire évoluer l'existant) et les monorétros (défendant une seule vision du monde, née autrefois, à imposer partout).
Il commence parallèlement sa saga romancée L'Homme planétaire dans la seconde moitié des années 1970, qui aboutira en 2001 à la parution chez Sens & Tonka de Ce livre n'est pas à lire, partie centrale du triptyque, choisi dans les 7 romans de la rentrée littéraire par le magazine Les Inrockuptibles et France Culture[6]. Cet ouvrage se situe dans la volonté de créer une littérature hybride multimedia dans des rapports locaux-globaux : le « crossmedialisme ». En 2011, paraîtra l'adaptation en bande dessinée du troisième volet du roman titré Mixplanet, qu'il réalise avec l'artiste chinois Xin Ye.
En 1989, il lance un nouveau groupe et une revue avec Louis Rollinde : Les Peintres d'histoire, avec expositions à Naples, Paris et Hanovre[7]. Face à l'accumulation indifférenciée des images, il prône la rareté et la difficulté à voir (La Disparition des images, 2003), combinant la possibilité d'interventions ou de productions artistiques avec la création de pièces uniques (Unik). Ayant commencé à filmer dans les années 1970 (festival international du super 8...), il est l'auteur également de 8 films long-métrages documentaires expérimentaux réalisés dans le cadre de ce qu'il nomme le « cinéma espresso » (sortie en salle au Reflet Médicis à Paris en janvier 2011 après plusieurs avant-premières en province, notamment dans les villes de la Métropole Rhin-Rhône[8] pour laquelle ils ont été réalisés).
En juillet 2015, constatant la déconnexion à l'œuvre en France par rapport aux pouvoirs centraux, il lance une initiative locale-globale à Argentat-sur-Dordogne : les rencontres-promenades « Histoires de passages »[9], qui permettent de mettre en valeur les savoirs et les créations dans tous les domaines, apiculture, histoire de l'art, agronomie, science politique, gastronomie ou musique, grâce à une économie du don, de l'échange, de la gratuité. Pour la première édition, le dessinateur Cabu réalisa là sa dernière affiche.
Parcours scientifique et professionnel
Après avoir travaillé dans des librairies et au Crédit Agricole, il prend le 1er octobre 1978 un poste précaire dans un musée. Cette activité aura deux conséquences : sa forte implication dans la transformation internationale des institutions patrimoniales ; son choix de se consacrer scientifiquement à l'étude de tous types d'images en s'apercevant que 98 % des collections du musée où il travaillait n'étaient étudiées par personne. Il se spécialisera dans l'histoire mondiale de la production visuelle humaine, discipline qu'il nommera « Histiconologia ».
Après des études de droit, de sciences politiques et d'histoire de l'art, à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'École du Louvre, interrompues pour travailler, il reprend ses études dans les années 1980, pour des raisons administratives, dans le cadre d'un DEA sur les représentations dans l'affiche politique française, qu'il passe en 1988 sous la direction de Marc Ferro à l'EHESS. Il privilégie ensuite l'écriture de livres.
Il devient en 1991 conservateur du Musée d'Histoire contemporaine, qui dépend de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine. Il fonde en 1991 l'Association internationale des musées d'histoire, qu'il préside pendant 14 ans[10]. En 1992, il crée avec Fabrice d'Almeida, Antoine de Baecque, Laurence Bertrand Dorléac, Philippe Buton, Christian Delporte, David El Kenz, Thomas Michael Gunther, Orsula E. Koch, Michael Nicolaïev, Sarah Wilson, le Groupe d'études sur l'image fixe, qui popularise notamment les expressions « image fixe » et « images mobile ». Sous sa direction, le GEIF devient le groupe L'image assorti d'une revue bilingue diffusée par Gallimard en France et l'université Harvard. Des colloques internationaux en jalonnent l'histoire (« Où va l'histoire de l'art contemporain ? », « Peut-on apprendre à voir ? », puis « Quelle est la place des images en histoire ? » avec Christian Delporte), comme la création de sites internet (imagesmag, imageduc, primages) et de cédéroms (collection [décrypter les images]).
Au Musée d'histoire contemporaine, il rassemble des chercheurs de différentes obédiences, des personnalités politiques et culturelles de tous bords. Il mène des opérations comparatistes avec des partenaires d'autres pays (Allemagne et France des années 1920, France et Angleterre des années 1960...). Il traite, avec toujours des catalogues-bilans comme l'avait initié le Centre Georges-Pompidou, des sujets délicats : la propagande sous Vichy en 1991, la guerre d'Algérie en 1992, l'histoire de l'immigration, l'affaire Dreyfus, la Déportation, Images et colonies... Il promeut des regards sur des pays étrangers comme l'espace yougoslave sur un siècle ou la Russie et l'URSS. Il traite de supports alors méprisés : affiches politiques, dessins de presse, photographies de guerre... En 1997, il défend, avec un comité prestigieux présidé par Jacques Julliard, la création d'un musée du XXe siècle. En 2001, il succède à Antoine de Baecque à la tête du musée du cinéma-Henri Langlois à la Cinémathèque française.
Il mène des congrès thématiques mondiaux tous les deux ans jusqu'en avril 2004 au Brésil (Comment organiser un monde multipolaire ?) et pilote EUROCLIO, opération sur le patrimoine et l'histoire européenne soutenue pendant quatre ans (1999-2003) par la Commission européenne et faisant participer tous les pays de l'Union européenne et au-delà. Il crée le Réseau des Musées de l'Europe, bâtit la revue d'histoire comparatiste Comparare avec Jacques Le Goff, Eric Hobsbawm, Carlo Ginzburg, Rudolf von Thadden, Bronislaw Geremek. Il rassemble ses réflexions dans un essai Vous avez dit musées ? Tout savoir sur la crise culturelle (CNRS Éditions).
Pour ce qui concerne les images, ses productions sont très nombreuses. Tenons-nous à quelques étapes : l'ouvrage de méthode plusieurs fois réédité Voir, comprendre, analyser les images (La Découverte) ; Histoire du visuel au XXe siècle (Points Seuil) ; avec Cabu, la bande dessinée pour enfants Le Monde des images. Comprendre les images pour ne pas se faire manipuler (Robert Laffont) ; le Dictionnaire mondial des images (Nouveau monde, réédité en poche) ; Images, une histoire mondiale (Nouveau monde/CNDP) ; après Un siècle de manipulation des images (Somogy/BDIC), Inventer l'actualité (La Découverte) ou La Guerre mondiale médiatique (Nouveau monde), l'exposition et le livre Les images mentent ? Manipuler les images ou manipuler le public (d'éducation culturelle).
Il préside l'Institut des images et dirige avec la Ligue de l'Enseignement le portail d'éducation culturelle : www.decryptimages.net. Sur ce site, il crée en juillet 2013 le vidéomagazine culturel mensuel : « decryptcult ».
En 2004, il est nommé à la direction du patrimoine culturel et des documentations de l'école d'ingénieurs l'Agro (AgroParisTech). Il y fonde le musée du Vivant (premier musée international sur l'écologie et le développement durable et le réseau mondial à l'UNESCO lors du congrès de décembre 2005 au Te Papa Museum en Nouvelle-Zélande : Ecology and Sustainable Development Network). Il écrit Une histoire générale de l'écologie en images (les rapports des humains et de l'environnement depuis la Préhistoire) et dirige en 2012 avec Christian Delporte le colloque international « Patrimoine de l'écologie et écologie du patrimoine », qui donne lieu à des labels avec l'UNESCO[11]. Il est vice-président de la Fondation René-Dumont[12].
Il prend en 2010 la direction du See-socioecolo Network[13] fondé au Brésil et au Canada et, surnommé depuis des années « Mister Local-Global », il publie en 2012 : Le Local-Global. Changer soi pour changer la planète. Enfin, il fait des interventions artistiques dans les villes sur des thèmes différents, comme celle commencée en 2012 à Hong Kong : Economy is a belief[14] démarrant la campagne mondiale « Résistance des savoirs / Knowledge is beautiful ».
Réception critique
Jacques Le Goff a écrit dans le journal Le Monde du 15 décembre 2006 à l'occasion de la sortie du Dictionnaire mondial des images :
« Président de l'Institut des images, Laurent Gervereau publie un ouvrage appelé à faire date. Il a réuni une équipe d'une qualité exceptionnelle, qu'il s'agisse d'artistes et d'intellectuels confirmés ou de brillants jeunes chercheurs, autour d'un concept d'image. On sait que l'on considère que, depuis les dernières années du XXe siècle, l'humanité est entrée dans ce qu'on appelle l'ère des images. La somme présentée par Gervereau est dans la ligne des travaux qui ont apporté depuis vingt-cinq ans une contribution de premier ordre à l'objectif Voir, comprendre, analyser les images, titre d'un ouvrage précédent de l'historien (La Découverte, première édition en 1994), et s'inscrit dans sa réflexion sur un nouvel objet de la culture humaine, le visuel, auquel il a également consacré un volume (Histoire du visuel au XXe siècle, « Points histoire », Le Seuil, 2000). (...) Aujourd'hui nous serions entrés avec en particulier Internet dans l'« ère du cumul » et cet ouvrage semble être la première tentative globale pour pénétrer dans ce nouveau domaine de l'image mondialisée et globalisée. »
Œuvres
Publications
- Voir, comprendre, analyser les images, Paris, La Découverte, 1994 (première édition)
- Ce livre n'est pas à lire, Paris, Sens & Tonka, 2001
- Critique de l'image quotidienne. Asger Jorn, Paris, Cercle d'art, 2001
- La disparition des images, Paris, Somogy, 2003
- avec Cabu, Le monde des images. Comprendre les images pour ne pas se faire manipuler, Paris, Robert Laffont, 2004
- Laurent Gervereau (dir.), Dictionnaire mondial des images, Paris, Nouveau Monde, 2006 (réédition en poche)
- Vous avez dit musées ? Tout savoir sur la crise culturelle, Paris, CNRS Éditions, 2006
- Images, une histoire mondiale, Paris, Nouveau monde/CNDP, 2008
- Pour une philosophie de la relativité, Paris, Plurofuturo, 2010
- avec Xin Ye, Mixplanet, Paris, www.gervereau.com, 2011
- Les images mentent ? Manipuler les images ou manipuler le public, Paris, www.gervereau.com, 2011
- Une histoire générale de l'écologie en images, Paris, www.gervereau.com, 2011
- Le local-global. Changer soi pour changer la planète, Paris, www.gervereau.com, 2012
Réalisations
Huit films long-métrages ont été réalisés (1h45 en moyenne) avec des collaborateurs différents. Cinq sont sortis en salles en janvier 2011. Les deux derniers sont en fin de montage (sorties 2013)[15].
- À travers les utopies, road movie entre France et Suisse sur des lieux d'utopies anciennes pour transformer la vie aujourd'hui
- La fabrique des images hybrides : plongée dans le Japon avec une enquête à Hiroshima et la censure des images de la bombe puis, à travers Tezuka, les mangas et les films, l'histoire de la construction d'une culture mainstream mondialisée
- L'info est-elle comestible ? : Enquête dans les médias de Paris et de province avec un regard sur la Suisse et l'Allemagne dans le but de comprendre la crise en cours
- La pauvreté, c'est quoi ? : Des Maliennes et des Maliens parlent de relativité et de lutte contre l'uniformisation de la planète
- Où sont les déchets ? Film expérimental à travers l'Inde, quasiment sans paroles, pour réfléchir aux questions de pollution, aux rejetés de la société (Adivasis considérés comme non humains), à la conception de la vie et de la mort.
- En attendant l'hiver... Climat et vie quotidienne chez les Inuit : Tourné à l'extrême nord du Nunavik avec les habitants, ce film montre des Inuit décidés à garder leurs traditions (chasse, pêche, propriété collective)
- Politically InKorect ! Noël Arnaud et Dada, Jarry, Picasso, Jorn, Duchamp, Debord, Vian, l'Oulipo... Entretien inédit avec Noël Arnaud, personnage oublié mais central : voilà le chaînon manquant – et longtemps caché – entre Dada et les situationnistes (conférence avec Guy Debord en 1957) ou Fluxus, en passant par le surréalisme clandestin pendant la guerre et Cobra (entretien inédit avec Constant). (2013)
- Spectateur, le zapping le plus long de l'histoire du Cinéma. Laurent Gervereau s'enferme dans son salon et commente la télévision. co-réalisé avec Raphaël Girault (2014). Voir la bande annonce en ligne
Notes et références
- ↑ Dissoute en 1972 par Debord.
- ↑ Le Collège revient au jour en 2000.
- ↑ influencée à la fois par les théories du Collège de 'Pataphysique et celles de l'Internationale situationniste
- ↑ Bibl. : ISSN : 0399-9440.
- ↑ Laurent Gervereau, Halte aux voleurs d'avenir !, Paris, www.gervereau.com, 2009 (succédant à Bas les pattes sur l'avenir ! chez Sens & Tonka éditeurs en 2005)
- ↑ Les Inrockuptibles n°301, 21 août 2001
- ↑ Institut français de Naples en mai 1994, galerie Pascal Gabert à Paris en octobre 1994, au Kubus de Hanovre en juin 1996.
- ↑ www.metropolerhinrhone.eu
- ↑ « Programme du 16 au 19 juillet 2015 », dans histoiresdepassages.com, site officiel, en ligne.
- ↑ www.iamh-aimh.org
- ↑ www.histecologia.net
- ↑ « Hommage à René Dumont », sur fondationdumont.com (consulté le 10 novembre 2012)
- ↑ www.see-socioecolo.com
- ↑ une heure d'entretien en anglais sur Radio Hong Kong dans World Vibes le 10/11/2012
- ↑ distribution : www.adav-assoc.com
Liens externes
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