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Haptique

Haptique

L’haptique, du grec ἅπτομαι (haptomai) qui signifie « je touche », désigne la science du toucher, par analogie avec l'acoustique ou l'optique. Au sens strict, l’haptique englobe le toucher et les phénomènes kinesthésiques, c'est-à-dire la perception du corps dans l’environnement.

Définition

Il est classique de différencier deux types de perception tactile manuelle (Hatwell, Streri, & Gentaz, 2000) : La perception cutanée et la perception haptique.

  • La perception cutanée ou passive résulte de la stimulation d'une partie de la peau alors que le segment corporel qui la porte est totalement immobile. Tel est le cas lorsque le dos de la main repose sur une table et qu'un objet pointu est déplacé sur sa paume. Dans ce cas, comme seule la couche superficielle de la peau est soumise à des déformations mécaniques, le traitement perceptif ne concerne que les informations cutanées liées au stimulus appliqué sur la main.
  • La perception tactilo-kinesthésique ou haptique (terme introduit en psychologie par Revesz, 1934, 1950) ou active résulte de la stimulation de la peau résultant des mouvements actifs d'exploration de la main entrant en contact avec des objets. C'est ce qui se produit quand, par exemple, la main et les doigts suivent le contour d'un objet pour en apprécier la forme. Dans ce cas, il s'ajoute nécessairement à la déformation mécanique de la peau celle des muscles, des articulations et des tendons qui résultent des mouvements d'exploration. De plus, sur Terre, la main ou le bras va être soumis à la gravité et les forces déployées par le système proprioceptif vont non seulement être intégrées par le système nerveux central dans un but purement "moteur" mais vont être perçues par le système en termes de « sens de l'effort ». Par exemple, la longueur, voire la forme d'un objet non vu mais activement déplacé dans ce champ gravitaire peuvent être perçues grâce au tenseur d'inertie (voir Turvey, 1994) sur le dynamic touch. Des processus très complexes sont impliqués ici car ils doivent intégrer simultanément les informations cutanées et les informations proprioceptives et motrices liées aux mouvements d’exploration cutanées pour former un ensemble indissociable appelé perceptions haptiques.

Les caractéristiques fonctionnelles du sens haptique manuel tout comme ses processus sous-jacents sont encore relativement mal connus pour plusieurs raisons :

  1. ces processus fonctionnent la plupart de temps de façon entièrement automatique car les informations proprioceptives sont généralement traitées inconsciemment ;
  2. les contractions musculaires génèrent des tensions dans l’ensemble des tissus dans lesquels sont situés les mécanorécepteurs cutanés et proprioceptifs. Ces forces internes peuvent exister même en l’absence de tout mouvement (par exemple, lors de la cocontraction de muscles antagonistes). L’activité de ces récepteurs dépend donc non seulement des forces externes comme la gravité ou les forces de contacts mais aussi de ces forces internes qui ne sont généralement pas observables directement ;
  3. les commandes motrices sont en général accompagnées d’une copie (appelée copie efférente ou décharge corollaire) qui peut être utilisée par le système moteur pour anticiper les résultats de son action indépendamment des signaux cutanés et/ou proprioceptifs provenant de périphérie. De nombreuses études suggèrent que ces signaux générés de façon interne sont aussi utilisés par le système perceptif. Les décharges corollaires peuvent exister même en l’absence de tout mouvement. En effet, les forces internes (contractions musculaires) nécessaires pour opposer une force externe (e.g. la gravité ou le poids d’objet) sont aussi accompagnées de décharges corollaires qui peuvent contribuer à la mesure de ces forces. En fait, ces décharges corollaires pourraient être à l’origine du sens de l’effort (pour une approche alternative, voir Turvey 1994) ;
  4. des mouvements volontaires d’exploration, variant en fonction des caractéristiques de ce qu’il faut percevoir, doivent être produits par la personne pour compenser l’exiguïté du champ perceptif cutané (limité à la zone de contact avec les objets) et appréhender les objets dans leur intégralité. Le stimulus va donc dépendre de la façon dont l’objet est exploré. Il en résulte une appréhension morcelée, plus ou moins cohérente, parfois partielle et toujours très séquentielle, qui charge lourdement la mémoire de travail et qui nécessite, en fin d’exploration, un travail mental d’intégration et de synthèse pour aboutir à une représentation unifiée de l’objet.

Les différentes procédures d'exploration manuelle

Il est classique d'identifier, chez les adultes qui devaient classer des objets en fonction d'un critère donné, des « procédures exploratoires » (PE), c’est-à-dire des ensembles spécifiques de mouvements qui se caractérisent par la quantité d’information qu’ils peuvent apporter et donc par l’éventail des propriétés auxquelles ils sont adaptés. Certaines procédures sont très spécialisées, d’autres plus générales. Ainsi, le Frottement latéral est adapté seulement à la texture, le Soulèvement au poids, la Pression à la dureté du matériau. Le Contact statique informe principalement sur la température et, plus approximativement, sur la forme, la taille, la texture et la dureté. L’enveloppement donne aussi des informations globales sur ces propriétés, tandis que le Suivi des contours donne une connaissance précise de la forme et de la taille, et une connaissance plus floue de la texture et de la dureté. Ces différentes procédures sont soit nécessaires (obligatoires pour une propriété), soit suffisantes, et certaines sont optimales, c’est-à-dire ont une efficacité maximale pour une propriété. Ainsi, le Frottement latéral est optimal pour la texture, tandis que le Soulèvement est nécessaire et optimal pour le poids.

Lederman et Klatzky (1993) ont observé une stratégie d'exploration en deux temps: d'abord sont produites des procédures non spécialisées, mobilisant toute la main et apportant des informations peu précises sur plusieurs propriétés, ce qui donne une connaissance globale de l'ensemble. Puis les procédures spécifiques sont mises en œuvre. Par exemple, pour la forme, les adultes commencent par l'Enveloppement, puis passent au Suivi des Contours.

Le caractère spécialisé des procédures d'exploration manuelle a des conséquences sur le traitement des propriétés de l'objet. Pick (1974), Freides (1974) et Hatwell (1986) ont défendu l'idée d'une spécialisation fonctionnelle des modalités : chaque modalité excelle dans le traitement de certaines propriétés et est moins performante dans d'autres. Ainsi, la modalité haptique est très performante dans la perception de la texture et la dureté des matériaux, alors qu'elle l'est moins dans celle de l'espace. Lederman et Klatzky (1993) ont développé cette idée et ont montré qu’en raison de son mode d’exploration, le toucher n'est pas spécialisé dans la perception spatiale, domaine d'excellence de la vision, mais l’est plutôt dans les propriétés matérielles. Cette spécialisation s'explique sans doute par la simplicité des procédures exploratoires optimales pour percevoir la texture ou la dureté, alors que celles propres aux propriétés géométriques exigent des mouvements coordonnés dans le temps.

La perception haptique des propriétés spatiales

L’accès aux propriétés de forme, taille, orientation, distance, etc., nécessite des procédures exploratoires lentes et coûteuses en raison de la taille réduite du champ perceptif tactile. C’est pourquoi les performances dans ce domaine sont significativement inférieures à celles de la vision du point de vue quantitatif : seuils de discrimination, nombre d’erreurs, durée du processus. C’est ce qui a été montré dans un grand nombre de travaux ces vingt dernières années. De plus, les processus eux-mêmes ne sont pas toujours les mêmes dans la modalité visuelle et la modalité haptique.

La perception haptique des textures

Au sens large, toutes les propriétés physiques définissant la microstructure d’une surface sont englobées dans le terme « texture » : rugosité, dureté et élasticité, etc. Mais seules la rugosité et, dans une moindre mesure, la dureté, ont été bien étudiées. Pour faire varier expérimentalement la rugosité, les psychologues ont utilisé des tissus différents, des papiers abrasifs dont la densité des grains est contrôlée, ou des stries rectilignes dont la profondeur et l’espacement sont variés. Les études montrent que la perception tactile de la texture est aussi performante que la perception visuelle, et parfois même, pour les textures extrêmement fines des papiers abrasifs (allant des numéros 1000 à 6000, selon les normes standard), elle la surpasse.

Sensibilité

Le rendu temps réel pour l’haptique est plus complexe que pour la vue. En effet grâce à la persistance rétinienne la sensation de continuité s’effectue dans des fréquences de rafraîchissement plus basse (autour de 25 Hz). Pour le toucher, l’être humain est capable de ressentir des vibrations en dessous d’une fréquence de rafraîchissement de 10 kHz, et ressent une variation de force entre 30 et 300 Hz. La perception du mouvement est plus lente : 1 Hz si le mouvement est inattendu, 10 Hz pour les réflexes. En ce qui concerne les changements de température, l’homme est sensible à des variations de l’ordre de 0,01 degré Celsius avec un temps de réaction compris entre 300 et 900 ms.

Interfaces haptiques

  • Certaines interfaces haptiques à retour de force sont utilisées pour reconstituer, à l'aide de moteurs qui impriment des mouvements en sens contraires, certaines sensations physiques liées à l'action se déroulant sur un écran.
  • D'autres interfaces haptiques combinent la technologie haptique et les enregistrements électromyographiques pour identifier les réponses musculaires.
  • Un volant ou un joystick à retour de force sert à recréer voire amplifier les effets de résistance liés à la conduite d'une voiture de course ou d'un avion ou d'une opération chirurgicale.
  • Le « bras haptique » permet d'aller plus loin en offrant la possibilité de s'immerger dans la manipulation d'objets virtuels dans les trois dimensions de l'espace.
  • Bien qu'en plein développement, ces dispositifs s'approchent avec difficulté d'une restitution fidèle des sensations tactiles directes.

Illusions haptiques

De même qu’il existe des illusions d’optique, il existe des illusions haptiques. Il est possible dans un premier temps de jouer sur le fait que l’haptique est rarement utilisé seul (à l’instar des autres sens). Ainsi lorsque les informations sont contradictoires, la majorité des individus donne inconsciemment raison à leur vue, puis au toucher. Une expérience effectuée par Srinivasan, Beauregard, et Brock en 1996 au sein du MIT, a démontré la prééminence de la vue par rapport au toucher : deux ressorts étaient affichés à l’écran et ressentis par l’utilisateur via un périphérique haptique. Ce dernier devait alors indiquer en se basant sur les deux types d’informations disponibles, lequel des ressorts était le plus résistant. En absence d’aide visuelle les utilisateurs répondaient juste la plupart du temps. Mais avec une aide visuelle contradictoire les utilisateurs se trompaient dans presque 100 % des cas. Cette capture "visuelle" doit être cependant tempérée car pour des propriétés comme la texture où la modalité haptique est "reine" c'est-à-dire extrêmement performante par rapport à la vision, on peut dans certaines conditions mettre en évidence une capture haptique. Ernst et Banks (2002) ont modélisé les situations de conflits entre la vision et l'haptique avec une formalisation bayésienne et montré une capture haptique lorsque ce système perceptif était de manière probabiliste le plus performant pour détecter la largeur d'un objet.

Les illusions géométriques ne sont pas toutes présentes dans la modalité haptique. En effet, l’illusion de Müller-Lyer est observée dans la modalité haptique, avec une intensité similaire chez les adultes travaillant sans voir et des aveugles tardifs (ayant eu de l’expérience visuelle) et même chez des aveugles de naissance (sans aucune expérience visuelle). Trois facteurs sont responsables de la présence de l’illusion de Müller-Lyer et des variations de son intensité en vision et en haptique :

  1. la répétition avec une illusion qui diminue à mesure que le nombre de présentations de la figure augmentent ;
  2. l’angle avec une illusion qui est d’autant plus forte que l’angle aigu formé par les pennures et le segment à évaluer est petit ;
  3. les consignes avec une illusion qui disparaît lorsqu'on demande aux participants d’ignorer les pennures et d’utiliser leur corps comme référence spatiale.

En revanche, les illusions du type de Titchner existent seulement dans la vision. Ces résultats montrent que le sens haptique est parfois aussi sensible et parfois moins sensible que la vision aux illusions perceptives. Il semble donc être un sens un peu moins « trompeur » que la vision.

Il est ainsi possible de créer une illusion de la forme d’un objet (3D) en exerçant des forces sur une surface plane. « Cette illusion est la démonstration de la représentation mentale qu'on se fait d'un stimulus. Une force appliquée dans une seule dimension, peut être beaucoup plus élaborée et perçue en trois dimensions », souligne Vincent Hayward chercheur à l'Université Pierre et Marie Curie (Paris 5e). Ainsi pour créer l’impression d’une bosse on appliquera une pression croissante, inverse au mouvement de l’utilisateur, lors de la montée, puis une force dans la direction du mouvement lors de la descente.

Origine du nom

  • Du grec Haptein (ou Haptesthai) : « toucher ».

Le mot est employé par l'historien de l'art autrichien Aloïs Riegl (« haptik ») dans son grand ouvrage L'industrie d'art romaine tardive (1901). Pour celui-ci, l'art progresse en dévoilant un univers du sensible de l'haptique (parfois, Riegl utilise aussi l'expression "taktil" ou "taktisch") à l'optique. Il est ensuite repris en esthétique par Gilles Deleuze dans Francis Bacon, Logique de la sensation, au chapitre 14. Le peintre rechercherait une faculté de toucher ses spectateurs par sa représentation du visuel. Grossièrement, on pourrait dire que notre œil toucherait nos sens.

Le mot nous revient depuis les États-Unis où les lectures de Gilles Deleuze furent inspiratrices du courant de la réalité virtuelle qui initia les recherches sur les interfaces haptiques. En psychologie de la perception, l'utilisation du terme "haptique" nous vient de James Gibson (1966). Ce psychologue américain a en effet proposé dans les années 1970, une théorie "révolutionnaire" de la perception s'opposant aux approches inférentielles jugées plus classique.

Définition esthétique

Deleuze développe dans Mille plateaux (pp.614-622) une opposition Espace lisse (haptique) / Espace strié (optique). L'haptique y est dévolu à un espace de proximité et d’affects intenses sans hiérarchies. L’espace lisse est sans profondeur visuelle. C'est un espace d’immédiateté et de contact, qui permet au regard de palper l’objet, de se laisser investir par lui et de s’y perdre. Le philosophe propose des développements sur l’art haptique comme antithèse de l’art optique. C'est le travail d'une forme de vision rapprochée comme chez Cézanne ou Bacon. C'est un espace aformel sans contour de forme bien précis et sans représentation formelle du sujet.

La deuxième voie principalement développée par l'art occidental exprime une vision éloignée et déployée dans un espace optique ou strié. Deleuze s'appuie sur l’analyse de Leroi-Gourhan (L’Homme et la Matière, 1943) où l’espace strié est rapporté au modèle du tissu, avec sa structure, sa finitude et son ordre dynamique spécifique. Un monde, à comprendre comme figé et essentialiste, articulé sur des quadrillages imposés – espace très peu valorisé par Deleuze. Ce sont les représentations découlant de l'invention de la perspective (Vitruve, Quattrocento).

Annexes

Articles connexes

  • Réalité virtuelle
  • Infohaptie

Liens externes

  • Interface et information haptiques
  • Introduction à l'haptique et à l'infohaptie
  • Le système haptique de l’homme

Bibliographie

  • Y. Hatwell, A. Streri, E. Gentaz, Toucher pour connaître. Psychologie cognitive de la perception tactile manuelle, Paris, PUF, 2000
  • G. Revesz, System der optischen und haptischen Raumtäuschungen, Zeitschrift für Physiologie, 131, 296-375, 1934
  • G. Revesz, Psychology and Art of the Blind, London, Longmans Green, 1950
  • Y. Hatwell, " Psychologie cognitive de la cécité précoce",Dunod, Paris, 2003.
  • M. Manto, N. Van Den Braber, G. Grimaldi, P. Lammertse. A New Myohaptic Instrument to Assess Wrist Motion Dynamically, Sensors 2010, 10(4), 3180-3194.

Domaine esthétique

  • Mireille Buydens, « Espace lisse / Espace strié » in Le Vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, p. 132-134.
  • M. Buydens, Sahara. L’esthétique de Gilles Deleuze, Paris, Vrin, 1990
  • Gilles Deleuze et Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, Minuit, 1980.
  • Gilles Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris, Éditions de la différence, 1981.
  • G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991.
  • James Jerome Gibson, The senses considered as perceptual systems, Houghton Miffllin Company, 1966
  • Leroi-Gourhan, L’Homme et la Matière, Albin Michel, 1943
  • Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible, Paris, Gallimard, 1964.
  • Jacques Rancière, « Deleuze accomplit le destin de l'esthétique », Magazine littéraire, n° 406, 2002.
  • Juhani Pallasmaa, Le regard des sens, Les Éditions du Linteau, 2005.
  • Emmanuel Alloa « Tactiques de l'optique ». Postface à L'industrie d'art romaine tardive d'Alois Riegls, Paris/Genève: Éditions Macula, p. 402-427.
  • Portail de la psychologie
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