4′33″
4′33″ est un morceau composé par John Cage, souvent décrit comme « quatre minutes trente-trois secondes de silence »[1],[2] mais qui est en fait constitué de sons de l'environnement, que les auditeurs entendent lorsqu'il est interprété[3].
Le morceau a été écrit en principe pour le piano et est structuré de trois mouvements principaux. Sur la partition, chaque mouvement est présenté au moyen de chiffres romains (I, II & III) et est annoté TACET (« il se tait » en latin), qui est le terme utilisé dans la musique occidentale pour indiquer à un instrumentiste qu'il doit rester silencieux pendant toute la durée du mouvement.
Une note de John Cage complète cette partition[4],[5] :
« Le titre de cette œuvre figure la durée totale de son exécution en minutes et secondes. À Woodstock, New York, le 29 août 1952, le titre était 4′33″ et les trois parties 33″, 2′40″ et 1′20″. Elle fut exécutée par David Tudor, pianiste, qui signala les débuts des parties en fermant le couvercle du clavier, et leurs fins en ouvrant le couvercle. L'œuvre peut cependant être exécutée par n'importe quel instrumentiste ou combinaison d'instrumentistes et sur n'importe quelle durée. »
Conception de l'œuvre
À la fin des années 1940, Cage visita la chambre insonorisée de l'université Harvard. Cage s’attendit à « entendre » le silence lorsqu’il entra dans la chambre, mais comme il l’écrivit plus tard : « j’entendis deux bruits, un aigu et un grave. Quand j’en ai discuté avec l'ingénieur responsable, il m’informa que le son aigu était celui de l’activité de mon système nerveux et que le grave était le sang qui circulait dans mon corps. »
Cage était sceptique quant à la fiabilité des commentaires de l'ingénieur, particulièrement sur le fait de pouvoir entendre son propre système nerveux. Quelle que fût la vraie réponse, Cage était allé dans un endroit où il s’attendait au silence total, mais y trouva quand même du bruit… Plus tard, il ajouta « jusqu'à ma mort il y aura toujours du bruit et il continuera à me suivre même après ». C’est à ce moment qu’il réalisa l’impossibilité de trouver le silence quel que soit l’endroit et qui le mena à composer son morceau le plus populaire : 4'33".
Cage écrivit dans Les Confessions d'un compositeur (1948) que son désir le plus cher était de pouvoir composer un morceau de silence ininterrompu. Ce dernier durera 4 minutes et 33 secondes, qui est la longueur standard de la musique « en boîte » et que son titre sera « une prière silencieuse ». Cage commenta son œuvre : « Elle s'ouvrira avec une idée simple que j'essayerai de rendre aussi séduisante que la couleur, la forme et le parfum d'une fleur. La fin s'approchera de l'imperceptibilité »[6].
Les autres influences de ce morceau proviennent des arts visuels : des amis de Cage, tel Robert Rauschenberg avaient produit une série de peintures « blanches ». Apparemment « vides », ces toiles changeaient de ton en fonction de la luminosité de la pièce dans laquelle elles étaient exposées ou en fonction de l’ombre des personnes les visualisant. Ces dernières ont beaucoup inspiré Cage sur la possibilité de créer une œuvre employant ce même vide, mais dans le domaine musical cette fois-ci.
Une autre influence probable est celle du bouddhisme zen et de la notion taoïste de non-agir. John Cage suivit pendant deux années les cours que le Daisetz Teitaro Suzuki donna à partir de 1951 à l'université Columbia de New York.
Interprétations
Le morceau a été interprété par David Tudor le , au Maverick Concert Hall de Woodstock dans l'État de New York, en tant que partition de musique contemporaine pour piano. Le public l'a vu s'asseoir au piano, et fermer le couvercle. Après un moment, il l'ouvrit, marquant ainsi la fin du premier mouvement. Il réitéra cela pour les deuxième et troisième mouvements. Le morceau avait été joué et pourtant aucun son n’était sorti. Ce que voulait son auteur, c’est que quiconque qui aurait écouté attentivement aurait entendu du bruit involontaire. Ce sont ces bruits imprévisibles qui doivent être considérés comme étant la partition de musique dans ce morceau. Ce dernier demeure encore controversé à ce jour, et est vu en tant que provocation de la définition même de la musique :
« […] les gens ont commencé à chuchoter l’un à l’autre, et certains ont commencé à sortir. Ils n’ont pas ri – ils ont juste été irrités quand ils ont réalisé que rien n’allait se produire, et ils ne l’ont toujours pas oublié trente ans après : ils sont encore fâchés[7]. »
La longueur de 4'33" est en fait désignée par pur hasard. Et c'est ce temps qui donne son titre à l'œuvre.
[réf. nécessaire]
Une autre théorie, provenant du philosophe et spécialiste de John Cage, Daniel Charles[réf. incomplète], indique que 4'33" pourrait être un ready-made à la Marcel Duchamp du fait que John Cage se trouvait en France lors de l'année de composition de l'œuvre et que sur les claviers de machines à écrire en AZERTY le 4 correspond au signe « ' » et le 3 au signe « " ».
[réf. nécessaire]
Notes et références
- ↑ Fetterman 1996, p. 69.
- ↑ Lienhard 2003, p. 254.
- ↑ Kostelanetz 2003, p. 69–70.
- ↑ « Note: the title of this work is the total length in minutes and seconds of its performance. At Woodstock, N.Y., August 29, 1952, the title was 4'33" and the three parts were 33", 2'40", and 1'20". It was performed by David Tudor, pianist, who indicated the beginnings of parts by closing, the endings by opening, the keyboard lid. After the Woodstock performance, a copy in proportional notation was made for Irwin Kremen. In it the timelengths of the movements were 30", 2'23", and 1'40". However, the work may be performed by any instrumentalist(s) and the movements may last any lengths of time. »
- ↑ Guillaume Benoit, « Ceci n'est pas du silence : John Cage 4'33" », sur evene.fr, .
- ↑ Pritchett 1993.
- ↑ Revill 1992, p. 166.
Bibliographie
- (en) William Fetterman, John Cage's Theatre Pieces: Notations and Performances, Harwood Academic Publishers, , 282 p. (ISBN 3-7186-5642-6 et 3-7186-5643-4)
- (en) John H. Lienhard, Inventing Modern: Growing Up with X-Rays, Skyscrapers, and Tailfins, New York, Oxford University Press, , 292 p. (ISBN 0-19-518951-5 et 0-19-516032-0)
- (en) Richard Kostelanetz, Conversing with John Cage, New York, Routledge, , 332 p. (ISBN 0-415-93791-4 et 0-415-93792-2)
- (en) James Pritchett, The Music of John Cage, Cambridge University Press, , 223 p. (ISBN 0-521-41621-3 et 0-521-56544-8)
- (en) David Revill, The Roaring Silence: John Cage, A Life, New York, Arcade Publishing, , 375 p. (ISBN 1-55970-166-8)
- « Présentation du concert du 25 mars 2010 », sur BRAHMS, Ircam, Centre Georges-Pompidou
Voir aussi
- Liste des œuvres musicales silencieuses
- Partition graphique
- Portail de la musique classique