État de droit
L’État de droit (Rechtsstaat, en allemand) est une doctrine empruntée à la jurisprudence allemande, qui désigne un système institutionnel dans lequel la puissance publique doit respecter le droit. L'État de droit se veut l'opposé de la notion d'État fondée sur l'utilisation arbitraire du pouvoir (Obrigkeitsstaat) et il est très étroitement lié au respect de la hiérarchie des normes, de la séparation des pouvoirs et des droits fondamentaux. Le juriste autrichien Hans Kelsen a redéfini la notion d'État de droit au début du XXe siècle, comme un « État dans lequel les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que sa puissance s'en trouve limitée ». Dans ce modèle, chaque règle tire sa validité de sa conformité aux règles supérieures[1].
Il ne faut pas confondre état de droit et État de droit : « Rousseau imagine le passage de l’état de nature à l’état de droit mais La République française est un État de droit »[2]. L'état de droit s'oppose à l'état de nature, alors que l'État de droit désigne le système ci-dessus défini.
Conditions de l'État de droit
L'État de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes, l'égalité devant le droit et l'indépendance de la justice.
Respect de la hiérarchie des normes
L'existence d'une hiérarchie des normes constitue l'une des plus importantes garanties de l'État de droit. Dans ce cadre, les compétences des différents organes de l'État doivent être précisément définies et les normes qu'ils édictent ne sont valables qu'à condition de respecter l'ensemble des normes de droit supérieures. Au sommet de cet ensemble pyramidal figure la Constitution, suivie des engagements internationaux, de la loi, puis des règlements. À la base de la pyramide figurent les décisions administratives ou les conventions entre personnes de droit privé. Cet ordonnancement juridique s'impose à l'ensemble des personnes juridiques.
L'État, pas plus qu'un particulier, ne peut ainsi méconnaître le principe de légalité : toute norme, toute décision qui ne respecteraient pas un principe supérieur seraient en effet susceptibles d'encourir une sanction juridique. L'État, qui a compétence pour édicter le droit, se trouve ainsi lui-même soumis aux règles juridiques, dont la fonction de régulation est ainsi affirmée et légitimée. Le contrôle de constitutionnalité consiste à vérifier qu'une loi est conforme à la Constitution (texte supérieur à la loi dans la hiérarchie des normes), alors que le contrôle de conventionnalité consiste à contrôler la validité d'une norme nationale au regard d'une convention internationale.
Égalité devant le droit
L'égalité des sujets devant le droit - ou l'isonomie - constitue la deuxième condition de l'état de droit. Celui-ci implique en effet que tout individu, toute organisation, puissent contester l'application d'une norme juridique, dès lors que celle-ci n'est pas conforme à une norme supérieure. Les individus et les organisations reçoivent en conséquence la qualité de personne juridique : on parle de personne physique dans le premier cas, de personne morale, dans le second.
L'État est lui-même considéré comme une personne morale : ses décisions sont ainsi soumises au respect du principe de légalité, à l'instar des autres personnes juridiques. Ce principe permet d'encadrer l'action de la puissance publique en la soumettant au principe de légalité, qui suppose au premier chef, le respect des principes constitutionnels. Dans ce cadre, les contraintes qui pèsent sur l'État sont fortes : les règlements qu'il édicte et les décisions qu'il prend doivent respecter l'ensemble des normes juridiques supérieures en vigueur (lois, conventions internationales et règles constitutionnelles), sans pouvoir bénéficier d'un quelconque privilège de juridiction, ni d'un régime dérogatoire au droit commun. Les personnes physiques et morales de droit privé peuvent ainsi contester les décisions de la puissance publique en lui opposant les normes qu'elle a elle-même édictées. Dans ce cadre, le rôle des juridictions est primordial et leur indépendance est une nécessité incontournable.
Indépendance de la justice
Pour avoir une portée pratique, le principe de l'État de droit suppose l'existence de juridictions indépendantes, compétentes pour trancher les conflits entre les différentes personnes juridiques en appliquant à la fois le principe de légalité, qui découle de l'existence de la hiérarchie des normes, et le principe d'égalité, qui s'oppose à tout traitement différencié des personnes juridiques.
Un tel modèle implique l'existence d'une séparation des pouvoirs et d'une justice indépendante. En effet, la Justice faisant partie de l'État, seule son indépendance à l'égard des pouvoirs législatif et exécutif est en mesure de garantir son impartialité dans l'application des normes de droit.
État de droit, séparation des pouvoirs et démocratie
État de droit et séparation des pouvoirs
L'État de droit est celui dans lequel les mandataires politiques — en démocratie : les élus — sont tenus par le droit qui a été édicté. La théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, sur laquelle se fondent la majorité des États occidentaux modernes, affirme la distinction des trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) et leur limitation mutuelle. Par exemple, dans une démocratie parlementaire, le législatif (le Parlement) limite le pouvoir de l'exécutif (le gouvernement) : celui-ci n'est donc pas libre d'agir à sa guise et doit constamment s'assurer de l'appui du Parlement, lequel est l'expression de la volonté de la population. De la même façon, le judiciaire permet de faire contrepoids à certaines décisions gouvernementales (en particulier, au Canada, avec le pouvoir que la Charte canadienne des droits et libertés confère aux magistrats). L'État de droit s'oppose donc aux monarchies absolues de droit divin et aux dictatures, dans lesquelles l'autorité agit souvent au mépris des droits fondamentaux. L'État de droit n'exige pas que tout le droit soit écrit. La Constitution de la Grande-Bretagne, par exemple, est fondée uniquement sur la coutume : elle ne possède pas de disposition écrite. Dans un tel système de droit, les mandataires politiques doivent respecter le droit coutumier avec la même considération des droits fondamentaux que dans un système de droit écrit.
État de droit et démocratie
L'État de droit est devenu un thème politique puisqu'il est aujourd'hui considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques[réf. nécessaire]. Cependant, le degré de respect de l'État de droit n'est pas nécessairement lié au degré de démocratie d'un régime.
- La France a renforcé son État de droit en passant de l'Ancien Régime à l'Empire[3].
- Dans De l'esprit des lois, Montesquieu différencie justement la monarchie du despotisme par le fait que les monarques respectent un droit préexistant, une forme de constitution coutumière qui encadre leur liberté d'action. En ce sens, la monarchie est davantage un État de droit que le despotisme.
- La Chine moderne améliore progressivement son État de droit[4], indépendamment de toute évolution vers la démocratie[5],[6].
- Selon Alain de Benoist, quand la Déclaration des droits de l'homme prend une valeur constitutionnelle, une décision prise démocratiquement qui contredirait ces « droits de l’homme » est susceptible d'être tenue pour nulle et non avenue. L'État de droit ayant alors pour conséquence une limitation de l'exercice de la démocratie et de la souveraineté populaire[7].
Notes et références
- ↑ « Qu’est-ce-que l’Etat de droit ? » (consulté le 11 juin 2015)
- ↑ www.academie-francaise.fr
- ↑ Par la promulgation du Code Civil, unifiant le droit pour tout le territoire.
- ↑ Il n’est pas exagéré de parler de révolution juridique quand on évalue le travail de codification et d’institutionnalisation accompli au cours de ces 25 dernières années et notamment depuis 1992.
- ↑ La plupart des Chinois considèrent que la Chine n'est pas prête pour la démocratie.
- ↑ État de droit en Chine ne signifie certainement pas démocratie
- ↑ « Il est très abusif d’assimiler l’État de droit et la démocratie », entretien Alain de Benoist, bvoltaire.fr, 13 avril 2015
Annexes
Bibliographie
- Luc Heuschling, État de droit, Rechtsstaat, Rule of Law, Dalloz, 2002
- Blandine Kriegel, État de droit ou Empire, Bayard, 2002
- Éric Carpano, État de droit et droits européens. L'évolution du modèle de l'État de droit dans le cadre de l'européanisation des systèmes juridiques, L'Harmattan, Paris, 2005
- Stéphane Pinon, « La notion de démocratie dans la doctrine constitutionnelle française », Revue Politeia, no 10 – 2006, p. 407-468. De la négation du concept de « démocratie » par le milieu juridique à l'allégeance envers « l'État de droit ».
Articles connexes
- Démocratie
- Constitution
- Égalité devant la loi
- Isonomie
- Hiérarchie des normes
- Droits de l'homme
- Droits des minorités
- Droit naturel
- Raison d'État
- Sécurité juridique
- Séparation des pouvoirs
- Principes généraux du droit français
- Droit | Droit positif | Positivisme juridique | Normativisme | Liberté | Justice
- Hans Kelsen
Liens externes
- Maître Eric Delcroix : Retour sur l’opposition entre l’Etat de droit et l’Etat souverain, tvlibertes.com
- Définition de l'état de droit par le site gouvernemental vie-publique.fr
- L'Idée d'état de droit, Michel Senellart, diffusion des savoirs de l'ENS LSH, 14 cours de 80 à 90 minutes
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