Carrosses à cinq sols
Les carrosses à cinq sols constituent la première expérience au monde de transport en commun urbain, concept développé par le philosophe et mathématicien Blaise Pascal.
Cinq lignes relient plusieurs quartiers de Paris à partir du 18 mars 1662. Les restrictions imposées par le parlement de Paris, ainsi que la hausse des tarifs, amènent l'entreprise à péricliter rapidement : elle disparaît en 1677.
Histoire
Jusqu'au XIXe siècle, l'extension limitée des agglomérations ainsi que l'étroitesse du réseau urbain d'origine médiévale ne justifient pas la mise en place de transports publics. Toutefois, Paris voit l'expérimentation d'une première tentative d'organisation de transports en commun.
En novembre 1661, Blaise Pascal fonde une société avec le duc de Roannez (Artus Gouffier de Roannez) , gouverneur et lieutenant-général de la province de Poitou, le marquis de Sourches, chevalier des ordres du roi et grand Prévôt de l'Hôtel, et le marquis de Crenan, grand échanson de France. Ils présentent une requête pour établir l'exploitation de « carrosses qui feraient toujours les mêmes trajets dans Paris d'un quartier à l'autre, savoir les plus grands pour cinq sols marqués... et partiraient toujours à heures réglées, quelque petit nombre de personnes qui s'y trouvassent, même à vide s'il ne se présentait personne, sans que ceux qui se serviraient de cette commodité fussent obligés de payer plus que leurs places. »[1].
La capitale du royaume de Louis XIV compte alors déjà plus de cinq cent mille habitants ; elle est la seconde ville la plus peuplée au monde après Londres. Elle compte cinq cents rues principales, cent places ou placettes, neuf ponts et vingt-deux mille maisons[2]. Les carrosses sont institués par un arrêt du Conseil du Roi en date 19 janvier 1662 : le roi Louis XIV signe les lettres patentes donnant l'autorisation d'établir le nouveau service, et accorde le monopole de cette institution. Après des essais réalisés le 26 février, cinq routes sont progressivement mises en place[1].
Le 18 mars 1662, une première ligne relie la porte Saint-Antoine au Luxembourg en passant par la rue de la Verrerie, le pont au Change, le pont Neuf et la rue Dauphine. Le 11 avril suivant, une seconde ligne relie la rue Saint-Antoine à la rue Saint-Denis via la place Royale (place des Vosges) et la rue des Francs-Bourgeois.
Le 2 mai, un troisième itinéraire relie le Luxembourg à la rue Montmartre par le pont Saint-Michel, le pont Neuf et la place des Victoires. Le 24 juin, une quatrième route ouvre à son tour : cet itinéraire est circulaire, et présente une innovation, le sectionnement tarifaire, avec un prix variant selon la longueur du parcours effectué. L'itinéraire est divisé en six tronçons séparés par des bureaux : le voyageur doit repayer cinq sols lorsqu'il passe deux bureaux. Enfin le 5 juillet, un cinquième et dernier itinéraire relie le Luxembourg à la rue de Poitou par le pont Notre-Dame et la rue Saint-Martin[1].
Les voitures sont tirées par quatre chevaux et conduites par un cocher et un laquais. Chacun porte une casaque bleue aux armes du roi et de la Ville de Paris. Ces voitures sont lourdes et mal suspendues par de grosses courroies de cuir ; elles comportent huit places. Elle ne s'arrêtent que pour laisser, à la demande, monter ou descendre les voyageurs tout au long de la route[1].
Le nouveau service est inauguré en grande pompe et accueilli très favorablement par la population. Toutefois, un édit du parlement de Paris assortit, contrairement à l'avis du roi, des restrictions quant à la qualité des voyageurs : « soldats, pages, laquais et autres gens de livrée, même les manœuvres et gens de bras, ne pourront entrer les dits carrosses, pour la plus grande commodité et liberté des bourgeois et des gens du mérite. » Ces limitations provoquent l'hostilité de la part du peuple et de violentes manifestations. L'augmentation du prix de cinq à six sols achève de rendre les carrosses impopulaires. Pour rétablir le calme, une ordonnance de police menace « du fouet et de plus grande punition » quiconque apporterait quelque trouble à la bonne marche du service[3].
Aucun document ne permet de dater la disparition des carrosses. Certains historiens estiment que le service a disparu au bout de quelques années ; toutefois le sieur de Givry reprend en 1674 au duc de Roannez le privilège des carrosses à cinq sols, même si cela ne confirme en rien l'existence effective du service à cette date[3]. Néanmoins, selon Marc Gaillard, les carrosses disparaissent en 1677[2].
Épilogue
Les carrosses à cinq sols présentent dès le XVIIe siècle les caractéristiques essentielles des transports en commun modernes : les véhicules suivent un itinéraire fixe, avec des départs à intervalle régulier (sept minutes et demie pour la première ligne) et un tarif fixe en fonction du trajet. Mais ce système novateur est peut-être trop en avance sur son temps. La hiérarchie sociale entraîne une limitation de l'usage du service qui lui est finalement fatale. Par ailleurs à cette époque, la population réside très majoritairement sur son lieu de travail, les besoins de transports en commun ne s'imposeront qu'un siècle et demi plus tard, avec l'apparition des omnibus en 1823 à Nantes, puis en 1828 à Paris[3]. Jusqu'à cette date, les transports en commun disparaissent totalement du paysage urbain, laissant la place aux transports individuels, de louage ou privés[2].
Notes et références
- 1 2 3 4 Jean Robert, Les tramways parisiens, p. 28
- 1 2 3 Marc Gaillard, Du Madeleine-Bastille à Meteor, histoire des transports parisiens, p. 10
- 1 2 3 Jean Robert, Les tramways parisiens, p. 29
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
- Jean Robert, Les tramways parisiens, Jean Robert (réimpr. 3e édition 1992)
- Marc Gaillard, Du Madeleine-Bastille à Meteor, histoire des transports parisiens, Martelle éditions, 1991, 223 p.
- Louis-Jean-Nicolas Monmerqué, Les carrosses à cinq sols ou Les omnibus du dix-septième siècle, 1828, 74 p.
- Eric Lundwall, Les carrosses à cinq sols. Pascal entrepreneur, éd. Science infuse, 2000.
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