Sargon d'Akkad
Sargon d’Akkad, forme francisée de l’akkadien 𒈗𒁺 / Šarru-kīnu (qu’on traduit généralement par « roi légitime »), fut le souverain fondateur de l’empire d’Akkad, plutôt appelé aujourd’hui « empire d’Agadê »[1], en unifiant par la force les principales cités de Mésopotamie sous son autorité. Les dates de son règne sont incertaines : on le situe couramment vers 2334-2279 av. J.-C., mais il peut avoir régné plus tard, vers 2285-2229.
Coup d’État à Kiš
Ur-Zababa, petit-fils de Kubaba (l’une des très rares femmes à avoir régné en Mésopotamie), régnait comme ensí[2] à Kiš lorsqu’il fut détrôné par un obscur personnage qui se fit appeler « Roi légitime »[3] sans doute pour faire oublier qu’il était a priori un usurpateur.
Sargon d’Akkad était d’origine simple. Il serait devenu serviteur d’Ur-Zababa et parvenu au rang de Grand-Échanson (« GAL.GEŠTIN » en sumérien). Cette position stratégique lui donnait accès au culte des dieux à travers l’offrande rituelle des boissons. La tradition rapporte qu’Enlil aurait été offensé par le souhait d’Ur-Zababa de modifier ce rituel et Sargon aurait alors comploté pour le renverser ; Ištar étant la déesse poliade de Kiš, c’était renouer avec elle que rétablir les offrandes rituelles dans leur tradition immuable. C’est sans doute à la suite d’intrigues politico-religieuses de ce genre que Sargon devint ensí à la place de l’ensí, vers 2270 av. J.-C. selon la chronologie courte[4]. Il marcha sur Uruk, qu’il conquit et dont il démolit les remparts, puis se retourna contre Lugalzagesi, qu’il vainquit et emmena dans un carcan pour être exposé garrotté à la porte de l’« É-kur » (littéralement : « maison-montagne/étranger »), le temple d’Enlil à Nippur. Sargon s’empara ensuite d’Ur, de Lagaš et d’Umma. À Eninkimar (pl), port de Lagaš, il « lava ses armes dans la mer » pour marquer son pouvoir sur tout le pays de Sumer, du nord au sud : c’était la fin de la période du Dynastique ancien et le début de la période d’Akkad ou d'Agadê.
Naissance légendaire
Des textes du VIIe siècle av. J.-C. découverts à Ninive — donc postérieurs de seize siècles à Sargon, mais contemporains de la date probable de rédaction des plus anciens livres qui formeront la Bible par la suite — relatent ainsi son accession au pouvoir[5]:
« Ma mère était grande prêtresse. Mon père, je ne le connais pas. Les frères de mon père campent dans la montagne. Ma ville natale est Azupiranu [« ville du safran » ?], sur les bords de l’Euphrate. Ma mère, la grande prêtresse, me conçut et m’enfanta en secret. Elle me déposa dans une corbeille de roseaux, dont elle scella l’ouverture avec du bitume. Elle me lança sur le fleuve sans que je puisse m’échapper. Le fleuve me porta ; il m’emporta jusque chez Aqqi, le puiseur d’eau. Aqqi le puiseur d’eau me retira [du fleuve] en plongeant son seau. Aqqi le puiseur d’eau m’adopta comme son fils et m’éleva. Aqqi le puiseur d’eau m’enseigna son métier de jardinier. Alors que j’étais jardinier la déesse Ištar se prit d’amour pour moi et ainsi j’ai exercé la royauté pendant cinquante-six ans. »
Ce récit ressemble beaucoup à celui de la naissance de Moïse, rédigé par des prêtres judéens qui étaient précisément, au VIIe siècle av. J.-C., en exil à Babylone lorsque cette histoire édifiante faisait florès, des rives du Tigre, en Irak, à celles du Tibre, en Italie. On retrouve de pareils éléments légendaires concernant d'autres fondateurs d'empires comme Cyrus le Grand ou de cité, comme Romulus[6].
Une nouvelle ère
Cet événement marqua une rupture historique majeure en Mésopotamie à deux égards :
- la civilisation des Sémites de Haute Mésopotamie prenait l’ascendant sur celle des Sumériens de Basse Mésopotamie, ce qui se matérialisa par le recul très net de l’usage de la langue sumérienne, bientôt cantonnée aux activités d’élite (c’est-à-dire au culte, aux épopées et aux affaires d’État, puis bien vite seulement au culte et aux épopées) tandis que les domaines commercial et légal étaient gérés en akkadien,
- pour la première fois dans l’Histoire une vaste région de Mésopotamie était politiquement unifiée sous l’autorité centrale d’un monarque, ce qui a fait dire de Sargon d'Akkad qu'il fut le premier empereur connu de l'histoire.
Sargon fonda Agadê/Akkad sur l’Euphrate et conquit Mari et Ebla à l’ouest puis Awan et Warahše à l’est dans le Zagros et finalement Suse en Élam. Il épousa Tašlutum, une Agadéenne qui dut le partager avec un certain nombre de concubines. L’une d’entre elles, vraisemblablement sumérienne, lui donna une fille, Enheduanna, qui devint grande prêtresse de Nanna, Ningal et surtout Inanna à Ur. Sargon l’aurait placée à ce poste à l’« é-kiš-nu11-gal » (littéralement : « maison universelle du grand luminaire », c’est-à-dire le temple lunaire) d’Ur dans le but de contrôler plus étroitement les populations sumériennes du sud. Quarante-deux hymnes lui sont attribués, qui marquèrent le culte aux dieux à travers les différents temples de l’empire agadéen pendant près de cinq siècles, jusqu’à l’avènement d’Hammourabi, ce qui ferait d’elle le plus ancien auteur littéraire identifié de l’Histoire.
Notes et références
- ↑ du nom de la ville d’Agadê, autrefois orthographiée Akkad
- ↑ c’est-à-dire comme souverain, sens du vocable sumérien « ensi2 ».
- ↑ le sens exact de Šarru-kîn comporterait à la fois le sens de « Roi de par la loi » et de « Roi fidèle aux lois ».
- ↑ La chronologie moyenne donne une date forcément plus ancienne : 2325 av. J.-C.
- ↑ (en) Joan Goodnick-Westenholz, Legends of the Kings of Akkade : the texts, Winona Lake, Eisenbrauns, , p. 37-49
- ↑ Philippe Abadie, « Moïse, héros d'un peuple sans terre », Le Monde de la Bible, Bayard, no 192 « À l'origine d'Israël, Abraham ou Moïse ? », , p. 34 (ISSN 0154-9049)
Annexes
Articles connexes
- Empire d'Akkad
- Liste royale sumérienne
- Données archéologiques sur l'Exode et Moïse
Liens externes
Bibliographie
- (en) George W.Botsforth, The reign of Sargon, A Source-Book of Ancient History, Macmillan, New York, 1912.
- (en) Stéphanie Mary Dalley, Sargon, Encyclopædia Britannica, Oxford University Press, Oxford, New York, 2007.
- (en) Robert Drews, “Sargon, Cyrus and Mesopotamian Folk History”, Journal of Near-Eastern Studies n° 33 (1974), p. 387–393 ;
- (en) Bryan Lewis, The Sargon legend : A Study of the Akkadian text and the tale of the hero who was exposed at birth, American Schoolsof Oriental Research Dissertation Series 4. Cambridge, American Schools of Oriental Research, 1984.
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